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La frustration, ce mal qui ronge la motivation

Il n’est pas toujours évident de composer avec son entourage où plusieurs situations peuvent nous déstabiliser et porter atteinte à notre bien-être. C’est le cas aussi en milieu professionnel : Entre les aléas quotidiens, les malentendus ou encore le manque d’autonomie, le collaborateur peut se sentir frustré. Un sentiment qui peut rester caché, ce qui risque d’impacter négativement son rendement au travail. Comme pour toutes les autres manifestations d’ordre psychosocial, le manager se doit d’y prêter attention, car ce mal ronge bel et bien la motivation des employés, notamment en temps de crise. Le point avec Jihane Benslimane, experte en management et directrice exécutive Hera Consulting Group.

La frustration, ce mal qui ronge la motivation

Conseil : Comment définir la frustration en milieu professionnel ?

Jihane Benslimane : La frustration professionnelle est le sentiment que nous ressentons lorsque nous n’arrivons pas à satisfaire un désir ou un souhait. En d’autres termes, il s’agit d’une réponse émotionnelle à une opposition ressentie. À mon humble avis, il est important de distinguer deux types de frustration :

• La frustration que l’on ressent lorsque nous nous rendons compte de l’écart entre ce que nous vivons dans la réalité et ce que nous souhaitons vivre.

• La frustration que l’on ressent lorsque nous nous rendons compte que le chemin que nous avons emprunté ne nous permettra pas d’atteindre un but précis et qu’on n’est incapable de changer de direction. L’exemple qu’on peut citer dans ce sens est celui de certains salariés qui souhaitent se lancer dans l’entrepreneuriat, mais qui n’arrivent pas à prendre le «pas vu», notamment les charges à supporter. Ils restent salariés, mais frustrés, ce qui se répercute négativement sur leur rendement. Je tiens à attirer l’attention sur le fait que, d’après plusieurs experts en psychologie, la frustration vécue à long terme peut avoir un véritable impact négatif sur la santé du collaborateur.

Quelles sont les différentes causes de la frustration en milieu professionnel ?

D’après les missions réalisées sur le terrain, les salariés frustrés répètent certaines phrases comme : «Je n’aime pas mes tâches», «ma rémunération ne me convient pas», «je manque d’autonomie dans mon travail» ou encore «je ne suis pas au bon endroit». Nous pouvons ainsi constater que parmi les causes fréquentes de la frustration en milieu professionnel figure la rémunération, le manque d’autonomie et l’inadéquation entre le profil du collaborateur et le travail qu’il exerce. À ces causes s’ajoutent le faible niveau de bien-être au travail, l’ennui, le management trop vertical adopté par la hiérarchie, l’absence de formation ou encore le fameux manque de reconnaissance. Ce dernier, rappelons-le, peut être très coûteux. De façon générale, les raisons de la frustration sont liées à la perception que développe le collaborateur vis-à-vis de son entreprise.

Par quels moyens peut-on combattre ce fléau que certains qualifient de tueur silencieux ?

Côté salarié, il est important d’abord de se remettre en question pour identifier ses propres causes de la frustration. Il faut tout simplement se poser la question «qu’est-ce qui me rend insatisfait dans mon travail ?». C’est en analysant la situation que nous pouvons mieux la gérer. Ensuite, il faut se concentrer sur son objectif et comprendre d’où vient notre référentiel sur lequel nous nous basons pour nous comparer. D’ailleurs, malheureusement, nous avons de nos jours tendance à nous comparer à ce que nous voyons sur les réseaux sociaux. Cependant, il faut quand même rappeler que ces photos, ces publications, ces films ou encore ces vidéos partagés sur les réseaux sociaux sont montés, travaillés et créés pour que ce soit vendeur. Le contexte est décidé et il ne s’agit que d’une partie de la réalité que nous voyons. Il est donc important tout d’abord de remettre les choses dans leur contexte et nous concentrer sur le référentiel qui nous permet de nous comparer.

Côté management, comment reconnaître et, surtout, gérer un collaborateur qui se sent frustré ?

Je suggère à tout manager bienveillant de rester observateur et attentif et surtout d’adopter la posture du manager-coach. Le manque de motivation chez le collaborateur reste, en effet, le signal qui doit alerter le manager et le pousser à mettre en application différentes actions, notamment :

• Suivre et contacter régulièrement le collaborateur.

• Comprendre la raison de sa frustration grâce, notamment, au coaching, aux réunions informelles et, le cas échéant, à travers l’évaluation annuelle.

• Aider le collaborateur à relativiser et le pousser à écrire la liste des points négatifs ou les facteurs de frustration. Il peut également l’accompagner pour trouver ensemble des solutions ou des points positifs. Cette étape est très importante et permet au collaborateur de créer un équilibre dans sa vie professionnelle.

• Communiquer avec le collaborateur et trouver le moyen de le motiver.

• Faire le suivi avec son collaborateur sur l’état d’avancement de ses projets en cours. Cela lui permettra de renforcer son sentiment d’appartenance à l’entreprise.

Avec la crise sanitaire de la Covid-19, on a l’impression que le sentiment de frustration prend de l’ampleur d’autant que certains collaborateurs sont en télétravail. Que pouvez-vous nous dire sur ce volet ?

La crise actuelle multiplie les risques psychosociaux potentiels. L’environnement de travail est perturbé et notamment lorsque nous sommes confinés ou en télétravail. Nous rencontrons des difficultés techniques (problèmes de connexions internet, partage d’ordinateurs au sein d’un foyer, etc.), mais aussi dans la gestion de la vie personnelle et professionnelle. Nous pouvons également vivre la frustration de ne pas remplir correctement son rôle de parent ou encore de ne pas faire ses tâches professionnelles correctement. Plusieurs causes dues à cette situation inédite actuelle comme l’isolement, l’instabilité, la peur de perdre son travail, le manque de possibilités de loisirs, de voyages… peuvent impacter chaque collaborateur et créer davantage chez lui un sentiment de frustration. Ce volet doit être pris en considération par le manager qui est tenu de favoriser un management de proximité.

Par quels moyens peut-on véhiculer une énergie positive au sein de l’entreprise, une donne nécessaire pour dépasser la crise ?

Je souhaite préciser qu’il y a un effet positif également dans la frustration. Si nous souhaitons vivre une situation particulière ou si nous avons un objectif, c’est que nous sommes aussi ambitieux. Les attentes sont donc à la hauteur des frustrations que nous avons et donc finalement cela démontre qu’il y a de l’ambition derrière. S’il n’y a pas de frustration, nous ne pouvons pas bouger. À titre d’exemple, si j’aspire à une rémunération ou à un salaire plus important, c’est que je souhaite évoluer dans ma vie professionnelle et dans ma qualité de vie. Il faut alors accepter que ce but soit possible, ré-organiser ma vie en fonction de mes aspirations et révéler mes ambitions. L’affirmation est très importante pour le démarrage de ce changement. Je conseille alors de réfléchir aux astuces pour atteindre ce but avec les moyens du bord. Pour répondre à votre question, je dirai que les managers doivent pousser les collaborateurs à s’affirmer et à accepter les frustrations. Ils doivent aussi les accompagner à travailler avec les moyens existants sur des actions différentes qui vont impacter leur bien-être. Les entreprises et les managers ont intérêt à favoriser l’innovation et la créativité tout en inspirant la différence sans pour autant rentrer dans des comparaisons. 

Entretien réalisé par Nabila Bakkass

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