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L’intelligence collective : Oui, mais pas n’importe comment !

«Le travail individuel permet de gagner un match, mais c’est l’esprit d’équipe et l’intelligence collective qui permet de gagner la Coupe du monde». Cette citation de l’ancien joueur et entraîneur international français de football, Aimé Jacquet, explique clairement l’importance de l’intelligence collective dans la performance des équipes. Calquée sur la vie de l’entreprise, cette citation trouve bel et bien son sens dans la mesure où l’intelligence collective permet à une équipe de salariés qui coopèrent de résoudre les problèmes plus efficacement que lorsque ces personnes travaillent isolément. Autant dire que les managers ont intérêt à opter pour ce type d’intelligence, particulièrement en temps de crise et de changement nécessitant une mobilisation de toutes les compétences. Mais comment ? Certes, il existe plusieurs méthodes et techniques pour faire adhérer l’ensemble des collaborateurs à cet état d’esprit, mais force est de reconnaître que le meilleur moyen à adopter n’est autre que l’implication effective du manager dans ce changement de mindset. Le point avec Jean-Yves Arrivé, psychologue, consultant RH et coach.

L’intelligence collective : Oui, mais pas n’importe comment !
Ce ne sont pas toujours les beaux parleurs qui font avancer l’intelligence collective, mais ceux qui souhaitent authentiquement apporter leur pierre au projet pour atteindre un objectif partagé par tous. Ph. Shutterstock

Conseil : L’intelligence collective est un concept de plus en plus lié à l’intelligence émotionnelle. De quoi parle-t-on ?
Jean-Yves Arrivé
: Vous avez raison de souhaiter éclaircir les choses, car on ne parle pas exactement des mêmes notions. L’intelligence émotionnelle individuelle peut contribuer au développement de l’intelligence collective, mais elle n’en est qu’une petite partie. L’intelligence collective se manifeste par le fait qu’une équipe d’individus, de salariés qui coopèrent peut résoudre des problèmes plus efficacement que lorsque ces personnes travaillent isolément. En fait, pour le dire simplement, avec l’intelligence collective 1+1 +1 = 4 ! Certains parlent d’intelligence distribuée. On mobilise différentes compétences, aptitudes, intelligences possédées par un groupe d’individus pour qu’ils atteignent le plus efficacement possible un objectif ou un résultat. On voit bien que la seule intelligence émotionnelle ne suffit pas. Il faut aussi des connaissances, des compétences techniques, des aptitudes, des potentiels… Mais de nombreuses études montrent que l’intelligence collective est au rendez-vous seulement quand il y a une qualité des interactions entre les membres d’un groupe. Et c’est là que l’intelligence émotionnelle de chaque individu peut amplifier l’efficacité de l’équipe et lui permettre de réussir plus rapidement.

Par quels moyens peut-on favoriser une telle intelligence en entreprise ?
Je ne vais sans doute pas vous apprendre grand-chose, car ces moyens sont finalement très simples et bien connus, même s’ils ne sont pas, de mon point de vue, suffisamment utilisés :
• Écouter chacun des membres de l’équipe et surtout reconnaître les compétences de tous et les solliciter : Il est important de casser les croyances et les coutumes qui veulent que seuls un chef, un expert savent et peuvent parler et que les autres doivent écouter et hocher la tête en signe d’assentiment, même quand ils ne sont pas d’accord.
• Faire preuve de créativité et ne pas se contenter de reproduire mécaniquement des solutions qui ont pu donner satisfaction à une époque, mais qui ne correspondent plus au besoin et aux enjeux du moment.
• Faire preuve d’esprit critique et analyser finement et factuellement toutes les informations, en prenant garde à faire taire les jugements hâtifs, les belles paroles. Ce ne sont pas toujours les beaux parleurs qui font avancer l’intelligence collective, mais ceux qui souhaitent authentiquement apporter leur pierre au projet pour atteindre un objectif partagé par tous.
Pour aller un peu plus loin, n’oublions pas qu’Howard Gardner dénombre 8 intelligences chez l’individu. Mais en fait, toute cette connaissance de la complexité de l’intelligence humaine est totalement négligée par le système éducatif et même parfois la formation continue qui nous formatent et nous sélectionnent sur deux types d’intelligences seulement : l’intelligence logico-mathématique et l’intelligence linguistique. Or c’est de toutes les intelligences que nous avons besoin collectivement pour être performants. Il est grand temps d’engager des réformes radicales dans l’éducation et l’apprentissage, mais aussi dans la manière de choisir les collaborateurs dont on souhaite s’entourer !

Quelle est l’importance de ce type d’intelligence dans un contexte de crise ?
Si on reste sur la définition de l’intelligence collective que je viens d’exposer, on comprend vite que les entreprises, les institutions, les collectivités ont tout à y gagner. Dans une période de crise, nous avons besoin de mobiliser l’ensemble des compétences pour reconstruire, faire évoluer, améliorer les process, augmenter la rentabilité et dégager plus de moyens pour investir, agir solidairement en aidant les plus faibles et les démunis qui sont forcément les premières victimes des crises. Mais encore faut-il oser sortir des sentiers battus, être innovants, jouer plus collectif, faire baisser les ambitions personnelles au profit des résultats obtenus au service de l’intérêt général. Et là, franchement, ce n’est pas gagné ! Au cours des crises qui ont secoué la seconde moitié du vingtième siècle, on a souvent espéré que la solidarité, la fraternité, l’engagement très forts qui s’exprimaient au plus fort des difficultés allaient perdurer. Force est de constater que cela n’a pas été véritablement le cas. Espérons que la grave crise sanitaire et économique que nous traversons sera l’occasion de changer le cours des choses.

Qu’est-ce qui peut freiner, en cette période de crise, le développement de ce type d’intelligence en entreprise ?
Il y a de multiples freins. D’abord, les moyens financiers plus réduits qui privent l’entreprise d’un budget important pour mieux former, mieux développer les talents, donner du temps à la cohésion d’équipe, donc à tous ces moyens d’améliorer la coopération, l’efficacité collective. Mais il y a aussi les émotions qui sont souvent à l’œuvre, qui parfois même prennent le dessus, et parmi elles, la peur. Elle conduit à un repli sur soi, à la crainte de prendre des initiatives, qui sont considérées comme des risques à un moment où l’on parle de récession, de suppressions d’emploi, de transformations technologiques. De nombreuses personnes pensent, à tort selon moi, qu’en se faisant oublier, en ne changeant rien, elles sont protégées. C’est un réflexe très courant, mais hélas très contre-productif ! Face à tous ces dangers, dont on ne peut pas nier l’existence, c’est au contraire le fait d’oser, de changer les pratiques, de viser les réussites collectives qui peut globalement être le comportement le plus payant, même s’il existe toujours des contre-exemples.
Enfin, je citerai parmi les freins les attitudes des dirigeants et d’une bonne partie du management qui dans ces moments-là sont moins ouverts au dialogue, aux évolutions dans les pratiques. On retrouve vite la directivité, les ordres lancés sans communication, les discussions expédiées, le manque d’écoute. C’est tout le contraire des comportements qui favoriseraient le développement de l’intelligence collective. C’est à l’opposé de ce qu’il conviendrait de faire pour résister aux dangers réels qui menacent les entreprises.

Par quels moyens motiver les collaborateurs qui résistent au changement ?
Motiver vient du mot latin «motivus» qui veut dire «mobile». Donc, motiver, c’est mettre en mouvement. Et les premiers moteurs pour enclencher ce mouvement ce sont les cadres, les responsables de l’entreprise. Tous les collaborateurs ne refusent pas nécessairement le changement, ou en tous les cas les évolutions rendues nécessaires pour faire face à l’environnement.
Mais ils regardent les dirigeants et attendent qu’ils expliquent, communiquent et montrent l’exemple. Que leurs comportements traduisent cette volonté de changer ensemble, dans le respect de tous. C’est à l’encadrement de traduire cette capacité à animer, faire participer, entendre chacun, faire preuve de créativité, d’ouverture et d’accompagner les changements.
Je conclurai cette interview en citant un proverbe chinois : «Le poisson pourrit toujours par la tête». Dit autrement, cela signifie qu’à l’origine d’un dysfonctionnement au sein d’une organisation, on trouve toujours ses dirigeants et managers. Et qu’à l’inverse, les équipes qui gagnent ont le plus souvent à leur tête des leaders charismatiques, capables de créer les conditions d’une forte intelligence collective ! 

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