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Oukaïmeden : Crépuscule d’une station de ski

À quelque 75 km de la ville de Marrakech se dresse, à plus de 2.500 mètres d’altitude, la plus importante station de ski au Maroc, classée en 2014 par la chaîne américaine CNN parmi les 100 meilleures au monde. Aujourd’hui, l’Oukaïmeden n’est plus que l’ombre d’elle-même. La station est en pleine décrépitude à cause de la pandémie qui secoue le monde depuis plus d’un an, mais aussi à défaut d’un plan de développement approprié. La fermeture de la station suite aux restrictions sanitaires a frappé de plein fouet l’économie d’une population de montagnards qui gagnent leur vie durant la saison de ski, qui peut durer entre deux et quatre mois dans le meilleur des cas. Zoom.

Un air de mélancolie perceptible partout

En ce début de mois de mars, la saison de neige à l’Oukaïmeden touche à sa fin. Comme chaque année, la station semble livrer un dernier baroud d’honneur au gré des orages qui touchent toute la région en cette période, aspergeant les montagnes avoisinantes des derniers flocons de neige de la saison. Néanmoins, cette année, ces dernières chutes de neige ne suscitent pas un réel enthousiasme chez les autochtones. De même, la saison actuelle n’a pas été sans susciter remous et inquiétude parmi les habitants des villages avoisinants, qui gagnent leur vie durant les quelques mois qu’elle dure d’habitude.
En effet, ce site historique et unique au Maroc a rompu avec l’embellie des années précédentes. Et pour cause. La pandémie liée au nouveau coronavirus a coupé court à toutes sortes d’activités génératrices de revenus pour les autochtones. Location de luges et de matériel de ski, restauration, vente de produits du terroir, de plantes aromatiques ou encore de géode de roches : toutes les activités qui garantissaient une rentrée d’argent à cette population ne sont plus qu’un vague souvenir.
Du coup, malgré la majestueuse robe blanche revêtue par la station, l’Oukaïmeden respire un air de mélancolie perceptible dans les yeux de ses habitants et de ceux des douars avoisinants. Durant les années précédentes, la saison hivernale était porteuse de labeur et, relativement, de prospérité, toutes proportions gardées. Les villageois devaient profiter au maximum de la saison, dont la durée peut aller de deux à quatre mois, en fonction de la pluviométrie au niveau régional. 

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Entre la neige et la roche...

La station de l’Oukaïmeden compte aujourd’hui plus d’une centaine de loueurs de matériel de ski et de luges. Tous des villageois issus des douars avoisinants, situés entre 3 et 20 kilomètres de la station vers la Vallée de l’Ourika. Le matériel est disposé à même le sol devant des sortes de box métalliques servant aussi à le renfermer la nuit tombée. Le seul magasin spécialisé dans la location de matériel de ski, situé à l’entrée de la station, est aujourd’hui fermé.
L’allée qui menait vers les pistes de ski qui, d’habitude, grouillait de monde et était jonchée de véhicules de toute sorte, est de nos jours une voie déserte. De part et d’autre de la chaussée sont entreposés les box des loueurs de skis. Du côté du parking, juste en face des pistes de ski, plusieurs baraques ont élu domicile. On y trouve de tout, différentes roches décoratives, etc. Omar, un quinquagénaire, déplore la situation qui prévaut par ces temps de Covid-19. Selon lui, un loueur de skis et de luges pouvait gagner entre 400 et 600 DH par jour, voire plus, durant les weekends et les vacances scolaires. «Aujourd’hui, si on arrive à se faire 100 ou 150 DH par jour, c’est déjà très bien», fait-il savoir, soulignant que plusieurs de ses confrères repartent bredouille en fin de journée, sans avoir encaissé le moindre sou. «Il y a aussi ce problème de fermeture de la station durant les vacances scolaires, comme ça a été le cas depuis samedi dernier (13 mars 2021, Ndlr). C’est incompréhensible. C’est la période durant laquelle nous pouvons travailler et gagner un peu d’argent. Il faut se rendre à l’évidence, cette saison de ski est partie en fumée», explique Omar.
Comme la plupart de ses semblables de la communauté des loueurs de matériel de ski, Omar se convertit, une fois la saison terminée, en travailleur de la roche. Un métier qui consiste à ornementer les façades des maisons avec de la roche taillée. On fait appel à ses services à Marrakech, Casablanca, Rabat… 

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Une crise sans précédent

Le rush que connaissait l’Oukaïmeden durant la saison de ski, notamment le weekend et lors des vacances scolaires, permettait à toute une population de montagnards de tirer profit de ces arrivées massives, composées pour une grande part d’amateurs de ski, mais surtout d’amateurs de luge et de randonneurs obnubilés par l’immense manteau blanc qui recouvre les lieux.
Tous ces touristes, à majorité nationaux et dont la plus grande partie ayant fait le déplacement pour une journée, devaient mettre la main à la poche pour la location de matériel de ski, pour la restauration ou encore pour l’acquisition d’un souvenir, généralement des géodes de cristal ou d’améthyste. Chose qui constituait une rentrée d’argent pour les populations locales, dont la majorité fait le déplacement des villages avoisinants éparpillés dans la vallée de l’Ourika, parfois à une vingtaine de kilomètres de là.
Cependant, ces activités ont une courte durée. Une fois la saison terminée, les autochtones doivent se convertir à d’autres métiers ou activités, afin d’assurer une rentrée d’argent le long des neuf mois les séparant de la prochaine saison de neige. D’où l’importance que revêt la saison hivernale à l’Oukaïmeden pour toutes ces populations.

Hélas, la pandémie de la Covid-19 et les restrictions sanitaires imposées par les autorités afin de juguler sa propagation ont mis tout le site sous une sorte d’embargo. D’abord, il faut une autorisation et une raison valable pour s’y rendre. Ensuite, la fermeture des remontées mécaniques (téléskis et télésiège) n’a eu d’autres effets que de bannir une population importante : les amateurs de ski. Que restait-il alors ? Une poignée d’amateurs de luge, car la pratique ne nécessite pas l’usage des remontées mécaniques, ainsi que les amateurs de randonnée ou de bagarre aux boules de neige. Certains novices qui s’initient au ski sont également de la partie, effectuant la remontée à pied ou à dos de mulet sur quelques dizaines de mètres. La réduction des effectifs de touristes a, de facto, eu un impact lourd de conséquences sur toutes les activités dont vivaient, le temps d’une saison, des dizaines de villageois. Une crise sans précédent dont ils se souviendront longuement. 

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Entretien avec Hamid Bentahar, président du Conseil régional du tourisme de Marrakech-Safi

«Nous avons conçu de nouvelles expériences “outdoor” au niveau régional, des itinéraires nature solidaires et créatifs»

Le Matin : Où en est-on aujourd’hui par rapport au plan de relance du secteur touristique ?
Hamid Bentahar : La Covid-19 a effectivement bouleversé l’industrie mondiale du tourisme. Cependant, pour la relancer, il fallait tout d’abord sauvegarder ce qui existe, comme la préservation de l’emploi. Fort heureusement, la campagne vaccinale avance à une bonne cadence, mais il faut encore du temps pour un retour à la normale. Les professionnels souhaitent ainsi une extension du contrat programme pour un prolongement du soutien de la CNSS afin, justement, de préserver l’emploi.
Pour une relance effective, nous espérons vraiment un allègement des restrictions sur les déplacements inter-régions et sur les horaires. À l’international, nous constatons qu’il n’y a pas d’ouverture, mais plutôt des fermetures de certains pays. Néanmoins, certains marchés se préparent à la relance comme en Grande-Bretagne. Pour parler d’une véritable relance, il faut également une reprise de l’aérien avec au moins 50% des flux et des capacités siège avion historiques (2019).
Au niveau international, l’office du tourisme prépare une campagne adaptée aux différents marchés émetteurs et qui sera enclenchée au fur et à mesure de la levée des restrictions. Il faut cependant reconnaître que cette pandémie a ouvert la voie aux professionnels et aux destinations pour se réinventer et répondre aux nouvelles tendances post-Covid comme l’envie d’évasion, l’envie de solidarité...
Au niveau du CRT Marrakech, nous avons conçu de nouvelles expériences «outdoor» au niveau régional, des itinéraires nature, solidaires et créatifs, des road trip montagne, désert, océan… Nous avons également conçu des e-map et des e-brochures afin de répondre à l’accélération digitale.

Qu’est-ce qui est prévu en ce sens pour l’Oukaïmeden ?
La station sportive de l’Oukaïmeden comme le projet du palais des expositions et des congrès font partie des projets structurants les plus importants pour le développement durable de la région. Les conventions pour ces projets ont été signées par tous les partenaires locaux et régionaux et nous espérons un déblocage rapide des budgets pour en accélérer l’exécution. Cela permettra de stimuler la création d’emploi et de créer de la valeur ajoutée durable pour la région

L’ensemble des remontées mécaniques était à l’arrêt bien avant l’apparition de la pandémie. Quelles sont les raisons de la fermeture des téléskis et du télésiège ?
Justement, c’est ce qui indique l’urgence de la mise en œuvre et l’exécution des conventions déjà signées pour la mise à niveau des installations pour le volet sécurité, ce qui permettrait d’éviter les pannes répétitives sur les remontées mécaniques, qui paralysaient l’activité des skieurs. Nous espérons un déblocage des budgets pour ces projets structurants et urgents pour valoriser nos potentialités en montagne et pour améliorer les conditions de vie de la population dans ces territoires. 

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Fouad Meliani, président du Syndicat national des loueurs de voitures

«La fermeture de l’Oukaïmeden a contribué à la perte de chiffre pour les loueurs de voitures»

«La situation du secteur de location automobile est plus que catastrophique !» La formule est signée Fouad Meliani, président du Syndicat national des loueurs de voitures et propriétaire d’une agence de location automobile à Marrakech. «Déjà que Marrakech est fermée depuis pratiquement un an, tant pour les gens désireux de partir dans d’autres villes que pour ceux qui souhaitent passer un séjour dans la cité ocre. Et une bonne partie de ces profils constituent la clientèle des agences de location de voitures», indique le président du Syndicat, soulignant que la demande était forte durant les weekends et la saison estivale. «Depuis le déclenchement de la crise sanitaire, il y avait beaucoup de gens qui réservaient une voiture, le temps d’obtenir l’autorisation de déplacement auprès des autorités, mais qui finissaient par se désister, faute d’avoir pu obtenir le fameux sésame», souligne-t-il.
Lors des premiers mois après l’instauration des restrictions sanitaires, les loueurs de voitures installés à Marrakech pouvaient tout de même faire tourner leurs véhicules, moyennant la location à la journée, notamment grâce à une clientèle désireuse de faire des randonnées dans les environs de Marrakech, à l’image de la Vallée de l’Ourika, le barrage de Lalla Takerkoust ou encore l’Oukaïmeden.

Chose qui n’est plus le cas actuellement.
«Il est indéniable que la fermeture de l’Oukaïmeden durant la saison de neige a eu un impact très négatif sur les loueurs de voitures, ainsi que sur les transporteurs touristiques, car il y a de plus en plus de jeunes qui se cotisent pour louer une voiture afin de passer la journée dans la station de ski», fait savoir le syndicaliste. En ce sens, le manque à gagner pour une agence de location peut aller de 1.200 à 1.500 DH par weekend, selon Fouad Meliani. Les transporteurs touristiques sont également touchés de plein fouet par la fermeture de l’Oukaïmeden, avec un manque à gagner d’environ 1.200 par jour pour un véhicule de 10 places, durant les weekends.
«Avant la propagation de la pandémie de Covid-19, la région de Marrakech-Safi comptait 1.121 agences de location de voitures. Dieu sait combien il en reste aujourd’hui, sachant que le parc automobile de location au niveau régional a été réduit de 37% depuis le début de la crise sanitaire, enregistrant également 4 suicides dans le secteur», conclut le président du Syndicat national des loueurs de voitures. 

 

Dossier réalisé par Abdelhakim Hamdane 
Reportage photos A.H.

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