Menu
Search
Samedi 20 Avril 2024
S'abonner
close
Samedi 20 Avril 2024
Menu
Search
Accueil next Économie

Pénurie, retards de livraison, flambée des prix... les industriels et importateurs marocains du papier se font un sang d’encre

La pénurie mondiale du papier a jeté son ombre sur le marché marocain et les acteurs locaux du secteur font face à des difficultés d’approvisionnement qui freinent l’activité et font s’envoler les prix. Les explications de professionnels.

Pénurie, retards de livraison, flambée des prix... les industriels et importateurs marocains du papier se font un sang d’encre
Le prix d’une tonne de papier est passé de 600 à 800-900 dollars en l’espace de quelques mois.

Les industriels de la filière papier et carton au Maroc broient du noir. Le spectre de la pénurie plane sur le marché et, au rythme où évolue la situation, la rupture des stocks est imminente. Cette pénurie et l’envolée des prix qui s’ensuit donnent des sueurs froides aux imprimeurs et aux éditeurs qui peinent toujours à sortir la tête de l’eau. 

La pénurie mondiale étouffe le marché local
L’industrie locale et les importateurs nationaux subissent en effet les contrecoups des perturbations qui agitent actuellement le marché mondial du papier et du carton. Des tensions dont les prémices sont apparues avec la crise sanitaire et qui se sont aggravées avec la reprise et l’explosion de la demande qu’elle a engendrée, pendant que l’offre continuait à s’effondrer et que les prix montaient en flèche. «Effectivement, après la hausse spectaculaire du prix du papier, déclenchée il y a une année, nous vivons au Maroc une pénurie de plusieurs qualités de papier», confirme au «Matin» Mounir El Bari, administrateur-directeur général de GPC Papier et Carton.
«Pour les qualités fabriquées au Maroc, à savoir le papier pour carton ondulé, le papier emballage, le papier impression-écriture, le marché n’est pas en pénurie totale, puisque les producteurs nationaux ont pu sauver la mise : CMCP – IP, GPC – Papier et Carton et Med Paper», précise-t-il. «Pour les papiers importés à 100%, comme le papier couché, le papier duplex ou le carton duplex, une pénurie sans précédent est annoncée sur le marché du fait des prix exorbitants et de la rareté du produit à l’international», enchaîne notre interlocuteur.
Il explique que cette rareté est la résultante de plusieurs facteurs, dont la reprise économique aux États-Unis et dans l’Union européenne et le stock de sécurité constitué par la Chine après le redémarrage économique post-Covid. Elle est également liée à l’essor du e-commerce boosté par la Covid-19 et à la demande qui dépasse de loin l’offre des papetiers.

«Il y a, en effet, une pénurie mondiale de papier, car plusieurs petites usines ont dû fermer à cause de la crise tandis que de grandes unités ont choisi de relocaliser leurs activités», nous explique, de son côté, Tarik Sindi Lallouch, président du Groupement marocain des métiers de l’impression, de l’industrie publicitaire et des fournisseurs pour l’événementiel (GMI). Pour lui aussi, «la pénurie découle de l’explosion de la demande aux États-Unis et en Chine survenue avec la reprise, surtout pour le papier emballage».
L’affaiblissement de la production du papier est, par ailleurs, lié à la suspension de la collecte des déchets, puisque l’industrie papetière utilise comme matière première des papiers et cartons récupérés et recyclés, poursuit Tarik Lallouch, par ailleurs secrétaire général de la Fédération des industries forestières, des arts graphiques et de l’emballage (FIFAGE).
À cela s’ajoutent d’autres facteurs tels que la rareté et la hausse des prix des composants qui entrent dans la fabrication du papier ainsi que du fret. «L’un de nos fournisseurs locaux a décliné notre commande, indiquant que ses comptes ont été mis à mal par des commandes clients qu’il avait accepté d’honorer sans tenir compte de l’augmentation rapide des coûts de fabrication et du fret», nous raconte un imprimeur de la place.

Les délais de livraison se rallongent et les prix s’envolent
«Les délais d’approvisionnement se sont allongés de plusieurs mois. Les commandes de ce mois-ci sont livrables dans 6 mois, au lieu d’un mois et demi à deux mois maximum !», déplore Tarik Lallouch. «Nos fournisseurs à l’étranger ne peuvent plus nous assurer les quantités demandées et encore moins nous livrer dans les délais souhaités», nous confirme un acteur du secteur marocain de l’imprimerie et de l’édition, signalant que les commandes qu’il a réussi à passer cette semaine ne lui seront livrées qu’à partir de janvier 2022 au plus tôt.
Surbookés, les producteurs reçoivent, en effet, plus de commandes qu’ils ne peuvent livrer. Certains préfèrent également temporiser tant qu’ils ne maîtrisent pas les coûts de Management des ressources de production (MRP).
De plus, les fournisseurs privilégient les grands comptes au détriment des petits. Quant aux prix, ils ont connu une hausse inquiétante et il est attendu à ce qu’ils grimpent davantage. «Le prix d’une tonne de papier est passé de 600 à 800-900 dollars en l’espace de quelques mois», nous indique M. Lallouch. Des chiffres que confirment les industriels interrogés, pointant une hausse de 30 à 40% rien qu’entre juillet et octobre.
«Dans ces conditions, la rupture de stock est imminente. Elle pourrait pousser même vers l’importation de produits finis, ce qui risque de porter un grand coup à notre industrie d’impression», alerte M. Lallouch. «Cette année, nous avons pu récupérer 40 ou 45% du livre scolaire qui était imprimé à près de 90% à l’étranger. Si la pénurie persiste, nous allons perdre encore une importante part de marché l’année prochaine», se désole-t-il.

Le manque de visibilité pèse sur les perspectives 
Pour le moment, ni les opérateurs nationaux ni les industriels internationaux ne peuvent se hasarder à formuler des prévisions sur une amélioration de la situation ou un retour à la normale. «Cela fait six mois que nous attendons un retour à la normale. Malheureusement, les prix ont continué à augmenter de mois en mois et le produit papier s’est fait de plus en plus rare», regrette Mounir El Bari. «En attendant, les producteurs de carton ondulé au Maroc ont usé de tous leurs historiques, partenariats... pour assurer l’approvisionnement en ce produit, dont une partie est désormais fabriquée au Maroc grâce à l’intégration verticale. Par contre, les imprimeurs connaissent une pénurie sans précédent de leurs intrants en papier. Plusieurs imprimeries sont actuellement à l’arrêt par manque de carton duplex, de papier couché et autres», fait-il savoir. 


La substitution aux importations, une solution à long terme

Pour Tarik Lallouch, l’une des solutions pour parer à la pénurie du papier et carton serait de se tourner vers des marchés «non traditionnels», sachant que les industriels marocains s’approvisionnent essentiellement auprès de partenaires européens.
«Les marchés de l’Amérique latine et de l’Asie pourraient être plus intéressants et ont de la disponibilité. L’ennui, c’est que les importateurs marocains ne bénéficient pas d’avantages sur les droits de douane qui se situent actuellement entre 17 et 20%. Cela pèserait considérablement sur le prix du papier et aurait une grande incidence sur le prix de vente du produit final», relève-t-il. «Nous avions tenu une réunion avec Ryad Mezzour, peu avant sa nomination en tant que ministre de l’Industrie et du commerce, pour sensibiliser le gouvernement à ce sujet, surtout pour le carton d’emballage plat, utilisé notamment dans l’industrie alimentaire, qui est 100% importé de l’étranger», indique le président du GMI, précisant qu’une autre réunion est prévue avec le ministère pour trouver une solution relative aux droits d’importation.
«Cette mesure nous permettrait, à court terme, de répondre à la demande. Mais l’idéal serait de créer des unités de fabrication locales et d’assurer ainsi notre propre approvisionnement en papier et carton à l’instar de la Tunisie et de l’Égypte. Et c’est ce qu’on est en train de mettre en place au niveau du groupement», annonce-t-il. «Nous sommes également en train de chercher des imprimeurs d’une taille assez importante qui pourraient s’unir en GIE (groupement d’intérêt économique) pour créer des unités de fabrication de la matière première locale». Des investisseurs étrangers seraient intéressés par le marché marocain. De leur côté, les imprimeurs nationaux sont de plus en plus conscients de la nécessité de produire localement pour s’affranchir de la dépendance aux importations et éviter les pénuries. «Le Maroc peut devenir un champion africain de l’impression papier carton. Nous avons un grand potentiel et notre industrie n’a rien à envier aux industries à l’international. Il suffit d’une concentration des différents industriels et investisseurs pour y parvenir», estime le président du GMI.

Lisez nos e-Papers