Conseil : Parmi les styles de management innovants figure celui mis en avant par Mats Alvesson et André Spicer : la théorie de la stupidité fonctionnelle. Concrètement, à quoi réfère ce concept ?
Comment ce type de management peut-il être déployé en entreprise, notamment en cette période de crise sanitaire ?
La stupidité fonctionnelle implique de demander aux collaborateurs de suivre la stratégie de l’entreprise et d’appliquer strictement les règles sans poser de questions. Nous pouvons ainsi déduire qu’une telle démarche ou qu’un tel style de management peut être utile lors des premiers mois d’une crise, telle que celle que nous traversons. À titre d’exemple, au début de la crise sanitaire liée à la Covid-19, nous avions remarqué une augmentation du taux de contaminations et de mortalité et la plupart des managers avaient décidé de basculer vers le télétravail, et ce dans le respect du confinement. Les employés devaient rapidement suivre le nouveau rythme sans trop poser de questions. Toutefois, comme je viens de préciser, cela peut marcher sur le court terme seulement. En effet, si on demande aux collaborateurs de continuer à suivre les règles sans leur communiquer les raisons des décisions prises et sans pour autant les impliquer, cela risque d’impacter négativement leur rendement. Pour donner plus d’espaces aux collaborateurs, il est recommandé d’installer des mécanismes de réflexion partant du principe que les employés et leurs managers forment une seule entité qui va prendre des décisions efficaces. Malheureusement, le top management et les comités de direction ne donnent pas assez d’espace ni aux collaborateurs, ni aux middles managers, et c’est là un vrai danger, surtout dans un contexte marqué par des craintes, des peurs et des incertitudes. Cela dit, il est important de donner le droit aux collaborateurs de s’exprimer et de partager leurs points de vue. Je pense que le moyen le plus efficace, notamment en temps de crise, serait de chercher à avoir un mix qui revient à instaurer un espace où les collaborateurs appliqueront les règles convenues et en même temps de créer d’autres espaces où ils vont réfléchir aux astuces pour faire face à la crise.D’après vous, quelle place pour ce type de management au Maroc ?
Aujourd’hui, nous ne disposons pas de chiffres d’études sur le terrain ni d’enquêtes pour identifier les entreprises qui emploient cette démarche. Toutefois, à travers les accompagnements professionnels sur le terrain, je peux dire que ce type de management est appliqué quand il y a des situations de stress, en termes d’opérations et de crise. Et cela a été justement observé pendant les crises, vers les années 2012-2013 et même en 2020. Maintenant, la vigilance, c’est qu’à terme, ce type de management ne permet pas l’évolution et l’empowerment des collaborateurs. Il ne permet pas de faire grandir les équipes. Le risque apparent, c’est qu’à un moment donné, on ne va certainement pas trouver en interne des collaborateurs qui vont reprendre le flambeau, surtout si l’entreprise décide de garder la prise de décision juste entre les mains de certains responsables. C’est pour cela qu’il est recommandé de permettre aux collaborateurs qui ne sont pas dans des positions stratégiques de participer à la prise de décision. Il faut aussi leur permettre l’accès aux informations et les responsabiliser davantage tout en leur demandant d’être des forces en termes de propositions pour sortir de la crise. Aujourd’hui, nous constatons à travers la crise liée à la Covid-19 que les modèles traditionnels de management ont vraiment fait preuve de saturation et de limites. Ce sont d’ailleurs les entreprises ayant fait preuve de créativité et d’innovation qui ont réussi à développer des marchés de niche. Des processus longs de décision ont été beaucoup plus dangereux et n’ont pas contribué à bien accompagner l’année 2020. Des comportements à moindres coûts ont certainement fait la différence.Comment ce type de management peut-il impacter les collaborateurs ?
Ce type de management peut être accepté, toléré, voire nécessaire pour des collaborateurs qui sont à des stades juniors, c’est-à-dire qui viennent de commencer leur travail. Ils ont besoin de cadres précis et de directives pour apprendre leur métier. Il y a aussi des profils de personnalité qui ont besoin qu’on leur dise exactement quelle est la tâche qu’ils devraient exécuter. Maintenant, la vigilance est de mise avec des collaborateurs qui sont seniors, qui sont experts et qui ont atteint un stade où ils vont vouloir proposer, innover et donc apporter leur touche à l’édifice. Des profils de personnalité également, qui n’ont pas cette aisance d’accepter une règle qui tombe du ciel et qu’on leur demande d’appliquer sans se poser de questions. Pour les personnes intelligentes et les organisations intelligentes, il faut faire attention avec ce style de comportement. La limite est là, donc attention par rapport à l’expertise, à la séniorité et aussi au profil de personnalité des collaborateurs.