Après l’annonce des résultats des élections législatives de 2021, encore provisoires à l’heure où nous mettions sous presse, place aux analyses et décodages des enjeux de ce scrutins pour les partis politiques, et particulièrement la percée du Rassemblement national des indépendants (RNI) et la chute du Parti de la justice et du développement (PJD). «Le Matin» a contacté Mustapha Sehimi, professeur de droit et politologue, et David Goeury, chercheur associé à Tafra et géographe au laboratoire Médiations, pour avoir leur lecture des résultats de ces deux formations rivales.
Le quotient électoral n'est pas responsable de l’échec du PJD, affirme M. David Goeury
Sur les raisons de l’échec du PJD et un probable impact de l’entrée en vigueur du quotient électoral, longtemps critiqué par le parti, le professeur en droit Mustapha Sehimi est ferme : «Ce serait réducteur et peu explicatif que d’invoquer l’effet de ce mécanisme pour appréhender les résultats du PJD que le politologue qualifie de déroute puisque le parti a reculé de 124 à 12 sièges, selon les résultats provisoires. D’ailleurs, remarque-t-il, les responsables du parti n’ont pas invoqué ce point depuis l’annonce des résultats. Il existe par contre un certain nombre de facteurs qui expliquent, selon l’expert, ce recul du parti resté au pouvoir pendant deux mandats successifs. D’abord, l’usure politique après deux mandats à l’exécutif qui font qu’il ne constitue plus un parti qui pourrait porter le changement. «Les électeurs aspirent à de forts changements, mais à la lecture du bilan du parti où il y a certes de l’actif, mais un grand passif, les électeurs avisés sont convaincus que ce parti n’est plus en capacité d’engager ni de mettre en œuvre des réformes».Le deuxième facteur invoqué par M. Sehimi est celui relatif à l’offre programmatique du parti qui «manque d’identité et de singularité». Ensuite, il y a l’élément relatif à la scission au sein du parti. «Le parti est un parti divisé entre la ligne participationniste à tout prix avec une vocation gouvernementale affirmée, et une autre ligne qui prône la distanciation par rapport à cette approche», explique M. Sehimi. Le quatrième élément avancé par le politologue est lié aux «promesses faites par le PJD qui n’ont pas été tenues», notamment sur le volet économique et social. L’autre facteur d’échec s’explique selon M. Sehimi par le «manque de charisme politique» du Chef du gouvernement sortant, contrairement à son prédécesseur qui était «une machine électorale». Le dernier élément invoqué par M. Sehimi est en lien avec la position du PJD sur la scène politique. «Le parti avait devant lui une alternative, avec des partis qui se présentaient comme porteurs de changement et c’est ce que les Marocains attendaient», note l’expert en faisant allusion au RNI et au Parti de l’Istiqlal. «La vague islamiste a épuisé ses effets», résume l’expert.
Tout en mettant son analyse au conditionnel en attendant des résultats plus détaillés, David Goeury, géographe au laboratoire Médiations, chercheur associé à Tafra, explique que le PJD n’a pas été sanctionné par le quotient électoral. «Bien au contraire, c’est peut-être cette réforme qui lui a permis de conserver certains sièges», précise-t-il. Et d’expliquer que le parti islamiste a été marqué par une baisse très forte de la mobilisation de ses électeurs. «Déjà, depuis les élections syndicales, le PJD n’a pas réussi à se qualifier pour le dialogue social, il avait perdu son électorat, notamment des salariés du public et tout particulièrement de l’Éducation nationale. Ensuite, il a eu énormément de mal à convaincre les électeurs des Chambres d’artisanat et des Chambres de commerce et d’industrie, où il réalise un très faible score en août. Et puis, surtout, le PJD n’a pas réussi à mobiliser ses candidats, puisqu’il a perdu 47 de ses candidats aux élections communales entre 2015 et 2021». Ces éléments confondus font, selon l’expert, que le parti a continué à perdre son audience auprès d’un certain nombre de catégories socioprofessionnelles et, surtout, son réseau de militants qui avait mené campagne pour lui. «Le PJD a en fait subi un vote sanction dans les grandes villes du fait du bilan très mitigé des présidents des communes PJDistes, que ce soit à Rabat, Casablanca, Marrakech, Fès, Tanger ou Agadir.
Voici comment s'explique la percée du RNI selon nos experts
Les deux politologues expliquent la victoire du RNI principalement par un travail de longue haleine et de la proximité qui ont fait de lui une alternative pour le changement. David Goeury estime que la percée du RNI s’explique par la très forte mobilisation du parti pour les élections communales, et notamment sa capacité à mobiliser, depuis longtemps, des candidats sur l’ensemble du territoire et d’avoir le meilleur taux de couverture avec près de 80% des circonscriptions. Le parti a pu disposer d’un réseau de candidats qui pouvaient défendre ses couleurs sur tout le territoire marocain. Une approche appliquée également chez le PAM et l’Istiqlal, note l’expert. Mais la différence, c’est que le RNI a aussi bénéficié d’une campagne dans les villes, qui a été très particulière, notamment via l’initiative «100 jours-100 villes» pour aller à la rencontre des citoyens urbains marocains. «Ce travail sur le terrain a été doublé d’une intense campagne sur les réseaux sociaux adressée prioritairement à des jeunes et des femmes urbains qui étaient donc à même d’adhérer au programme du parti», remarque-t-il. «Donc, la victoire du RNI a été obtenue par deux stratégies très différentes, une stratégie très importante de mobilisation électorale sur le terrain, dans les communes rurales et les petites villes, et une stratégie de mobilisation autour de son programme, des nouveaux profils d’électeurs qui sont les jeunes et les femmes en milieu urbain, résume l’expert.Pour le politologue Mustapha Sehimi, la victoire du RNI est la résultante d’un travail acharné depuis plus de deux ans pour lequel le parti a engagé les moyens nécessaires et des initiatives sur le terrain visant la proximité avec les citoyens. «C’est une machine électorale qui s’est reconstituée autour d’un leadership et avec le soutien d’un certain nombre de dirigeants du parti et de nouvelles potentialités, notamment représentées par les jeunes», note M. Sehimi. Selon lui, le RNI a opéré une mutation en élargissant ses réseaux en dehors des secteurs traditionnels et électoraux et en se positionnant en un parti porteur d’une vision alternative. Le politologue évoque une stratégie de communication efficace basée, entre autres, sur les nouvelles technologies, avec une présence massive sur les réseaux sociaux.