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La violence exercée par un partenaire intime aussi fréquente que difficile à vaincre

Selon l’Organisation mondiale de la santé, la violence exercée par un partenaire intime est l’une des formes les plus courantes de violence à l’égard des femmes. Celle-ci couvre les sévices physiques et sexuels, la maltraitance psychologique et les comportements tyranniques et dominateurs. Afin de produire une base de connaissances sur ce type de violence très fréquent au Maroc, l’association MRA (Mobilising for Rights Associates) a réalisé une recherche-action, en collaboration avec 4 associations.1.231 femmes ont été interrogées dans le cadre de cette enquête. Pour la majorité, plus de sept sur dix, les agresseurs sont les maris. D’autres actes de violence signalés ont été exercés par les ex-maris, ex-fiancés et ex-petits amis.

La violence exercée par un partenaire intime  aussi fréquente que difficile à vaincre

Mieux comprendre les violences commises par un partenaire intime

Les violences exercées par un partenaire intime se caractérisent par un comportement violent continu de la part de l’agresseur, car la majorité des femmes interrogées dans le cadre de l’enquête ont signalé des actes de violence fréquents et répétés sur une longue durée. Plus de six femmes sur dix ont signalé des violences qui duraient plus d’un an. Les incidents uniques de violence sont l’exception. Ces actes de violence ont lieu le plus souvent dans l’intimité de la maison sans aucun témoin oculaire. «Les agresseurs ont commis un large éventail de comportements violents de manière simultanée, la violence psychologique étant la plus répandue, suivie de la violence économique et physique. Les manifestations fréquentes comprenaient le viol conjugal, l’expulsion du domicile familial, les injures et la diffamation, la privation des documents d’identité ou des frais médicaux, et le vol de biens personnels», indique-t-on dans le rapport de la recherche-action.
D’après les victimes, les violences par un partenaire intime étaient le plus souvent utilisées comme un outil pour contrôler le comportement des femmes, soit pour la forcer à s’engager dans une relation sexuelle, à se marier ou à lui remettre de l’argent ou des biens, soit pour forcer la femme à mettre fin à la relation elle-même et à renoncer à tous les droits personnels et financiers qu’elle aurait pu réclamer.

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Quel impact sur la vie des femmes et leur entourage ?

L’enquête révèle que les femmes subissent une multitude de préjudices psychologiques, économiques, physiques, familiaux, sociaux, sexuels et professionnels en raison des violences exercées par un partenaire intime. Les autres conséquences comprennent également des handicaps temporaires ou permanents, la situation de sans-abri, la privation de soutien financier, les grossesses non désirées, les tentatives de suicide, et les poursuites et l’emprisonnement de la victime pour relations sexuelles hors mariage.
La majorité des femmes victimes de violence par un partenaire intime ne font que des recours civils, comme le divorce, les déclarations de paternité et le soutien financier pour leurs enfants. Elles n’engagent jamais le système de justice pénale. Il y a souvent un décalage de temps important entre la violence et son signalement, car souvent les femmes ne signalent pas la violence exercée par un partenaire intime ou ne sollicitent l’aide des services publics qu’après des années de violence.
Par ailleurs, plus de 80% des femmes interrogées avaient contacté et demandé de l’aide à une personne de leur entourage, le plus souvent un membre de leur famille de confiance ou une association féminine locale. Les réactions des familles ont été mitigées. «Les réponses de soutien comprenaient l’offre d’un abri pour elle et ses enfants, l’accompagnement aux services publics, la protection contre l’agresseur, de l’aide à mettre fin à la violence, une aide financière et un soutien moral. Les réponses neutres incluaient consistaient lui dire d’être patiente ou de ne rien faire. Les réponses néfastes ont consisté à l’expulser de la maison familiale, à la forcer à retourner auprès d’un mari violent, à la blâmer et à la menacer de violence physique», révèle l’étude.

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Les victimes souvent forcées de retirer leur plainte

L’association MRA Mobilising for Rights Associates a constaté que les autorités publiques ont tendance à se concentrer sur la nature de la relation entre l’auteur et la victime plutôt qu’à enquêter activement sur les actes de violence. «Dans 7% des affaires pénales devant les tribunaux, les victimes de violence par un partenaire intime non mariées étaient elles-mêmes poursuivies pour relations sexuelles hors mariage. D’autre part, les victimes mariées subissent des pressions pour renoncer aux plaintes pénales et sont ramenées au domicile conjugal», apprend-on dans la recherche. «75% des répondants en ligne et 83% des femmes interrogées ont signalé la violence sexuelle à au moins un acteur public. Les tribunaux sont le secteur vers lequel les femmes se tournent le plus souvent à un moment donné, étant donné la prévalence de rechercher uniquement des recours civils en vertu du Code de la famille dans les affaires de violence commises par un partenaire intime».
L’association a relevé, en outre, divers obstacles économiques, juridiques et sociaux, ainsi que des menaces à leur sécurité, qui empêchent les femmes de signaler ce type de violence aux autorités publiques, ou les amènent à retirer leur plainte. Ceux-ci incluent des menaces d’être poursuivies elles-mêmes pour des relations sexuelles en dehors du mariage, la non-criminalisation du viol conjugal, le pessimisme et le scepticisme que le signalement conduirait à un résultat, des procédures peu claires et compliquées, un manque de confiance dans le système, des exigences de preuve impossibles, des menaces de l’agresseur et les mauvais traitements de la part des acteurs publics. Ces femmes rencontrent également des difficultés financières et l’incapacité de payer les frais de déplacement, les frais juridiques et les dépenses liées à la notification et convocation de l’agresseur par l’agent d’exécution. «La recherche-action n’a révélé aucun cas où les femmes bénéficiaient des mesures de protection disponibles dans le Code pénal et le Code de procédure pénale actuels. Un bon nombre de femmes victimes de violence exercée par un partenaire intime ne s’engage jamais dans le système de justice pénale et ne dépose des plaintes que devant le tribunal de la famille et que pour des recours civils tels que le divorce, le soutien financier et la détermination de la paternité. La grande majorité des cas de divorce où il y a violence par un partenaire intime est jugée “pour raison de discorde” au lieu de divorces pour faute pour préjudice subi», précise l’association.


Questions à Stephanie Willman Bordat, membre fondatrice de MRA/Mobilising for Rights Associates

«Rester avec le partenaire violent est la solution “la moins mauvaise” ou souvent la seule possibilité»

Le Matin : Pourquoi avez-vous choisi de faire une recherche-action au sujet de la violence exercée par un partenaire intime ?
Stephanie Willman Bordat
: Nous avons décidé de faire une recherche action au sujet de la réponse de l’État aux violences exercées par un partenaire intime pour plusieurs raisons.
Selon le dernier rapport du HCP, le contexte intime reste le plus marqué par la violence, avec une prévalence de 46%. De la même façon, notre rapport précédent sur les violences sexuelles faites aux femmes au Maroc a démontré que la majorité des viols – plus que 7 sur 10 – sont commis par un partenaire intime ou ex-partenaire intime (mari, fiancé ou petit ami). Cependant, le contexte juridique actuel au Maroc, qui criminalise les relations sexuelles en dehors du mariage à travers l’article 490 du Code pénal, fait qu’on ne parle le plus souvent que de «violences conjugales» dans le cadre du mariage légal. Chose qui exclut et garde caché toutes les violences exercées par les auteurs autres que les maris légaux.
Selon le même rapport du HCP, moins de 8% de victimes de violence domestique ont porté plainte auprès de la police, contre 11,3% pour la violence non domestique. Il faut enquêter sur les raisons de cela, en regardant comment la réponse actuelle de ces services dissuade les femmes de signaler les violences. La plupart des études sur les violences faites aux femmes généralement se concentrent sur les caractéristiques démographiques des femmes, les taux de prévalence et les types de violence. Ces rapports sont donc limités dans leur approche et leur contenu, ils n’évaluent pas la performance des services publics, la manière dont les institutions publiques répondent aux cas de violences faites aux femmes, ou l’efficacité de ces interventions. Il faut combler ces lacunes pour établir une base de référence permettant de suivre et évaluer la mise en œuvre et l’efficacité des dispositions juridiques, identifier les lacunes dans la réponse de l’État à ces violences, démontrer la nécessité de réformes spécifiques des lois, des politiques et des services, et développer une approche factuelle pour des propositions spécifiques de plaidoyer.

Comment peut-on expliquer le fait que ces femmes ne quittent pas leur partenaire violent ?
Elles n’ont pas d’autre alternative, rester avec le partenaire violent est la solution «la moins mauvaise» ou souvent la seule possibilité. Les obstacles à ce qu’une femme signale les violences sont énormes et nombreux. Il y a notamment des obstacles juridiques, tels que la non-criminalisation du viol conjugal, la criminalisation des relations sexuelles hors mariage, l’impossibilité d’apporter des preuves tangibles, le risque de perdre la garde des enfants, le manque de clarté ou des informations des autorités sur les lois et procédures...
La femme rencontre également des obstacles relatifs à sa sécurité personnelle. En effet, elle est très souvent sujette à des menaces contre elle et contre ses enfants, provenant de la part du partenaire, de la famille de ce dernier, ou de sa famille. Il s’agit de menaces de mort, de violences physiques, de divulguer des photos ou vidéos intimes sur les réseaux sociaux, d’être expulsée de la maison, d’être virée du travail, et autres.
Enfin, elles rencontrent des obstacles économiques, puisqu’elles sont généralement dépendantes financièrement du mari.
En fin de compte, avec l’approche des droits humains, ce n’est pas à la femme de quitter un partenaire violent. C’est à l’État d’éloigner le partenaire violent de sa victime en le retirant du domicile conjugal (chose qui malheureusement n’a pas été fait dans la loi 103-13 alors qu’elle faisait partie des demandes de plaidoyer des femmes et des associations pendant plus d’une décennie).

Quelles sont les meilleures approches pour prévenir et réagir à la violence exercée par un partenaire intime ?
Déjà, les dispositions juridiques actuelles doivent être révisées, car elles comportent des lacunes importantes et ne reflètent pas les réalités de la violence entre partenaires intimes à l’égard des femmes.
Il faut également que les lois, les procédures et les acteurs publics changent d’approche dans les cas de violences faites aux femmes. Actuellement, on ne cherche qu’à déterminer la relation entre la victime et l’agresseur, alors qu’on devrait se concentrer et se focaliser sur l’acte de violence commise.
Il faut mettre en place et appliquer les mesures de protection actuelles dans le Code pénal et le Code de procédure pénal en arrêtant la culture de l’impunité pour les auteurs de violence. Tant que les agresseurs ou les agresseurs potentiels savent qu’ils peuvent agir en toute impunité, ils ne vont jamais changer leur comportement. Et finalement, il faut arrêter avec cette approche qui ne cible que la femme comme responsable d’arrêter et de trouver une solution aux violences. 


8 réalités à connaître sur les violences faites aux femmes au Maroc

À l’occasion du 8 Mars (Journée internationale des droits des femmes),l’association MRA Mobilising for Rights Associates a dévoilé 8 réalités  à connaître sur les violences faites aux femmes au Maroc

1- Sept auteurs de violences sexuelles sur 10 sont des hommes appartenant à l’entourage personnel et intime des femmes.

2- Dans la majorité des viols, l’agresseur a utilisé la pression verbale et la coercition, la fraude et les fausses promesses, la manipulation et les menaces comme moyens de coercition, ou des situations dans lesquelles les femmes étaient incapables de donner leur consentement.

3- En 2019, il y a eu presque quatre fois plus de poursuites pour relations sexuelles hors mariage en vertu de l’article 490 du Code pénal (15.192 poursuites) que toutes les poursuites pour féminicide, viol, coups et blessures entraînant une incapacité supérieure à vingt jours, harcèlement sexuel dans l’espace public, harcèlement sexuel sur le lieu de travail et violation d’une ordonnance de non-contact toutes combinées (4.052 poursuites).

4-  Les incidents de violence ponctuels sont l’exception. La violence contre les femmes est le plus souvent fréquente et répétée, et a lieu sur une longue durée.

5-  Les femmes mariées ne signalent pas les violences parce que le viol conjugal n’est pas criminalisé et parce qu’elles seront renvoyées au domicile conjugal. Les femmes célibataires ne signalent pas les violences, car elles risquent d’être poursuivies pour relations sexuelles hors mariage.

6- Les réponses des forces de l’ordre, du secteur de la justice et du système de santé aux violences faites aux femmes se concentrent sur la relation entre l’auteur et la victime, plutôt que sur l’acte violent lui-même.

7-  Malgré l’existence de mesures de protection dans le Code pénal et le Code de procédure pénale, celles-ci sont très rarement émises par les acteurs du système judiciaire dans les affaires de violence à l’égard des femmes.

8- Les mobiles les plus courants pour les auteurs des violences faites aux femmes sont de faire de la pression ou la contrainte sur la femme pour entretenir une relation intime, l’extorsion ou la fraude pour obtenir de l’argent de la femme, et de se dérober aux obligations légales en matière familiale.


Plus d’une femme sur deux est victime d’actes de violence

Selon une note du Haut-Commissariat au Plan (HCP), publiée à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, en 2019, plus de 7,6 millions de femmes, soit 57,1%, ont subi au moins un acte de violence, tous contextes et formes confondus. Cependant, ni la scolarisation ni l’activité économique ne préservent les femmes contre la violence. Le contexte conjugal demeure l’espace de vie le plus marqué par la violence et la violence psychologique reste la forme la plus répandue.
«Avec une prévalence de 46,1% (5,3 millions de femmes), le contexte conjugal est le premier espace de violence envers les femmes. Le milieu éducatif vient au deuxième rang avec 22,4% des élèves ou étudiantes ayant subi un acte de violence au cours des 12 derniers mois. Dans le milieu professionnel, elles sont 15,1% des femmes qui ont été victimes de violence dans l’exercice de leurs activités. Dans l’espace public, 12,6% de femmes ont subi un acte de violence», a souligné le HCP.
Parmi l’ensemble des femmes victimes de la violence physique et/ou sexuelle, tous contextes confondus, 22,8% ont dû supporter, elles ou leurs familles, des coûts directs ou indirects de la violence. Le coût global de cette violence est estimé à 2,85 milliards de DH. En rapportant ce coût au nombre total des victimes, le coût moyen est de l’ordre de 957 DH par victime. 

 

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