Le nouveau Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, sur le point de former son cabinet, a intérêt à s’entourer d’une équipe gouvernementale efficace et compétente. En effet, les attentes des Marocains sont très grandes et les chantiers à lancer, et ceux à finaliser, sont décisifs pour l’avenir du Royaume. Généraliser la protection sociale, réformer le secteur de la santé et de l’éducation nationale, moderniser l’administration mais aussi assurer la reprise économique dans un contexte fortement marqué par la pandémie de la Covid-19… Tels sont les principaux défis à relever par l’Exécutif durant les cinq prochaines années. Contacté par «Le Matin», Zakaria Firano, professeur d’économie à l’Université Mohammed V de Rabat, revient sur ces différents défis érigés en priorités stratégiques pour les prochaines années.
Généralisation de la protection sociale, pour plus d’équitéChantier phare des cinq prochaines années, la généralisation de la protection sociale est un défi dont la mise en œuvre incombera au prochain gouvernement. Initiée par S.M. le Roi Mohammed VI, cette réforme est la plus importante jamais enclenchée au Maroc sur le plan social, selon les observateurs. Allant de la généralisation de l‘assurance maladie (AMO) à l’élargissement de l’adhésion au régime de retraite, cette nouvelle réforme permettra également, durant les cinq prochaines années, de généraliser les allocations familiales ainsi que les indemnités pour perte d’emploi.
En chiffres, ce chantier nécessitera pas moins de 51 milliards de DH annuellement. La généralisation de l’AMO, qui sera effective dès 2022 et concernera 22 millions de personnes, coûtera quelque 14 milliards de dirhams par an, alors que la généralisation des allocations familiales coûtera dans les 20 milliards de DH par an et concernera 7 millions d’enfants en âge de scolarité. Quant à l’élargissement des bénéficiaires des régimes de retraite et la généralisation de l’accès à l’indemnité pour perte d’emploi, Ils coûteront respectivement 16 et 1 milliard de dirhams par an. Le financement de cette réforme repose sur l’affiliation (28 milliards de DH) et la solidarité (23 milliards de DH) avait assuré le ministre sortant de l’Économie et des finances, Mohamed Benchaâboun.
Prioritaire, vu son caractère urgent et la population concernée, ce chantier a l’ambition de réduire les inégalités sociales mais aussi territoriales, estime le professeur des sciences économiques Zakaria Firano. Pour réussir ce pari, le prochain gouvernement devra adopter une flexibilité budgétaire qui lui permettra de lever les fonds nécessaires pour la mise en œuvre de ce chantier, toujours selon M. Firano. «La réussite de ce projet est également tributaire de la mise en œuvre des nouveaux systèmes de ciblage, notamment le registre social unifié et le registre national de la population», explique notre interlocuteur.
Pas de protection sociale sans un système de Santé performant La généralisation de la protection sociale, notamment dans son volet relatif à l’assurance maladie obligatoire, est tributaire d’un système de santé solide est efficace. Le nouveau gouvernement aura la lourde tâche de mettre à niveau le système de santé national. Vers la fin de son mandat, le gouvernement sortant a finalisé le volet législatif relatif à cette réforme, mais tout reste à faire au niveau de l’exécution. Cette nouvelle réforme repose sur 4 piliers essentiels : la valorisation des ressources humaines, la réhabilitation de l’offre sanitaire en renforçant la dimension régionale, l’adoption d’une nouvelle gouvernance dans le système de santé et le développement du système informatique.
Pour le professeur Zakaria Firano, avec l’éducation nationale, la santé est l’un des secteurs sociaux où le gouvernement devra faire ses preuves et en urgence. Marqué par un déséquilibre aussi bien au niveau de l’offre que de la demande, ce secteur est à reformer de fond en comble. Selon l’universitaire, le volet de l’offre devra être renforcé au niveau des infrastructures ainsi qu’au niveau des ressources humaines. Sur ce dernier point, M. Firano fait remarquer que les besoins en médecins dépassent les 30.000 sur l’ensemble du territoire nationale, d’où l’importance de relever le défi de la formation. Sur le plan de la demande, le déséquilibre se fait sentir, vu que seulement 26% de la population bénéficient actuellement d’une couverture médicale. «Étant un droit pour tous, le gouvernement devra œuvrer pour un accès équitable aux soins pour tous les marocains», souligne le professeur des sciences économiques.
À rappeler que lors de la présentation de ces réformes, le ministre sortant de la Santé, Khalid Aït Taleb, avait précisé que la valorisation des ressources humaines est un objectif qui sera atteint grâce à la révision de la loi n° 131-13 relative à l’exercice de la médecine pour lever les obstacles et restrictions qu’elle impose sur les médecins étrangers au Maroc. La loi-cadre n° 34-09 relative au système de santé et à l’offre de soins a été également révisée afin de créer une fonction publique de santé, d’adapter la gestion du capital humain de la santé aux spécificités des métiers de la santé, d’améliorer l’attractivité du secteur, de stimuler la composante humaine ainsi que de réformer la formation dans le domaine de la santé.
Réforme du secteur public, pour une administration efficaceEnclenchées sous l’Exécutif précédent, la réforme du secteur public ainsi que celle de l’administration publique sont stratégiques et devront se poursuivre avec le nouveau gouvernement. L’une des principales étapes de cette réforme était la création de l’Agence nationale de gestion stratégique des participations de l’État et de suivi des performances des établissements et entreprises publics. Mise en place en application des Hautes Directives de S.M. Le Roi Mohammed VI contenues dans son discours du Trône du 29 juillet 2020 et se référant aux recommandations de la Commission spéciale sur le nouveau modèle de développement insistant sur le positionnement des établissements et des entreprises publics comme moteurs pour le développement économique, cette agence marque une nouvelle étape dans la gestion des entreprises nationales.
Selon l’universitaire Zakaria Firano, même si cette réforme est déjà enclenchée, plusieurs défis attendent le prochain gouvernement, qui devra être en mesure de déterminer les entreprises qui vont disparaître ou fusionner avec d’autres et celles qui deviendront des sociétés anonymes. Le professeur des sciences économiques estime également que le gouvernement va aussi déterminer la structure de gouvernance au niveau de ces entreprises, mais également au niveau de l’administration publique. «Le sujet des relations entre l’administration et les usagers est à prendre très au sérieux», affirme le chercheur qui rappelle par ailleurs l’importance de la mise à niveau des ressources humaines aussi bien au niveau de l’administration qu’au niveau de la gestion des entreprises de l’État. «Les gestionnaires des entreprises publiques doivent être à la hauteur des missions qui leur sont conférées afin d’éviter la déperdition des ressources», a-t-il affirmé.
Relance économique post-Covid, tout est question de croissance
La crise sanitaire liée à la Covid-19 a engendré une crise économique qui se fait sentir au niveau mondial. Le Maroc n’a pas été épargné et son économie a connu une forte régression, qui semble s’atténuer avec le temps. Le prochain gouvernement aura la lourde tâche de panser les plaies de l’économie nationale afin de renouer avec la croissance, mais à des taux importants. «La mise en œuvre de tous les chantiers précités est tributaire de la croissance que l’économie nationale réalisera dans les prochaines années», souligne l’universitaire Zakaria Firano.
Selon ce professeur des sciences économiques à l’Université Mohammed V de Rabat, le gouvernement devra avoir le courage de déterminer clairement la politique économique du Maroc. En clarifiant le positionnement économique du Maroc, le gouvernement pourra drainer plus d’Investissements vers les secteurs ciblés tout en formant les ressources humaines nécessaires à leur développement. «Pour atteindre un taux de croissance de 6%, comme évoqué dans le rapport de la Commission spéciale sur le modèle de développement, le gouvernement doit se concentrer sur des secteurs à forte valeur ajoutée», a-t-il souligné.
Toujours dans ce volet relatif à la croissance, M. Firano affirme que l’objectif fixé après 2030 est d’avoir atteint un taux de croissance de 10%. Un objectif qui ne peut être réalisé que si le Maroc fait le choix d’investir dans les nouveaux secteurs tout en renforçant le taux d’intégration dans les secteurs actuels, comme l’automobile, afin d’atteindre une maîtrise complète de la technologie. Par ailleurs, le chercheur insiste sur l’importance de la coordination entre les différentes politiques sectorielles dans le cadre de la politique économique nationale.
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Préparer le terrain aux réformes préconisées par la CSMD
Parallèlement aux chantiers urgents, le futur exécutif aura la responsabilité de préparer le terrain pour la mise en œuvre des réformes préconisées par la Commission spécial sur le modèle de développement dans son rapport. Cette feuille de route, qui définit une ambition nationale et propose un «chemin du changement crédible et réalisable», sera un test à l’aune duquel l’efficacité et la crédibilité du futur gouvernement seront jugées. Le nouveau modèle de développement traduit en effet une ambition commune, celle d’un Maroc prospère, d’un Maroc des compétences, d’un Maroc inclusif et solidaire, d’un Maroc durable et d’un Maroc de l’audace.
Cette ambition a été «traduite en objectifs de développement ciblés, ambitieux mais tout à fait à la portée», qui propulseraient le Royaume dans beaucoup de domaines dans le tiers supérieur des différents classements mondiaux des Nations d’ici 2035 et qui lui permettraient de consacrer davantage sa vocation de modèle dans sa région et bien au-delà. Parmi ces objectifs, figurent le doublement du produit intérieur brut par habitant à l’horizon 2035, une maîtrise des apprentissages de base à la fin du cycle primaire par plus de 90% des élèves, l’augmentation du nombre de médecins par habitant pour atteindre les normes de l’OMS, la réduction à 20% de la part de l’emploi informel, l’élargissement du taux de participation des femmes à 45%, contre 22% en 2019, un taux de satisfaction des citoyens envers l’administration et les services publics de plus de 80%.