Le mercredi 1er octobre 2025, coïncidant avec la Journée internationale des personnes âgées, le siège du Conseil économique, social et environnemental (CESE) à Rabat a abrité un atelier de restitution consacré à la présentation des principales conclusions et recommandations du focus de son rapport annuel 2024. Il s’agit du document intitulé «Intégration socio-économique des personnes âgées (PA) au Maroc: pour mieux se préparer à s’adapter au vieillissement démographique rapide».
Une bombe démographique à retardement
«Cette rencontre revêt une portée symbolique particulière», a souligné Abdelkader Amara, président du CESE, en ouvrant les travaux de cet atelier. Le choix de cette date n'est pas fortuit. L'ONU célèbre cette année cette journée sous un thème révélateur: «Le leadership des personnes âgées pour l'action locale et mondiale: nos aspirations, notre bien-être, nos droits».
Les chiffres présentés dans le focus du rapport annuel 2024 du CESE ont de quoi alerter. En l'espace d'une décennie seulement, la proportion de Marocains âgés de 60 ans et plus est passée de 9,4% en 2014 à 13,8% en 2024, selon les derniers résultats du Recensement général de la population et de l'habitat. Plus inquiétant encore, les projections du Haut-Commissariat au Plan annoncent que cette catégorie pourrait représenter 23% de la population d'ici 2050, soit environ 10 millions d'individus. Cette accélération du vieillissement démographique, conjuguée à la chute de la fécondité – passée de 7,2 enfants par femme en 1960 à 1,97 en 2024 –, place le Royaume face à des défis inédits. «L'intégration socio-économique de cette frange de la population ne relève pas seulement d'un impératif de justice sociale», a martelé le président Amara, «mais constitue également une véritable opportunité stratégique pour le développement humain, territorial et économique».
Un diagnostic sans concession
Le rapport, fruit d'une approche participative incluant auditions d'acteurs clés et consultations citoyennes via la plateforme «ouchariko.ma», dresse un tableau sombre de la réalité. Abdelmaksoud Rachdi, rapporteur de la commission chargée de l'analyse de la conjoncture économique et sociale, ne mâche pas ses mots: «52,4% des personnes âgées ne disposent d'aucun revenu fixe leur garantissant des conditions de vie dignes».
Les données révèlent aussi une accumulation de vulnérabilités: 71,6% d'analphabétisme parmi les plus de 60 ans, 64,4% souffrant d'au moins une maladie chronique, 11% victimes de violences dont près de 44% au sein même du foyer familial. Face à cette détresse, l'offre institutionnelle apparaît dérisoire: seulement 72 établissements de protection sociale sur tout le territoire national et deux structures hospitalières dédiées, toutes situées dans la région de Rabat-Salé-Kénitra.
Un changement de paradigme nécessaire
Le CESE plaide pour une révolution des mentalités. «Il est temps de changer de paradigme dans notre approche des personnes âgées», a insisté M. Amara, appelant à ne plus les considérer «uniquement comme des individus nécessitant soins et prise en charge, mais comme un capital humain productif». Cette vision novatrice s'incarne dans le concept de «silver economy» que le Conseil promeut activement. Selon les projections du ministère de l'Économie et des finances présentées dans le rapport, les dépenses de consommation des personnes de 60 ans et plus pourraient passer de 53 milliards de dirhams en 2014 à 646 milliards en 2050, représentant alors 22% des dépenses totales. Le Conseil recommande l'accélération de la mise en œuvre du Plan d'action national pour la promotion du vieillissement actif 2023-2030 et préconise l'adoption d'une loi-cadre définissant les objectifs fondamentaux de l'action publique. Cette approche intégrée s'articule autour de trois axes: des mesures immédiates de soutien, le renforcement de la gouvernance institutionnelle et le développement structuré d'une économie dédiée aux seniors.
L'urgence est palpable. Alors que le Maroc se trouve à l'aube de sa troisième phase de transition démographique, la fenêtre d'opportunité pour agir se referme rapidement. Le message du CESE est clair: sans action immédiate et coordonnée, le pays risque de transformer ce qui pourrait être un dividende démographique en fardeau social insurmontable.
Une vulnérabilité croissante face à l’érosion des filets de sécurité familiaux
Le tissu social marocain est mis à rude épreuve face à une transition démographique brutale. Entre 2014 et 2024, la proportion de personnes âgées a bondi de 9,4 à 13,8%, révèle le dernier recensement. Cette accélération sans précédent met à nu l'effondrement du modèle familial traditionnel. L'urbanisation galopante, atteignant 62,8% en 2024, a affaibli les solidarités ancestrales. Dans les villes, 43,5% des logements sont des appartements exigus d'une à deux pièces, rendant impossible la cohabitation intergénérationnelle. Plus alarmant : 52,4% des seniors survivent sans revenu fixe, alors que l'espérance de vie grimpe à 76,7 ans.
La taille moyenne des ménages marocains est passée de 5,3 personnes en 2004 à 3,9 en 2024. Cette statistique, présentée mercredi par le CESE, résume à elle seule l'ampleur du séisme sociétal qui frappe le Royaume. Les grandes demeures familiales où cohabitaient trois générations appartiennent désormais au passé : elles ne représentent plus que 2,6% des logements urbains.
L'urbanisation, fossoyeuse des solidarités traditionnelles
«Nous assistons à une transformation sociétale profonde qui menace le rôle traditionnel de la famille comme filet de sécurité des personnes âgées», a déclaré Abdelmaksoud Rachdi, rapporteur du focus thématique, lors de la présentation du rapport du CESE. Cette mutation s'accélère sous l'effet d'une urbanisation qui a bondi de 51,4% en 1994 à 62,8% en 2024.
Le document du CESE pointe une réalité cruelle : la mobilité professionnelle disperse les familles, l'exode rural vide les campagnes de leurs jeunes, et les logements urbains rétrécissent inexorablement. Dans ce contexte, maintenir ses parents âgés devient un défi logistique et financier insurmontable pour de nombreux foyers. Cette nucléarisation forcée des familles s'accompagne d'un phénomène inquiétant. Les personnes âgées de 60 ans et plus, qui étaient 2,4 millions en 2004, dépassent aujourd'hui les 5 millions. Parmi elles, 58,6% ont entre 60 et 69 ans, encore capables de contribuer à la société, tandis que 41,4% ont franchi le cap des 70 ans et nécessitent souvent une prise en charge accrue.
Une paupérisation massive des aînés
Les données économiques présentés dans le rapport du CESE brossent un tableau sombre. «Plus de la moitié des personnes âgées, soit 52,4%, ne disposent d'aucun revenu fixe leur permettant d'assurer des conditions de vie dignes», révèle le rapport. Parmi ceux qui perçoivent un revenu, seulement 49,2% bénéficient d'une pension de retraite. Les autres survivent grâce au soutien familial (25,6%), à leurs biens (11,8%) ou à l'aide de proches (4,6%).
Cette précarité économique s'aggrave dans un contexte d'inflation persistante. Le CESE souligne que 74,3% des personnes âgées qui travaillent encore déclarent ne plus être capables de poursuivre leur activité, dont 63% dans la tranche 60-69 ans. Un paradoxe cruel alors que l'espérance de vie à 60 ans atteint désormais 21 années supplémentaires.
Le Code de la famille dépassé par les réalités sociales
L'article 189 du Code de la famille marocain institue certes une «obligation alimentaire» envers les parents âgés incapables de subvenir à leurs besoins. Cette disposition légale, couvrant alimentation, habillement et soins médicaux, reste toutefois largement théorique face aux contraintes économiques des familles. «Le cadre juridique national s'est toujours appuyé sur les mécanismes familiaux traditionnels», note le rapport du CESE, «mais ces mécanismes sont aujourd'hui fragilisés par les mutations socio-économiques profondes». L'éloignement géographique, la précarité économique des jeunes générations et l'inadaptation des logements rendent cette obligation légale difficile à honorer.
2050 : l'urgence d'agir
Les projections du Haut-Commissariat au Plan repris dans le rapport donnent le vertige : d'ici 2050, le Maroc comptera 10 millions de personnes âgées, soit 23% de la population. Le taux de dépendance, déjà passé de 60% en 2014 à 68% en 2024, continuera sa progression inexorable. «L'intégration socio-économique des personnes âgées ne relève pas seulement d'un impératif de justice sociale», a insisté Abdelkader Amara, président du CESE. «Elle constitue une opportunité stratégique pour accélérer l'instauration d'un système social plus inclusif, résilient et performant». Le Conseil préconise l'adoption urgente d'une loi-cadre définissant les objectifs fondamentaux de l'action publique en matière d'intégration des seniors. Sans action immédiate, le Maroc risque de voir sa transition démographique se muer en crise sociale majeure, avec des millions de citoyens âgés abandonnés à leur sort dans un pays qui aura perdu ses mécanismes traditionnels de solidarité sans avoir construit d'alternatives viables.
Seules 16% des femmes âgées touchent une pension de retraite contre 41% pour les hommes
Le rapport du CESE présenté mercredi lève le voile sur une réalité occultée: celle des femmes âgées marocaines, premières victimes d'un système qui les a maintenues toute leur vie dans la dépendance pour les abandonner dans leurs vieux jours.
Une vieillisse qui rime avec précarité
Les chiffres présentés dans le rapport du CESE assènent une vérité brutale: le taux de veuvage des femmes âgées est dix fois supérieur à celui des hommes. «Cette disparité s'explique par une espérance de vie plus élevée chez les femmes – 78,6 ans contre 75,2 ans pour les hommes – mais aussi par les remariages plus fréquents des hommes veufs», analyse le document du CESE. Cette situation de veuvage plonge la majorité dans une précarité extrême. Le rapport révèle que 12% des femmes âgées vivent seules, contre seulement 3% des hommes. Cette solitude forcée s'accompagne d'une dépendance économique totale: 57,1% de celles qui travaillent encore le font comme aides familiales non rémunérées.
Abdelmaksoud Rachdi, rapporteur de la commission, explicite cette injustice: «Les femmes âgées consacrent quatre fois plus de temps aux activités domestiques et trois fois moins aux activités professionnelles que les hommes âgés. Cette répartition inégale des tâches les a privées toute leur vie de la possibilité de cotiser pour une retraite».
L'analphabétisme, prison invisible
Neuf femmes âgées sur dix sont analphabètes. Cette statistique effrayante, soulignée dans le rapport, «renforce leur dépendance au sein de la famille et limite drastiquement leur autonomie». Sans capacité de lecture, impossible de gérer ses papiers administratifs, de comprendre une ordonnance médicale ou de suivre l'évolution de ses droits. «L'analphabétisme constitue une double peine», note le document du CESE. «Il maintient ces femmes dans une vulnérabilité permanente face aux démarches administratives et réduit leur autonomie au quotidien.» Cette situation est encore plus critique en milieu rural où le taux grimpe à 88,3%. Le président du CESE, Abdelkader Amara, a souligné lors de la présentation du rapport: «Cette génération de femmes a été sacrifiée sur l'autel des traditions. Elles ont consacré leur vie à élever leurs enfants et servir leur famille sans jamais avoir accès à l'éducation ou à l'emploi formel».
Une violence institutionnalisée
Plus troublant encore, le rapport révèle que 30% des femmes âgées de 60 ans et plus sont victimes de violences. Le HCP précise que 43,9% de ces violences surviennent au sein même du foyer familial. «Cette violence s'explique en partie par une sensibilisation insuffisante des jeunes générations à la valeur des personnes âgées», analyse le document. Sur le plan sanitaire, 73% souffrent d'au moins une maladie chronique, mais 31,9% ne bénéficient d'aucune couverture médicale. Cette absence de protection sociale les contraint souvent à renoncer aux soins, aggravant leur état de santé déjà fragile.
Le marché du travail, miroir des inégalités
En 2021, seulement 9,4% des femmes âgées occupaient un emploi, contre 34,8% des hommes. Cette disparité reflète une exclusion systémique du marché du travail qui perdure même après 60 ans. «La participation des femmes âgées au marché du travail demeure très faible», confirme le rapport, pointant les conséquences dramatiques de cette marginalisation économique. Le CESE recommande des «mesures de discrimination positive» urgentes. Parmi les propositions phares: permettre aux veuves sans autres ressources de percevoir l'intégralité de la pension de leur mari décédé, au lieu des 50% actuels. «C'est une question de justice sociale élémentaire», a martelé M. Rachdi.
L'urgence d'agir
Les projections du HCP annoncent 5,4 millions de femmes âgées en 2050. Sans action immédiate, le Maroc condamne des millions de citoyennes à une vieillesse de misère et d'isolement. Le Conseil préconise des programmes de formation innovants combinant alphabétisation et compétences numériques, ainsi qu'un renforcement substantiel de l'aide sociale directe. «Reconnaître la situation particulièrement vulnérable des femmes âgées est le premier pas vers une politique publique équitable», conclut le rapport. Un pas que le Maroc ne peut plus se permettre de retarder face à l'ampleur du défi démographique et social qui l'attend.
Silver Economy: transformer le défi démographique en levier de croissance
Les seniors marocains, longtemps considérés comme un fardeau économique, représentent en réalité une mine d'or inexploitée. Le rapport du CESE présenté mercredi dernier confirme ce que les économistes pressentaient: le vieillissement démographique pourrait devenir le moteur d'une nouvelle économie.
Un marché de 646 milliards en vue
Les chiffres donnent le tournis. Les dépenses de consommation des plus de 60 ans devraient exploser, passant de 53 milliards de dirhams en 2014 à 646 milliards en 2050, représentant alors 22% des dépenses totales, contre 13,4% actuellement. «L'économie du vieillissement représente une opportunité stratégique majeure», a affirmé Abdelkader Amara, président du CESE. Cette manne potentielle couvre un spectre large: santé, habitat adapté, services à domicile, tourisme, loisirs, technologies d'assistance. «La silver economy englobe tous les secteurs économiques répondant aux besoins des personnes âgées», précise le rapport. Un écosystème complet reste à construire, capable de transformer le défi démographique en levier de croissance. Abdelmaksoud Rachdi, rapporteur du focus, a souligné lors de sa présentation: «Nous parlons d'un secteur qui pourrait croître de 7% par an en moyenne jusqu'en 2050. C'est une opportunité que le Maroc ne peut se permettre de manquer».
Un désert de services
La réalité du terrain contraste cruellement avec ces projections optimistes. Le rapport du CESE dresse un inventaire accablant des carences: 72 établissements de protection sociale seulement pour 5 millions de seniors, deux structures hospitalières spécialisées confinées à Rabat, une quasi-absence de services de soins à domicile. «L'offre de services spécialisés demeure limitée, fragmentée et souvent assurée selon les moyens personnels», déplore le document. Cette pénurie touche tous les secteurs: seulement six médecins résidents spécialisés en gériatrie, 200 généralistes disposant d'un diplôme universitaire en gériatrie. Une goutte d'eau face aux besoins croissants.
Les établissements bancaires et compagnies d'assurance, auditionnés par le CESE, reconnaissent leurs lacunes. «Nos actions restent principalement axées sur l'inclusion sociale basique», admettent-ils selon le rapport. L'accès au crédit reste quasi impossible au-delà de 65 ans, privant les seniors entrepreneurs de moyens de financement.
Le parcours du combattant administratif
Maintenir un senior en emploi relève du parcours du combattant. L'article 526 du Code du travail impose à l'employeur privé de soumettre une demande d'autorisation trois mois avant l'âge légal de départ. «Cette autorisation reste soumise à l'appréciation discrétionnaire de l'administration», déplorent les rédacteurs du rapport.
Dans la fonction publique, le prolongement nécessite une demande justifiée un an à l'avance, limitée à deux ans non renouvelables, sauf pour les enseignants-chercheurs et magistrats. «Ces procédures complexes découragent employeurs et salariés», constate le CESE. «Les établissements bancaires et compagnies d'assurance interrogés reconnaissent que l'accès au crédit reste restreint au-delà d'un certain âge, en raison de critères médicaux disqualifiants, privant ainsi les seniors entrepreneurs de moyens de financement pour leurs projets», indique-t-on dans le rapport.
Les pionniers du secteur privé
Quelques initiatives privées émergent timidement. Le rapport mentionne des centres de jour innovants à Rabat et Casablanca, combinant soins, activités et liens intergénérationnels. Mais ces structures restent inaccessibles à la majorité, faute de moyens et de couverture sociale adaptée. «Le développement de la silver economy nécessite un écosystème cohérent», insiste le CESE. Cela implique des partenariats stratégiques entre État, assureurs et investisseurs privés, des incitations fiscales ciblées, une refonte du cadre réglementaire. Le Conseil préconise l'adoption d'une loi-cadre et la création d'une plateforme nationale facilitant le réseautage par domaine d'expertise. «Il faut institutionnaliser la valorisation des compétences des seniors, notamment des MRE», recommande le rapport.
