Figuig, Imider, Ouarzazate... Des noms de villes et de régions où l’eau est devenue synonyme d’angoisse, malgré quelques périodes clémentes comme celles vécues cette année. Là-bas, la terre se craquelle, les puits tarissent, des enfants marchent des kilomètres pour un seau d’eau. Et pendant ce temps, des serres high-tech à Marrakech ou Larache continuent d’arroser pastèques, myrtilles ou avocats destinés aux marchés européens. L’image est brutale. Mais elle reflète fidèlement la fracture hydrique que dénonce le Moroccan Institute for Policy Analysis dans des études publiées récemment. La première, intitulée «Just Water Transition in Morocco», est une analyse de fond qui démonte le mythe d’un développement agricole infini dans un pays structurellement aride. La seconde, «Vers un nouveau paradigme de gestion de l’eau pour une transition hydrique juste au Maroc ?», compile les résultats de consultations nationales auprès de la société civile et propose une refondation radicale de la politique de l’eau. «Le Maroc perpétue l’illusion que l’agriculture peut porter la croissance économique, malgré la rareté structurelle de l’eau», relève le rapport sans fioritures.
Un modèle hérité du désert et de l’exportation
La situation actuelle n’est pas fortuite. Elle découle d’un modèle de développement hydraulique hérité des années 1960, fondé sur les barrages, la conquête des terres arides et l’export agricole. Le plan Maroc vert (2008–2020) a poursuivi cette logique, en orientant les investissements publics vers des cultures comme les fruits rouges, les agrumes, les olives et les avocat. «Ce modèle a favorisé la marchandisation de l’eau à travers une agriculture irriguée à forte intensité hydrique, tournée vers les marchés extérieurs», souligne le rapport. «La politique de l’eau au Maroc est fondée sur une illusion : celle d’un accès illimité à la ressource», dénoncent les chercheurs du MIPA. Le pays consomme 14 milliards de m³ par an pour irriguer ses cultures, soit 87% de ses ressources en eau, contre seulement 1,7 milliard pour l’eau potable. Cette répartition inégale a favorisé la «privatisation» de l’eau au profit de l’agrobusiness.
Résultat : des pompages massifs, une prolifération incontrôlée des forages (dont seulement 10% sont déclarés officiellement) et l’effondrement progressif des aquifères. Dans certaines zones comme Tadla, 70% des surfaces irriguées s’appuient désormais sur les eaux souterraines. Le rapport dénonce ainsi l’effet pervers des subventions étatiques : «Les incitations financières allant jusqu’à 100% pour le goutte-à-goutte ont mené à un sur-arrosage et à l’expansion incontrôlée de cultures gourmandes en eau». Dans la plaine de Berrechid, par exemple, l’irrigation des carottes provoque un déficit annuel de 36,7 millions de m³, alors que les mesures de contrôle, comme les compteurs d’eau, peinent à être imposées.
La Stratégie Génération Green (2020-2030) a poursuivi les objectifs du Plan Maroc Vert, en y ajoutant une dimension sociale. Mais le recours massif à l’énergie solaire pour pomper l’eau des nappes a eu un effet inattendu : en rendant le pompage quasi gratuit, elle a accéléré l’épuisement des ressources. À Ferkla, dans le Sud-Est, le nombre de pompes solaires est passé de 20 à plus de 180 entre 2013 et 2020. Des oasis entières voient leur équilibre menacé, alors que les agriculteurs historiques sont contraints de louer leurs terres à des spéculateurs mieux équipés. «Cette dynamique aggrave les inégalités structurelles : ceux qui peuvent forer plus profond accaparent l’eau», s’alarment les auteurs du rapport.
Une souveraineté alimentaire sacrifiée
L’agriculture marocaine se veut solide. Pourtant, elle dépend de plus en plus des importations alimentaires, notamment pour les céréales. Le Maroc importe près de 65% de ses besoins en céréales et 90% de ses oléagineux. La faute, selon le rapport, à une stratégie centrée sur l’exportation et la monoculture : pommes, avocats, pastèques... Le mythe de la «Californie marocaine», forgé sous le protectorat français, a construit l’idée que le Royaume pouvait verdir le désert grâce aux grands barrages et à l’irrigation. Mais la sécheresse historique – 48% de déficit pluviométrique en 2023 – remet brutalement ce récit en question. Les chiffres sont parlants : entre 2016 et 2023, le secteur agricole a perdu près d’un million d’emplois, notamment dans les zones rurales les plus affectées par la pénurie d’eau. «Le Maroc est prisonnier d’une logique de verdissement à tout prix, au détriment des besoins réels des populations rurales», note le rapport, qui plaide pour une rupture avec les politiques productivistes et une redirection vers des cultures pluviales résilientes.
Trois pistes pour une transition juste
Face à la crise structurelle de l’eau, les auteurs du rapport plaident pour une rupture claire avec le modèle dominant. Ils appellent à repenser en profondeur la politique publique en la matière, non pas à coups d’infrastructures spectaculaires ou de promesses technologiques, mais à travers trois axes de transformation concrets et structurels. Le premier est sans équivoque de sortir de l’agriculture irriguée à grande échelle, tournée vers l’exportation et nourrie de subventions, pour revenir à une agriculture pluviale adaptée aux réalités climatiques du pays. Il ne s’agit pas d’un repli archaïque, mais d’un recentrage stratégique vers des cultures locales, moins gourmandes en eau, plus résilientes face aux sécheresses à répétition, et orientées vers la souveraineté alimentaire, et non le marché européen.
Deuxième pilier : inverser la logique de gestion de la ressource. Jusque-là, l’État a essentiellement cherché à augmenter l’offre – barrages, transferts, dessalement – sans jamais remettre en cause les usages excessifs. Le rapport appelle à passer à une politique de la demande, en régulant strictement les prélèvements, en encadrant les forages, en imposant des normes d’irrigation et surtout en renforçant la Police de l’eau, encore largement inefficace sur le terrain. Réguler signifie aussi faire des choix politiques clairs sur les types de cultures à privilégier, et sur les territoires à préserver.
In fine, le troisième levier est peut-être le plus déterminant : donner une voix aux communautés locales dans les décisions qui les concernent. Aujourd’hui, la gouvernance de l’eau est perçue comme opaque, centralisée et dominée par les intérêts économiques. Le rapport insiste sur la nécessité d’une co-construction des politiques publiques, où les besoins des populations les plus vulnérables – agriculteurs de montagne, habitants des oasis, femmes rurales – soient écoutés, compris et intégrés dès la conception des plans hydrauliques. Une transition ne peut être qualifiée de «juste» si elle se fait sans ceux qui en subiront les conséquences. «Le droit à l’eau doit primer le rendement agricole», conclut le rapport. Car l’enjeu dépasse les chiffres et les modèles. Il s’agit désormais de choisir entre la perpétuation d’un modèle jugé extractiviste et inégalitaire, ou l’engagement dans une voie plus sobre, plus équitable, plus démocratique. Une transition hydrique véritablement juste. Une question de survie, autant qu’un choix de société.
Technologies miracles, effets pervers
Face à la crise structurelle de pénurie des ressources hydriques, le Maroc multiplie les projets de dessalement de l’eau de mer : 15 stations opérationnelles, 6 en cours, un objectif de 630 millions de m³/an d’ici 2030. Mais cette stratégie soulève des doutes : «Le dessalement est une réponse technique qui ne remet pas en question les déséquilibres d’usage», soulignent les auteurs du rapport. Même logique pour le goutte-à-goutte, largement subventionné, qui a permis à de nombreux agriculteurs d’étendre leurs surfaces... sans réduire la consommation. Le rapport souligne que seuls 10% des forages sont aujourd’hui déclarés. Et la Police de l’eau, censée contrôler les abus, est dramatiquement sous-dotée : dans le bassin Bouregreg-Chaouia, cinq agents seulement couvrent l’ensemble du territoire.
Le projet Just Transition Green Bridge repose sur le concept de Transition environnementale juste, entendue ici comme une transformation vers des pratiques durables qui soient à la fois équitables et inclusives, en plaçant les communautés vulnérables au cœur du processus. Deux objectifs guident cette action : renforcer les capacités des organisations de la société civile à participer activement aux politiques publiques, et faire en sorte que les stratégies climatiques intègrent les réalités des populations les plus exposées. Cofinancé par l’Union européenne et la coopération suédoise, et mis en œuvre par un consortium dirigé par l’Arab Reform Initiative en partenariat avec le MIPA et d’autres institutions, le projet se déploie autour de trois axes : la transition énergétique, la souveraineté alimentaire et la justice hydrique, avec une approche ascendante, partant du terrain vers les décideurs.
Concernant la justice hydrique, deux tables rondes ont été organisées à Rabat et Marrakech avec des représentants de la société civile, des experts et des responsables institutionnels issus de 11 des 12 régions du Maroc. Ces consultations ont permis de dresser un état des lieux critique et de formuler des recommandations structurées dans un policy paper rédigé par la Dre Amal Ennabih. Ce document met en lumière la nécessité d’un modèle économique plus équitable, d’une agriculture axée sur la souveraineté alimentaire, d’un meilleur rééquilibrage territorial des ressources hydriques, ainsi que l’urgence de renforcer la sensibilisation et la coordination intersectorielle dans la gestion de l’eau. Pour conclure ce processus, une réunion avec des responsables publics a été organisée à Rabat pendant le Ramadan, afin de leur présenter le document final et recueillir leurs retours.
Comment les activités de recherche du projet ont-elles contribué à identifier les priorités ou les lacunes en matière de gouvernance de l’eau au Maroc ?
La démarche de recherche a combiné deux niveaux d’analyse : d’une part, une revue documentaire approfondie pour établir un cadre théorique et institutionnel, d’autre part, un travail de terrain fondé sur des entretiens avec des acteurs clés issus des trois axes thématiques du projet (énergie, alimentation, eau). À ces données se sont ajoutées les contributions recueillies lors des rencontres régionales avec la société civile (OSC), tenues dans plusieurs villes du Royaume. L’ensemble du processus a été encadré par des experts sectoriels et l’équipe du MIPA, afin d’assurer la rigueur scientifique et la cohérence méthodologique du rapport final.
Pour identifier les acteurs clés, le projet a lancé un appel à manifestation d’intérêt, accompagné d’une cartographie nationale des OSC engagées dans les questions environnementales. Cette approche a permis d’impliquer des profils variés : chercheurs, responsables techniques, militants associatifs et représentants d’initiatives locales. Ce travail a mis en lumière non seulement les priorités de réforme exprimées localement, mais aussi les lacunes structurelles du système de gouvernance de l’eau, notamment en termes de coordination, de participation citoyenne et de répartition équitable des ressources. En retour, les associations mobilisées ont intégré dans leurs actions le principe de transition environnementale juste, auquel le projet a donné une visibilité nouvelle et un cadre concret de mise en œuvre.
Quelles recommandations issues du projet ont suscité le plus d’intérêt ou de réactions de la part des acteurs locaux ou des décideurs politiques ?
Parmi les trois axes abordés par le projet – transition énergétique, souveraineté alimentaire et justice hydrique –, c’est incontestablement la gestion de l’eau qui a le plus mobilisé la société civile. Après plusieurs années de sécheresse, les questions d’accès équitable à l’eau et de justice hydrique sont devenues des préoccupations centrales, perçues comme des défis majeurs à l’échelle nationale. Du côté des décideurs publics, les retours ont été constructifs. L’État marocain montre un engagement réel sur les questions environnementales, notamment dans le développement des énergies renouvelables, l’amélioration de la gouvernance de l’eau et la sécurité alimentaire. Les responsables techniques sollicités dans le cadre du projet ont répondu présent, et leur participation active a permis de nourrir un dialogue ouvert avec les représentants de la société civile. Notre ambition, à travers cette démarche, était précisément de créer un espace de dialogue pluraliste, où les priorités locales puissent rencontrer les stratégies nationales, afin de faire émerger des solutions partagées, durables et inclusives.
Un modèle hérité du désert et de l’exportation
La situation actuelle n’est pas fortuite. Elle découle d’un modèle de développement hydraulique hérité des années 1960, fondé sur les barrages, la conquête des terres arides et l’export agricole. Le plan Maroc vert (2008–2020) a poursuivi cette logique, en orientant les investissements publics vers des cultures comme les fruits rouges, les agrumes, les olives et les avocat. «Ce modèle a favorisé la marchandisation de l’eau à travers une agriculture irriguée à forte intensité hydrique, tournée vers les marchés extérieurs», souligne le rapport. «La politique de l’eau au Maroc est fondée sur une illusion : celle d’un accès illimité à la ressource», dénoncent les chercheurs du MIPA. Le pays consomme 14 milliards de m³ par an pour irriguer ses cultures, soit 87% de ses ressources en eau, contre seulement 1,7 milliard pour l’eau potable. Cette répartition inégale a favorisé la «privatisation» de l’eau au profit de l’agrobusiness.
Résultat : des pompages massifs, une prolifération incontrôlée des forages (dont seulement 10% sont déclarés officiellement) et l’effondrement progressif des aquifères. Dans certaines zones comme Tadla, 70% des surfaces irriguées s’appuient désormais sur les eaux souterraines. Le rapport dénonce ainsi l’effet pervers des subventions étatiques : «Les incitations financières allant jusqu’à 100% pour le goutte-à-goutte ont mené à un sur-arrosage et à l’expansion incontrôlée de cultures gourmandes en eau». Dans la plaine de Berrechid, par exemple, l’irrigation des carottes provoque un déficit annuel de 36,7 millions de m³, alors que les mesures de contrôle, comme les compteurs d’eau, peinent à être imposées.
La Stratégie Génération Green (2020-2030) a poursuivi les objectifs du Plan Maroc Vert, en y ajoutant une dimension sociale. Mais le recours massif à l’énergie solaire pour pomper l’eau des nappes a eu un effet inattendu : en rendant le pompage quasi gratuit, elle a accéléré l’épuisement des ressources. À Ferkla, dans le Sud-Est, le nombre de pompes solaires est passé de 20 à plus de 180 entre 2013 et 2020. Des oasis entières voient leur équilibre menacé, alors que les agriculteurs historiques sont contraints de louer leurs terres à des spéculateurs mieux équipés. «Cette dynamique aggrave les inégalités structurelles : ceux qui peuvent forer plus profond accaparent l’eau», s’alarment les auteurs du rapport.
Une souveraineté alimentaire sacrifiée
L’agriculture marocaine se veut solide. Pourtant, elle dépend de plus en plus des importations alimentaires, notamment pour les céréales. Le Maroc importe près de 65% de ses besoins en céréales et 90% de ses oléagineux. La faute, selon le rapport, à une stratégie centrée sur l’exportation et la monoculture : pommes, avocats, pastèques... Le mythe de la «Californie marocaine», forgé sous le protectorat français, a construit l’idée que le Royaume pouvait verdir le désert grâce aux grands barrages et à l’irrigation. Mais la sécheresse historique – 48% de déficit pluviométrique en 2023 – remet brutalement ce récit en question. Les chiffres sont parlants : entre 2016 et 2023, le secteur agricole a perdu près d’un million d’emplois, notamment dans les zones rurales les plus affectées par la pénurie d’eau. «Le Maroc est prisonnier d’une logique de verdissement à tout prix, au détriment des besoins réels des populations rurales», note le rapport, qui plaide pour une rupture avec les politiques productivistes et une redirection vers des cultures pluviales résilientes.
Trois pistes pour une transition juste
Face à la crise structurelle de l’eau, les auteurs du rapport plaident pour une rupture claire avec le modèle dominant. Ils appellent à repenser en profondeur la politique publique en la matière, non pas à coups d’infrastructures spectaculaires ou de promesses technologiques, mais à travers trois axes de transformation concrets et structurels. Le premier est sans équivoque de sortir de l’agriculture irriguée à grande échelle, tournée vers l’exportation et nourrie de subventions, pour revenir à une agriculture pluviale adaptée aux réalités climatiques du pays. Il ne s’agit pas d’un repli archaïque, mais d’un recentrage stratégique vers des cultures locales, moins gourmandes en eau, plus résilientes face aux sécheresses à répétition, et orientées vers la souveraineté alimentaire, et non le marché européen.
Deuxième pilier : inverser la logique de gestion de la ressource. Jusque-là, l’État a essentiellement cherché à augmenter l’offre – barrages, transferts, dessalement – sans jamais remettre en cause les usages excessifs. Le rapport appelle à passer à une politique de la demande, en régulant strictement les prélèvements, en encadrant les forages, en imposant des normes d’irrigation et surtout en renforçant la Police de l’eau, encore largement inefficace sur le terrain. Réguler signifie aussi faire des choix politiques clairs sur les types de cultures à privilégier, et sur les territoires à préserver.
In fine, le troisième levier est peut-être le plus déterminant : donner une voix aux communautés locales dans les décisions qui les concernent. Aujourd’hui, la gouvernance de l’eau est perçue comme opaque, centralisée et dominée par les intérêts économiques. Le rapport insiste sur la nécessité d’une co-construction des politiques publiques, où les besoins des populations les plus vulnérables – agriculteurs de montagne, habitants des oasis, femmes rurales – soient écoutés, compris et intégrés dès la conception des plans hydrauliques. Une transition ne peut être qualifiée de «juste» si elle se fait sans ceux qui en subiront les conséquences. «Le droit à l’eau doit primer le rendement agricole», conclut le rapport. Car l’enjeu dépasse les chiffres et les modèles. Il s’agit désormais de choisir entre la perpétuation d’un modèle jugé extractiviste et inégalitaire, ou l’engagement dans une voie plus sobre, plus équitable, plus démocratique. Une transition hydrique véritablement juste. Une question de survie, autant qu’un choix de société.
Technologies miracles, effets pervers
Face à la crise structurelle de pénurie des ressources hydriques, le Maroc multiplie les projets de dessalement de l’eau de mer : 15 stations opérationnelles, 6 en cours, un objectif de 630 millions de m³/an d’ici 2030. Mais cette stratégie soulève des doutes : «Le dessalement est une réponse technique qui ne remet pas en question les déséquilibres d’usage», soulignent les auteurs du rapport. Même logique pour le goutte-à-goutte, largement subventionné, qui a permis à de nombreux agriculteurs d’étendre leurs surfaces... sans réduire la consommation. Le rapport souligne que seuls 10% des forages sont aujourd’hui déclarés. Et la Police de l’eau, censée contrôler les abus, est dramatiquement sous-dotée : dans le bassin Bouregreg-Chaouia, cinq agents seulement couvrent l’ensemble du territoire.
Questions à Monica Carrion, Project Manager au Moroccan Institute for Policy Analysis : En matière de justice hydrique, notre ambition est que les priorités locales puissent rencontrer les stratégies nationales
Quels ont été les principaux retours des consultations menées avec la société civile au Maroc dans le cadre du projet ?
Le projet Just Transition Green Bridge repose sur le concept de Transition environnementale juste, entendue ici comme une transformation vers des pratiques durables qui soient à la fois équitables et inclusives, en plaçant les communautés vulnérables au cœur du processus. Deux objectifs guident cette action : renforcer les capacités des organisations de la société civile à participer activement aux politiques publiques, et faire en sorte que les stratégies climatiques intègrent les réalités des populations les plus exposées. Cofinancé par l’Union européenne et la coopération suédoise, et mis en œuvre par un consortium dirigé par l’Arab Reform Initiative en partenariat avec le MIPA et d’autres institutions, le projet se déploie autour de trois axes : la transition énergétique, la souveraineté alimentaire et la justice hydrique, avec une approche ascendante, partant du terrain vers les décideurs.
Concernant la justice hydrique, deux tables rondes ont été organisées à Rabat et Marrakech avec des représentants de la société civile, des experts et des responsables institutionnels issus de 11 des 12 régions du Maroc. Ces consultations ont permis de dresser un état des lieux critique et de formuler des recommandations structurées dans un policy paper rédigé par la Dre Amal Ennabih. Ce document met en lumière la nécessité d’un modèle économique plus équitable, d’une agriculture axée sur la souveraineté alimentaire, d’un meilleur rééquilibrage territorial des ressources hydriques, ainsi que l’urgence de renforcer la sensibilisation et la coordination intersectorielle dans la gestion de l’eau. Pour conclure ce processus, une réunion avec des responsables publics a été organisée à Rabat pendant le Ramadan, afin de leur présenter le document final et recueillir leurs retours.
Comment les activités de recherche du projet ont-elles contribué à identifier les priorités ou les lacunes en matière de gouvernance de l’eau au Maroc ?
La démarche de recherche a combiné deux niveaux d’analyse : d’une part, une revue documentaire approfondie pour établir un cadre théorique et institutionnel, d’autre part, un travail de terrain fondé sur des entretiens avec des acteurs clés issus des trois axes thématiques du projet (énergie, alimentation, eau). À ces données se sont ajoutées les contributions recueillies lors des rencontres régionales avec la société civile (OSC), tenues dans plusieurs villes du Royaume. L’ensemble du processus a été encadré par des experts sectoriels et l’équipe du MIPA, afin d’assurer la rigueur scientifique et la cohérence méthodologique du rapport final.
Pour identifier les acteurs clés, le projet a lancé un appel à manifestation d’intérêt, accompagné d’une cartographie nationale des OSC engagées dans les questions environnementales. Cette approche a permis d’impliquer des profils variés : chercheurs, responsables techniques, militants associatifs et représentants d’initiatives locales. Ce travail a mis en lumière non seulement les priorités de réforme exprimées localement, mais aussi les lacunes structurelles du système de gouvernance de l’eau, notamment en termes de coordination, de participation citoyenne et de répartition équitable des ressources. En retour, les associations mobilisées ont intégré dans leurs actions le principe de transition environnementale juste, auquel le projet a donné une visibilité nouvelle et un cadre concret de mise en œuvre.
Quelles recommandations issues du projet ont suscité le plus d’intérêt ou de réactions de la part des acteurs locaux ou des décideurs politiques ?
Parmi les trois axes abordés par le projet – transition énergétique, souveraineté alimentaire et justice hydrique –, c’est incontestablement la gestion de l’eau qui a le plus mobilisé la société civile. Après plusieurs années de sécheresse, les questions d’accès équitable à l’eau et de justice hydrique sont devenues des préoccupations centrales, perçues comme des défis majeurs à l’échelle nationale. Du côté des décideurs publics, les retours ont été constructifs. L’État marocain montre un engagement réel sur les questions environnementales, notamment dans le développement des énergies renouvelables, l’amélioration de la gouvernance de l’eau et la sécurité alimentaire. Les responsables techniques sollicités dans le cadre du projet ont répondu présent, et leur participation active a permis de nourrir un dialogue ouvert avec les représentants de la société civile. Notre ambition, à travers cette démarche, était précisément de créer un espace de dialogue pluraliste, où les priorités locales puissent rencontrer les stratégies nationales, afin de faire émerger des solutions partagées, durables et inclusives.
