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Contrats d’alternance : alerte sur les fragilités d’un dispositif encore flou

Alors que l’Exécutif s’apprête à lancer un programme national de contrats d’alternance pour répondre à la crise de l’emploi, Tariq Akdim, économiste et président du LOGOS, tire la sonnette d’alarme. Chercheur à l’INAU de Rabat et professeur associé à l’Université Mohammed V, il dénonce lors de son passage à «L’Info en Face», diffusée sur Matin Tv, un dispositif encore imprécis, grevé de fragilités structurelles et de carences méthodologiques. Sans une connaissance rigoureuse du marché du travail et une refonte de sa conception, prévient-il, ce plan risque de s’ajouter à la liste des politiques publiques onéreuses aux effets limités.

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À la veille du lancement d’un ambitieux programme de contrats d’alternance destiné à lutter contre le chômage des jeunes, des voix critiques s’élèvent. Parmi elles, celle de l’économiste et président du think tank LOGOS, Tariq Akdim qui, lors de son passage dans l’émission «L’Info en Face», a livré une analyse tranchante. Chercheur à l’Institut national d'aménagement et d'urbanisme (INAU) et professeur associé à l’Université Mohammed V, il dresse un constat sévère : sans refonte conceptuelle, ce programme ne résoudra ni la crise de l’emploi ni les maux structurels du marché du travail marocain.

Un marché de l’emploi mal cartographié

La première faiblesse relevée par l’économiste concerne l’absence d’une connaissance fine du marché du travail. Malgré la multiplication des dispositifs – Awrach 1, Awrach 2, Forsa –, le Maroc pèche toujours par manque de données consolidées. Ce flou statistique empêche la conception de programmes en phase avec les besoins réels des entreprises et les aspirations des jeunes. «Nous avons une approche empirique, parfois brouillonne, sans vision d’ensemble ni stratégie d’ajustement formation-emploi», souligne-t-il.

Des chiffres qui interpellent

Les programmes passés offrent peu de garanties : 2,25 milliards de dirhams ont été investis dans les seuls Awrach 1 et 2, pour un taux de réinsertion durable estimé à 5-10%. Les salaires proposés – environ 1.500 dirhams – et l’absence de statut social clair (notamment en matière de couverture CNSS) fragilisent encore davantage la portée de ces projets. Pour M. Akdim, le risque est double : décevoir la jeunesse et dilapider des fonds publics sans réel retour socio-économique.

Une offre publique en décalage

Le diagnostic est sans appel : le programme d’alternance ne semble pas construit à partir d’une analyse de terrain, mais à partir d’une logique descendante. «Il existe un écart croissant entre ce que les jeunes reçoivent comme formation et ce que recherchent les entreprises», explique M. Akdim. Même le ministre de l’Emploi, Younes Sekkouri, a récemment reconnu ce «gap», tout en admettant que les réponses structurelles restent partielles.

L’exemple du stage introuvable

L’accès au monde professionnel reste un défi, même pour un stage d’observation d’une semaine. Le recours aux réseaux personnels est souvent indispensable, ce qui exclut une large frange de jeunes en manque de capital social. Dans les écoles privées, le lien avec l’entreprise est parfois inexistant. Dès lors, comment espérer un contrat d’alternance véritablement formateur sans tuteur ni encadrement adapté ?

Un contrat hybride mal défini

Pour M. Akdim, l’alternance n’est pas une baguette magique. Elle suppose une articulation claire entre écoles, universités, centres de formation professionnelle et tissu économique. Mais cette synergie reste balbutiante. Le chercheur insiste : «Sans encadrement professionnel, l’alternance devient un stage déguisé, mal rémunéré, et peu utile.» Il propose donc de financer des postes d’encadrement dans les entreprises, condition indispensable à la réussite du dispositif.

Des secteurs mal ciblés

Autre point de friction : les secteurs prioritaires. Le programme d’alternance se concentre sur l’artisanat, l’automobile, l’aéronautique, le tourisme ou encore l’offshoring. Pourtant, les secteurs à forte croissance comme le numérique ou l’intelligence artificielle sont absents de la feuille de route. De plus, les jeunes visés (bac+2/bac+3) sont paradoxalement les mieux insérables, tandis que les profils les plus vulnérables restent exclus.

Un effort d’inclusion des TPME nécessaire

Le chercheur appelle à un meilleur accompagnement des très petites entreprises et des startups, qui jouent un rôle clé dans l’absorption du chômage. Celles-ci manquent toutefois de ressources pour accueillir un jeune en alternance. Il plaide pour des aides ciblées, à la fois financières et logistiques, pour favoriser leur implication.

L’emploi, une affaire interministérielle

Enfin, M. Akdim met en garde contre une lecture trop sectorielle de la politique de l’emploi. Selon lui, confier le pilotage de l’alternance à un seul ministère serait une erreur. « L’emploi touche à l’éducation, à l’industrie, à la fiscalité, au numérique... Il faut une approche coordonnée, transversale et structurée.»

Des recommandations pour une refondation

Le président du LOGOS insiste sur la nécessité d’un dialogue social élargi, associant les partenaires économiques, les syndicats, les institutions de formation, mais aussi les ONG. Pour lui, seule une réforme de fond, construite à partir du terrain et adossée à des indicateurs précis, pourra redonner espoir à une jeunesse qui doute. Le programme de contrats d’alternance arrive à un moment critique. L’enjeu est majeur : ne pas reproduire les erreurs du passé. Pour cela, il faut dépasser la logique d’annonce, refuser les solutions rapides et construire une véritable politique d’insertion professionnelle. Une politique exigeante, lisible, coordonnée – et surtout ancrée dans la réalité.
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