Le Matin : Vous venez de publier des analyses et commentaires au sujet du dernier discours du Trône 2025 de S.M. le Roi. Quelle lecture en faites-vous ?
Vous évoquez un «Maroc à deux vitesses». Comment définissez-vous concrètement cette fracture ?
Cette double vitesse que vous qualifiez de fracture se manifeste par les déséquilibres constatés au niveau de certains territoires qui sont mal dotés d'infrastructures et d'équipements. Ils sont constatés au niveau de certaines couches sociales qui peinent à accéder aux services minimums en éducation et en santé, à l'emploi et à l'eau potable... Cette fracture peut être constatée même dans les grandes villes et les régions et provinces développées. Elle peut aussi être constatée au niveau économique et plus particulièrement au niveau de la répartition des investissements. Certaines zones connaissent un engouement remarquable en la matière, tandis que d'autres n'en bénéficient pas, malgré leur potentiel important en ressources naturelles et humaines.
Quelles régions ou catégories sociales, selon vous, incarnent aujourd’hui les inégalités dénoncées dans le Discours Royal ?
Vous parlez dans vos analyses de rupture avec les approches traditionnelles du développement social. Quelles limites ces approches présentaient-elles selon vous ?
Les territoires mal ou peu développés ont besoin de programmes intégrés basés sur les vrais besoins et priorités, selon les axes définis par S.M. le Roi : 1. l'emploi (développement économique adapté et investissement productif...), 2. les services sociaux (éducation, santé...), 3. gestion durable des ressources hydrauliques, et 4. projets de mise à niveau locale en adéquation avec les projets structurants nationaux. De même, chaque programme doit être piloté par une structure commune respectant les normes de bonne gouvernance et adoptant une approche participative, pour en finir avec l'anarchie où chaque partie/organisme veille sur son îlot isolé de projets. Ces derniers ne répondent pas aux besoins réels de la population. S'ajoutent à cela la duplication des efforts et la non-optimisation des moyens.
Quels sont, à vos yeux, les principaux leviers pour réussir cette «nouvelles génération de programmes de développement» fondés sur la régionalisation avancée ?
Plusieurs leviers sont à prendre en considération. Mais je suis convaincu que la clé de tout développement réside dans «le sérieux». On en a besoin dans tout le processus de développement, de la planification jusqu'à l'exploitation en passant par la mise en place du comité de pilotage, la concertation avec les acteurs locaux, la définition des projets prioritaires et des populations cibles, la répartition des projets dans les territoires concernés, le choix des partenaires et des sociétés méritantes et la réalisation de ces projets. Il est plus qu'indispensable dans la promotion de l'investissement, la gestion du foncier étatique et collectif, et la valorisation des ressources naturelles, y compris l'eau.
Le sérieux évoque des facteurs de succès nécessaires tels que le fort engagement de tous les intervenants, l'innovation dans la planification et la bonne gouvernance des programmes. Toutes les parties concernées sont interpellées : autorités locales, institutions, services administratifs, communes, fonctionnaires de tous les secteurs concernés, élites locales et citoyens... Le Royaume entamera une phase décisive de développement inclusif, durable et harmonieux. Il fait appel à une mobilisation totale guidée par le sérieux.
Comment évaluez-vous aujourd’hui la capacité des territoires à créer des emplois à partir de leurs ressources locales ?
Hamdoulillah, notre pays regorge de ressources naturelles diversifiées et réparties dans tout le territoire national. Les deux mers et leurs côtes, les carrières, les mines, les forêts, les montagnes, les plaines, les sites géologiques... en témoignent. De même, le Maroc est classé deuxième en termes de biodiversité dans la région méditerranéenne. Pour une valorisation productive et durable de ces ressources, certaines actions doivent être menées en priorité pour bien entamer le processus de valorisation des ressources naturelles locales. Premièrement, il faut élaborer une cartographie exhaustive du potentiel naturel existant. Deuxièmement, il faut identifier les ressources potentiellement exploitables d'une manière durable. Troisièmement, il faut cerner le foncier accessible à l'investissement et le promouvoir avec transparence et égalité de chances.
Les autorités doivent définir des cahiers des charges et des procédures incitatives à l'investissement et permettant un processus de sélection et de contrôle rigoureux des projets pour éviter les spéculations et les projets sans valeur ajoutée économique ni sociale. Aussi est-il indispensable de contrôler le processus d'octroi des autorisations pour sanctionner les éléments causant la lenteur et le blocage. Finalement, l'évaluation des projets doit être permanente pour veiller au respect des engagements des investisseurs et des administrations responsables de l'accompagnement.
Dans vos plaidoiries, vous mettez l’accent sur les services sociaux, en particulier la santé et l'éducation. Quelles actions concrètes attendez-vous des pouvoirs publics à ce niveau ?
Les services sociaux constituent l'âme du programme de développement local et donnent un vrai sens aux infrastructures et équipements. Certaines zones souffrent du manque d'équipements. Beaucoup de zones équipées souffrent de l'insuffisance des ressources humaines, de la mauvaise qualité des services rendus ou des pratiques malsaines de la part de certains fonctionnaires (absentéisme, corruption, ségrégation...). Dans d'autres cas, beaucoup de citoyens manquent de moyens pour y accéder ou manquent de couverture sociale ou sont mal orientés. Les pouvoirs publics doivent assurer l'accessibilité à tous les citoyens basée sur une approche intégrée : équipements, ressources humaines, gouvernance, qualité, protection sociale et orientation.
À mon sens, trois facteurs sont à prendre en considération : la contribution de la société civile dans le développement des projets et le contrôle des pratiques, la formation de ressources humaines suffisantes et leur motivation pour les affecter dans les zones en besoin, et le partenariat avec des volontaires en accompagnement et en orientation. Pour la santé, on peut encourager le développement des services de proximité privés, la création d'un réseau de sages-femmes indépendantes soutenues par l'État, encourager et encadrer la médecine alternative, soutenir les caravanes médicales publiques et privées, doter les centres hospitaliers provinciaux de tous les services nécessaires, et enfin réguler les prix des médicaments.
Face à l’urgence climatique, quelle gouvernance de l’eau recommandez-vous pour répondre à l’objectif d’un usage durable et anticipé ?
La problématique de l'eau est considérée comme un des défis menaçants de notre pays. Elle constitue un des sujets importants évoqués par S.M. le Roi dans presque tous Ses discours. S.M. le Roi lui a mis en place un comité stratégique dont Il préside les réunions d'une manière fréquente. Car notre pays est malheureusement considéré comme un des pays menacés par le stress hydrique. La rareté de l'eau est remarquée dans plusieurs provinces qui peinent à accéder à l'eau potable. C'est pourquoi il a été décidé en 2020 de lancer un programme d'urgence de 7 ans qui nécessite un financement d'environ 120 milliards de dirhams, et un plan 2050 d'environ 400 milliards. Ces chiffres qui pèsent lourd sur le budget de l'État et impactent même les programmes de développement témoignent de la gravité de la situation.
Malgré ces investissements colossaux, S.M. le Roi a, à maintes reprises, fait appel à la vigilance, à la gestion durable de l'eau et donne ses instructions aux pouvoirs publics pour veiller à l'optimisation et à la rationalisation de la consommation de l'eau dans tous les secteurs. Ceci doit être pris au sérieux et appliqué d'une manière stricte et sans connivence ni négligence. Autrement, notre pays connaîtra des tensions sociales, des exodes, des faillites de projets d'investissement, des risques énormes en sécurité alimentaire, des problèmes de santé, de nouvelles poches de pauvreté...
En conclusion, tous les projets d'infrastructures de production, de rétention, de recyclage et de distribution doivent être réalisés dans les meilleures conditions de coût, de qualité et de délais. La rationalisation doit être observée dans tous les secteurs et particulièrement dans l'agriculture qui atteint environ 85% de la consommation globale.
Vous insistez à plusieurs reprises sur le «sérieux» des acteurs. Est-ce que cela traduit une perte de confiance dans la gouvernance actuelle ?
Le sérieux doit être observé à tous les niveaux dans tous les domaines. Les premiers interpellés sont les hauts décideurs de premier rang au niveau des ministères, des institutions étatiques, des autorités... Ils doivent donner l'exemple du fort engagement et de la bonne conduite, être entourés par des conseillers compétents et honnêtes, promouvoir les bonnes pratiques, motiver les meilleurs collaborateurs et compétences, veiller minutieusement sur les projets et sanctionner les dérives de tout genre. Ils ne doivent pas céder aux pressions ni répondre aux doléances hors programmes. Ils doivent résister à la tentation. Sinon, c'est le chemin direct vers l'échec et la trahison. En ce qui concerne le gouvernement actuel, je ne peux émettre qu'une évaluation globale. Une bonne partie des élus appartenant aux partis de la coalition gouvernementale présente une mauvaise image. Ni discours convaincant, ni pratique loyale, ni réalisations satisfaisantes, ni encadrement de la société.
La coalition gouvernementale n'était pas en faveur du développement. Le Chef du gouvernement cherchait plutôt à avoir une majorité dominante face à une opposition faible et incohérente. Certes, notre pays a toujours besoin d'un gouvernement fort. Mais il a aussi besoin d'une opposition forte, un contre-poids qui constitue un facteur d'encadrement et de contrôle bénéfique à notre pays. Du point de vue des réalisations, on ne peut nier les avancées au niveau économique et même au niveau des grandes infrastructures. Cependant, le gouvernement a failli à sa mission en ce qui concerne le social (éducation, santé et emploi), la rationalisation de la consommation de l'eau, la régulation du marché pour stopper la flambée des prix, et la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption.
Comment garantir concrètement ce «sérieux» dans la sélection des responsables et le suivi des projets, sans tomber dans la bureaucratie ?
Les ressources humaines compétentes et honnêtes sont les facteurs clés de la mise en œuvre de tout projet public ou privé. Elles sont encore plus nécessaires pour les projets Royaux. La compétence et l'honnêteté sont fortement exigées comme critères de sélection des responsables et des pilotes de ces projets. Toutes les affinités et les relations doivent être ignorées, qu'elles soient amicales, sociales, partisanes, corporatistes, tribales ou professionnelles. Les deux qualités, compétence et honnêteté, doivent primer. Autrement, tout projet est voué à l'échec. Les champs politique, administratif, professionnel et même sociétal nous donnent beaucoup d'enseignements en la matière, malheureusement.
Le texte évoque des sanctions pour les entraves aux investissements. Faut-il aller vers un mécanisme formel de redevabilité territoriale ?
D'après mon expérience, un projet d'investissement bloqué fait rater à la collectivité des emplois, une part au PIB, des recettes fiscales, etc. La lenteur dans la prise de décision, la corruption de tout genre, le non ou mauvais accompagnement doivent être sanctionnés lourdement sans hésitation et avec justice, quels que soient l'origine de la cause et le niveau des responsables. Toutes les parties prenantes dans la prise de décision sont à évaluer sans exception et particulièrement : les autorités, les Centres régionaux d'investissement, les Agences urbaines, les collectivités territoriales et les services ministériels.
Le digital permet un suivi constant, juste et précis des projets dans toutes leurs phases. Un outil d'aide à la décision central pourra détecter les éléments de blocage ou de lenteur et même les pratiques de corruption. Il est par ailleurs important pour les Centres régionaux d'investissement de ne pas focaliser leurs efforts uniquement sur la réception des dossiers et le fait de statuer sur les autorisations. Ils doivent accomplir leurs missions d'accompagnement des projets et de promotion des territoires. Plus encore, ils doivent élaborer une liste de projets de différentes tailles et secteurs et en faire leur promotion.
Pensez-vous que les collectivités territoriales disposent aujourd’hui des ressources humaines et institutionnelles suffisantes pour porter cette transformation ?
À l'inverse des régions et des collectivités territoriales dans les grandes villes qui ont un rôle important dans le processus de développement, la promotion de l'investissement, la mobilisation du foncier et la réalisation des infrastructures et équipements, si elles sont bien gouvernées, les collectivités de taille moyenne et petite sont mal dotées en moyens humains et financiers pour accomplir leurs missions. Elles ne disposent même pas des services de base. Même si certaines collectivités sortent du lot en ayant des budgets conséquents par leurs propres ressources ou à travers des partenariats, elles constituent le maillon faible dans le système.
En effet, leur pouvoir est très limité soit par la loi soit dans la pratique. La majorité de leurs décisions doivent être approuvées par la tutelle qui est l'autorité. Dans le meilleur des cas, l'approbation prend beaucoup de temps. La majorité des actes impactant le développement dépendent formellement des autres acteurs. Je fais référence à l'urbanisme, le domaine professionnel, la fiscalité locale, etc. De même, leur rôle dans certains domaines se limite à la prise de décision, mais leur mise en œuvre dépend des autorités, comme l'habitat insalubre, l'économie informelle et l'occupation du domaine public. Ainsi, la clarification des rôles et responsabilités est plus que primordiale pour mener à bien cette nouvelle génération de projets lancée par S.M. le Roi. Sans oublier bien sûr le renouvellement de l'élite politique en vue d'en finir avec les pratiques malsaines et la médiocrité dans pas mal de cas.
Quel rôle doit jouer la société civile dans le suivi de ces promesses ?
Je ne serais pas sévère en disant que la société civile nécessite un renouveau à la hauteur des Orientations Royales et des attentes des citoyens. On y observe malheureusement des dérives similaires aux partis politiques. Malgré le financement public accordé aux associations et qui dépasse 4 milliards de DH, malgré ces partenariats multiples avec les ministères, institutions publiques et les collectivités territoriales, malgré l'attribution de la gestion des équipements socioculturels publics aux associations, malgré l'énorme nombre de projets de l'INDH accordés... le constat n'est pas positif. Une minorité d'associations sort du lot et présente des succès remarquables qu'il faut promouvoir et dupliquer.
Le sujet est d'actualité, comment percevez-vous la participation des MRE ?
Ces qualités évoquées précédemment distinguent beaucoup d'activistes au sein de la communauté marocaine à l'étranger. Leur attachement au Royaume n'est pas à démontrer et se traduit par des faits réels, des actions pratiques et permanentes et même des sacrifices sans équivalent. Une analyse approfondie de leur engagement en faveur du développement socio-économique de notre pays pourra identifier les meilleurs projets et activités et leur impact sur les territoires et les populations. Il est plus qu'indispensable de les motiver, de reconnaître leurs efforts et d'instaurer plus de confiance envers eux afin de les impliquer dans cette nouvelle dynamique dès la première phase de concertation pour identifier les priorités et les besoins, et même dans la phase d'évaluation. Les approches et les moyens ne manquent pas.
Par ailleurs, il serait plus pertinent de connecter la communauté à leurs provinces d'origine et de les impliquer dans leur développement et leur promotion à l'étranger. Ce scénario permettra de créer une grande motivation et une vraie concurrence au sein de la communauté marocaine pour une meilleure coopération décentralisée, scientifique, économique et socioculturelle. Un assouplissement des procédures régissant l'action des associations étrangères sur le territoire national doit être envisagé, tout en renforçant le contrôle.
Aziz Rabbah : S.M. le Roi a dressé un bilan du développement socio-économique de notre pays, dont les réalisations au niveau économique et du développement des infrastructures sont révélatrices d'un saut qualitatif faisant de notre pays une destination privilégiée des investisseurs et un partenaire solide et incontournable. Cependant, les indicateurs au niveau social et territorial n'honorent pas le Maroc que veut bâtir S.M. le Roi. Le Souverain a donc décidé d'abolir cette dynamique à deux vitesses et d'y pallier en lançant un nouveau programme pour un développement axé sur l'équité.
Vous évoquez un «Maroc à deux vitesses». Comment définissez-vous concrètement cette fracture ?
Cette double vitesse que vous qualifiez de fracture se manifeste par les déséquilibres constatés au niveau de certains territoires qui sont mal dotés d'infrastructures et d'équipements. Ils sont constatés au niveau de certaines couches sociales qui peinent à accéder aux services minimums en éducation et en santé, à l'emploi et à l'eau potable... Cette fracture peut être constatée même dans les grandes villes et les régions et provinces développées. Elle peut aussi être constatée au niveau économique et plus particulièrement au niveau de la répartition des investissements. Certaines zones connaissent un engouement remarquable en la matière, tandis que d'autres n'en bénéficient pas, malgré leur potentiel important en ressources naturelles et humaines.
Quelles régions ou catégories sociales, selon vous, incarnent aujourd’hui les inégalités dénoncées dans le Discours Royal ?
Au niveau territorial, je peux citer comme exemple les deux régions de Draâ-Tafilalet et Béni Mellal-Khénifra. Même dans les régions qui ont bénéficié de programmes de développement, certaines provinces, surtout montagneuses et rurales, souffrent de cette fracture. Sans oublier certains quartiers marginalisés dans toutes les villes modernisées qui représentent des fleurons de notre pays. Sur le plan social, les jeunes sans éducation et sans emploi (NEET) qui se comptent par millions, la population montagneuse, les petits professionnels de l'agriculture, de l'artisanat et du commerce, et les femmes sans appui... toutes ces catégories méritent une attention très particulière.
Vous parlez dans vos analyses de rupture avec les approches traditionnelles du développement social. Quelles limites ces approches présentaient-elles selon vous ?
Les territoires mal ou peu développés ont besoin de programmes intégrés basés sur les vrais besoins et priorités, selon les axes définis par S.M. le Roi : 1. l'emploi (développement économique adapté et investissement productif...), 2. les services sociaux (éducation, santé...), 3. gestion durable des ressources hydrauliques, et 4. projets de mise à niveau locale en adéquation avec les projets structurants nationaux. De même, chaque programme doit être piloté par une structure commune respectant les normes de bonne gouvernance et adoptant une approche participative, pour en finir avec l'anarchie où chaque partie/organisme veille sur son îlot isolé de projets. Ces derniers ne répondent pas aux besoins réels de la population. S'ajoutent à cela la duplication des efforts et la non-optimisation des moyens.
Quels sont, à vos yeux, les principaux leviers pour réussir cette «nouvelles génération de programmes de développement» fondés sur la régionalisation avancée ?
Plusieurs leviers sont à prendre en considération. Mais je suis convaincu que la clé de tout développement réside dans «le sérieux». On en a besoin dans tout le processus de développement, de la planification jusqu'à l'exploitation en passant par la mise en place du comité de pilotage, la concertation avec les acteurs locaux, la définition des projets prioritaires et des populations cibles, la répartition des projets dans les territoires concernés, le choix des partenaires et des sociétés méritantes et la réalisation de ces projets. Il est plus qu'indispensable dans la promotion de l'investissement, la gestion du foncier étatique et collectif, et la valorisation des ressources naturelles, y compris l'eau.
Le sérieux évoque des facteurs de succès nécessaires tels que le fort engagement de tous les intervenants, l'innovation dans la planification et la bonne gouvernance des programmes. Toutes les parties concernées sont interpellées : autorités locales, institutions, services administratifs, communes, fonctionnaires de tous les secteurs concernés, élites locales et citoyens... Le Royaume entamera une phase décisive de développement inclusif, durable et harmonieux. Il fait appel à une mobilisation totale guidée par le sérieux.
Comment évaluez-vous aujourd’hui la capacité des territoires à créer des emplois à partir de leurs ressources locales ?
Hamdoulillah, notre pays regorge de ressources naturelles diversifiées et réparties dans tout le territoire national. Les deux mers et leurs côtes, les carrières, les mines, les forêts, les montagnes, les plaines, les sites géologiques... en témoignent. De même, le Maroc est classé deuxième en termes de biodiversité dans la région méditerranéenne. Pour une valorisation productive et durable de ces ressources, certaines actions doivent être menées en priorité pour bien entamer le processus de valorisation des ressources naturelles locales. Premièrement, il faut élaborer une cartographie exhaustive du potentiel naturel existant. Deuxièmement, il faut identifier les ressources potentiellement exploitables d'une manière durable. Troisièmement, il faut cerner le foncier accessible à l'investissement et le promouvoir avec transparence et égalité de chances.
Les autorités doivent définir des cahiers des charges et des procédures incitatives à l'investissement et permettant un processus de sélection et de contrôle rigoureux des projets pour éviter les spéculations et les projets sans valeur ajoutée économique ni sociale. Aussi est-il indispensable de contrôler le processus d'octroi des autorisations pour sanctionner les éléments causant la lenteur et le blocage. Finalement, l'évaluation des projets doit être permanente pour veiller au respect des engagements des investisseurs et des administrations responsables de l'accompagnement.
Dans vos plaidoiries, vous mettez l’accent sur les services sociaux, en particulier la santé et l'éducation. Quelles actions concrètes attendez-vous des pouvoirs publics à ce niveau ?
Les services sociaux constituent l'âme du programme de développement local et donnent un vrai sens aux infrastructures et équipements. Certaines zones souffrent du manque d'équipements. Beaucoup de zones équipées souffrent de l'insuffisance des ressources humaines, de la mauvaise qualité des services rendus ou des pratiques malsaines de la part de certains fonctionnaires (absentéisme, corruption, ségrégation...). Dans d'autres cas, beaucoup de citoyens manquent de moyens pour y accéder ou manquent de couverture sociale ou sont mal orientés. Les pouvoirs publics doivent assurer l'accessibilité à tous les citoyens basée sur une approche intégrée : équipements, ressources humaines, gouvernance, qualité, protection sociale et orientation.
À mon sens, trois facteurs sont à prendre en considération : la contribution de la société civile dans le développement des projets et le contrôle des pratiques, la formation de ressources humaines suffisantes et leur motivation pour les affecter dans les zones en besoin, et le partenariat avec des volontaires en accompagnement et en orientation. Pour la santé, on peut encourager le développement des services de proximité privés, la création d'un réseau de sages-femmes indépendantes soutenues par l'État, encourager et encadrer la médecine alternative, soutenir les caravanes médicales publiques et privées, doter les centres hospitaliers provinciaux de tous les services nécessaires, et enfin réguler les prix des médicaments.
Face à l’urgence climatique, quelle gouvernance de l’eau recommandez-vous pour répondre à l’objectif d’un usage durable et anticipé ?
La problématique de l'eau est considérée comme un des défis menaçants de notre pays. Elle constitue un des sujets importants évoqués par S.M. le Roi dans presque tous Ses discours. S.M. le Roi lui a mis en place un comité stratégique dont Il préside les réunions d'une manière fréquente. Car notre pays est malheureusement considéré comme un des pays menacés par le stress hydrique. La rareté de l'eau est remarquée dans plusieurs provinces qui peinent à accéder à l'eau potable. C'est pourquoi il a été décidé en 2020 de lancer un programme d'urgence de 7 ans qui nécessite un financement d'environ 120 milliards de dirhams, et un plan 2050 d'environ 400 milliards. Ces chiffres qui pèsent lourd sur le budget de l'État et impactent même les programmes de développement témoignent de la gravité de la situation.
Malgré ces investissements colossaux, S.M. le Roi a, à maintes reprises, fait appel à la vigilance, à la gestion durable de l'eau et donne ses instructions aux pouvoirs publics pour veiller à l'optimisation et à la rationalisation de la consommation de l'eau dans tous les secteurs. Ceci doit être pris au sérieux et appliqué d'une manière stricte et sans connivence ni négligence. Autrement, notre pays connaîtra des tensions sociales, des exodes, des faillites de projets d'investissement, des risques énormes en sécurité alimentaire, des problèmes de santé, de nouvelles poches de pauvreté...
En conclusion, tous les projets d'infrastructures de production, de rétention, de recyclage et de distribution doivent être réalisés dans les meilleures conditions de coût, de qualité et de délais. La rationalisation doit être observée dans tous les secteurs et particulièrement dans l'agriculture qui atteint environ 85% de la consommation globale.
Vous insistez à plusieurs reprises sur le «sérieux» des acteurs. Est-ce que cela traduit une perte de confiance dans la gouvernance actuelle ?
Le sérieux doit être observé à tous les niveaux dans tous les domaines. Les premiers interpellés sont les hauts décideurs de premier rang au niveau des ministères, des institutions étatiques, des autorités... Ils doivent donner l'exemple du fort engagement et de la bonne conduite, être entourés par des conseillers compétents et honnêtes, promouvoir les bonnes pratiques, motiver les meilleurs collaborateurs et compétences, veiller minutieusement sur les projets et sanctionner les dérives de tout genre. Ils ne doivent pas céder aux pressions ni répondre aux doléances hors programmes. Ils doivent résister à la tentation. Sinon, c'est le chemin direct vers l'échec et la trahison. En ce qui concerne le gouvernement actuel, je ne peux émettre qu'une évaluation globale. Une bonne partie des élus appartenant aux partis de la coalition gouvernementale présente une mauvaise image. Ni discours convaincant, ni pratique loyale, ni réalisations satisfaisantes, ni encadrement de la société.
La coalition gouvernementale n'était pas en faveur du développement. Le Chef du gouvernement cherchait plutôt à avoir une majorité dominante face à une opposition faible et incohérente. Certes, notre pays a toujours besoin d'un gouvernement fort. Mais il a aussi besoin d'une opposition forte, un contre-poids qui constitue un facteur d'encadrement et de contrôle bénéfique à notre pays. Du point de vue des réalisations, on ne peut nier les avancées au niveau économique et même au niveau des grandes infrastructures. Cependant, le gouvernement a failli à sa mission en ce qui concerne le social (éducation, santé et emploi), la rationalisation de la consommation de l'eau, la régulation du marché pour stopper la flambée des prix, et la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption.
Comment garantir concrètement ce «sérieux» dans la sélection des responsables et le suivi des projets, sans tomber dans la bureaucratie ?
Les ressources humaines compétentes et honnêtes sont les facteurs clés de la mise en œuvre de tout projet public ou privé. Elles sont encore plus nécessaires pour les projets Royaux. La compétence et l'honnêteté sont fortement exigées comme critères de sélection des responsables et des pilotes de ces projets. Toutes les affinités et les relations doivent être ignorées, qu'elles soient amicales, sociales, partisanes, corporatistes, tribales ou professionnelles. Les deux qualités, compétence et honnêteté, doivent primer. Autrement, tout projet est voué à l'échec. Les champs politique, administratif, professionnel et même sociétal nous donnent beaucoup d'enseignements en la matière, malheureusement.
Le texte évoque des sanctions pour les entraves aux investissements. Faut-il aller vers un mécanisme formel de redevabilité territoriale ?
D'après mon expérience, un projet d'investissement bloqué fait rater à la collectivité des emplois, une part au PIB, des recettes fiscales, etc. La lenteur dans la prise de décision, la corruption de tout genre, le non ou mauvais accompagnement doivent être sanctionnés lourdement sans hésitation et avec justice, quels que soient l'origine de la cause et le niveau des responsables. Toutes les parties prenantes dans la prise de décision sont à évaluer sans exception et particulièrement : les autorités, les Centres régionaux d'investissement, les Agences urbaines, les collectivités territoriales et les services ministériels.
Le digital permet un suivi constant, juste et précis des projets dans toutes leurs phases. Un outil d'aide à la décision central pourra détecter les éléments de blocage ou de lenteur et même les pratiques de corruption. Il est par ailleurs important pour les Centres régionaux d'investissement de ne pas focaliser leurs efforts uniquement sur la réception des dossiers et le fait de statuer sur les autorisations. Ils doivent accomplir leurs missions d'accompagnement des projets et de promotion des territoires. Plus encore, ils doivent élaborer une liste de projets de différentes tailles et secteurs et en faire leur promotion.
Pensez-vous que les collectivités territoriales disposent aujourd’hui des ressources humaines et institutionnelles suffisantes pour porter cette transformation ?
À l'inverse des régions et des collectivités territoriales dans les grandes villes qui ont un rôle important dans le processus de développement, la promotion de l'investissement, la mobilisation du foncier et la réalisation des infrastructures et équipements, si elles sont bien gouvernées, les collectivités de taille moyenne et petite sont mal dotées en moyens humains et financiers pour accomplir leurs missions. Elles ne disposent même pas des services de base. Même si certaines collectivités sortent du lot en ayant des budgets conséquents par leurs propres ressources ou à travers des partenariats, elles constituent le maillon faible dans le système.
En effet, leur pouvoir est très limité soit par la loi soit dans la pratique. La majorité de leurs décisions doivent être approuvées par la tutelle qui est l'autorité. Dans le meilleur des cas, l'approbation prend beaucoup de temps. La majorité des actes impactant le développement dépendent formellement des autres acteurs. Je fais référence à l'urbanisme, le domaine professionnel, la fiscalité locale, etc. De même, leur rôle dans certains domaines se limite à la prise de décision, mais leur mise en œuvre dépend des autorités, comme l'habitat insalubre, l'économie informelle et l'occupation du domaine public. Ainsi, la clarification des rôles et responsabilités est plus que primordiale pour mener à bien cette nouvelle génération de projets lancée par S.M. le Roi. Sans oublier bien sûr le renouvellement de l'élite politique en vue d'en finir avec les pratiques malsaines et la médiocrité dans pas mal de cas.
Quel rôle doit jouer la société civile dans le suivi de ces promesses ?
Je ne serais pas sévère en disant que la société civile nécessite un renouveau à la hauteur des Orientations Royales et des attentes des citoyens. On y observe malheureusement des dérives similaires aux partis politiques. Malgré le financement public accordé aux associations et qui dépasse 4 milliards de DH, malgré ces partenariats multiples avec les ministères, institutions publiques et les collectivités territoriales, malgré l'attribution de la gestion des équipements socioculturels publics aux associations, malgré l'énorme nombre de projets de l'INDH accordés... le constat n'est pas positif. Une minorité d'associations sort du lot et présente des succès remarquables qu'il faut promouvoir et dupliquer.
Le sujet est d'actualité, comment percevez-vous la participation des MRE ?
Ces qualités évoquées précédemment distinguent beaucoup d'activistes au sein de la communauté marocaine à l'étranger. Leur attachement au Royaume n'est pas à démontrer et se traduit par des faits réels, des actions pratiques et permanentes et même des sacrifices sans équivalent. Une analyse approfondie de leur engagement en faveur du développement socio-économique de notre pays pourra identifier les meilleurs projets et activités et leur impact sur les territoires et les populations. Il est plus qu'indispensable de les motiver, de reconnaître leurs efforts et d'instaurer plus de confiance envers eux afin de les impliquer dans cette nouvelle dynamique dès la première phase de concertation pour identifier les priorités et les besoins, et même dans la phase d'évaluation. Les approches et les moyens ne manquent pas.
Par ailleurs, il serait plus pertinent de connecter la communauté à leurs provinces d'origine et de les impliquer dans leur développement et leur promotion à l'étranger. Ce scénario permettra de créer une grande motivation et une vraie concurrence au sein de la communauté marocaine pour une meilleure coopération décentralisée, scientifique, économique et socioculturelle. Un assouplissement des procédures régissant l'action des associations étrangères sur le territoire national doit être envisagé, tout en renforçant le contrôle.
