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Catastrophes climatiques : quand l’angle mort du genre fragilise la résilience

Les inondations qui ont récemment frappé la région de Safi n’ont pas seulement révélé la violence croissante des aléas climatiques. Elles ont surtout mis à nu une faille persistante dans l’architecture des politiques publiques : l’incapacité à intégrer pleinement la dimension genrée dans la gestion des risques. Un constat que l’Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM) place au cœur du débat public dans un communiqué rendu public le 24 décembre 2025, appelant à une refondation méthodique des réponses institutionnelles face aux catastrophes naturelles.

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À travers ce communiqué, l’Association démocratique des femmes du Maroc inscrit les inondations de Safi dans une lecture plus large des vulnérabilités structurelles révélées par les catastrophes climatiques. L’organisation ne se limite pas à une réaction circonstancielle : elle interroge les fondements mêmes des politiques de gestion des risques, dont la conception demeure largement indifférenciée, alors même que leurs effets se déploient de manière inégale au sein de la société.

Au fil de son analyse, l’ADFM met en évidence un décalage persistant entre l’universalité affichée des dispositifs de prévention et de réponse, et la réalité des contraintes spécifiques auxquelles sont confrontées les femmes, en particulier dans les territoires exposés et les segments les plus précaires de l’économie. En filigrane, se dessine une exigence claire : faire de l’intégration de la dimension genrée non plus un correctif marginal, mais un principe structurant de l’action publique face aux risques climatiques.

Une neutralité apparente, des effets profondément inégalitaires

À première lecture, les dispositifs de prévention et d’intervention donnent l’illusion de l’universalité. Mais derrière cette neutralité affichée apparaît une approche largement abstraite des populations exposées, qui peine à saisir les réalités sociales et économiques différenciées façonnant l’expérience concrète des crises. C’est à ce niveau que l’ADFM situe une première ligne de fracture, en pointant l’inadaptation persistante des systèmes d’alerte précoce aux usages, aux contraintes et aux temporalités propres aux femmes, notamment dans les espaces ruraux et périurbains où l’accès à l’information demeure profondément inégal.



Dans cette même logique, les mécanismes d’évacuation révèlent leurs limites. Pensés selon des schémas standardisés, ils intègrent insuffisamment les responsabilités spécifiques assumées par les femmes, en particulier la prise en charge des enfants, des personnes âgées ou dépendantes. À cette carence opérationnelle s’ajoute une offre d’hébergement d’urgence encore trop peu attentive aux exigences élémentaires de sécurité, d’intimité et de santé des femmes et des filles. Enfin, l’absence de protocoles de protection adaptés achève de souligner un angle mort préoccupant, dans un contexte où les situations de crise accentuent mécaniquement les vulnérabilités existantes.

Le secteur informel, révélateur d’une vulnérabilité structurelle

À Safi, les inondations ont exercé leurs effets les plus dévastateurs sur les femmes engagées dans le secteur informel, qui concentre près de 68% de la population féminine active. En l’espace de quelques heures, vendeuses ambulantes, artisanes, transformatrices de produits agricoles ou prestataires de services de proximité ont vu s’effondrer leurs outils de travail et s’évanouir leurs sources de revenus, sans filet de protection pour amortir le choc.

Or, privées de toute couverture sociale formelle, ces femmes se trouvent confrontées à une double contrainte. À la perte immédiate des moyens de subsistance s’ajoute l’absence de dispositifs institutionnels capables d’accompagner un relèvement durable. Il en résulte une mécanique désormais bien identifiée, mais encore trop peu prise en charge par l’action publique : la catastrophe climatique ouvre la voie à la précarité économique, laquelle, faute de réponses adaptées, se prolonge en marginalisation durable.

Penser la résilience autrement : du diagnostic à l’architecture des réponses

C’est précisément à ce point de convergence que se déploie la feuille de route défendue par l’ADFM. L’ambition affichée dépasse la seule logique de gestion de l’urgence : il s’agit désormais de bâtir une approche intégrée, qui inscrit l’égalité non en périphérie, mais au cœur même de l’ensemble du cycle de gestion des catastrophes. En amont, cette inflexion appelle une politique de prévention attentive aux différenciations sociales et genrées. Elle repose sur des dispositifs d’anticipation fondés à la fois sur une cartographie fine des vulnérabilités territoriales et sur la participation effective des femmes aux instances locales de gestion des risques. Déjà, le regard se déplace : les femmes ne sont plus appréhendées comme de simples bénéficiaires de l’assistance, mais reconnues comme des actrices à part entière de la résilience des territoires.

Lorsque survient la catastrophe, cette exigence de cohérence doit se prolonger dans la réponse d’urgence. Rompre avec les schémas indifférenciés devient alors une condition de crédibilité de l’action publique. Protocoles d’évacuation adaptés, hébergements sécurisés et dispositifs de prévention des violences s’imposent comme autant de garanties indispensables pour assurer une protection effective – et non seulement proclamée – des populations les plus exposées.

Le relèvement, épreuve décisive de la cohérence publique

C’est pourtant dans le temps du relèvement que se joue l’épreuve la plus déterminante. Faute de mécanismes ciblés de soutien économique, les femmes du secteur informel demeurent enfermées dans une vulnérabilité prolongée, où la catastrophe initiale se mue en fragilité structurelle, rappelle l’association. Dans cette perspective, la mise en place de fonds d’urgence dédiés, l’accès prioritaire à des dispositifs de compensation et le recours à des instruments de microfinancement apparaissent moins comme des options que comme des leviers indispensables pour empêcher que le choc climatique ne s’inscrive durablement dans des trajectoires d’exclusion.

Au-delà de ces instruments, la question de la gouvernance s’impose comme le fil conducteur de l’ensemble du dispositif. L’intégration systématique de l’analyse d’impact genré dans les politiques de gestion des risques, la coordination effective entre les champs du climat, de la protection sociale et de l’égalité, ainsi que la création d’un observatoire national des impacts genrés des changements climatiques répondent à une exigence commune : ancrer l’action publique dans des données fiables, une responsabilité clairement définie et une capacité réelle d’ajustement dans le temps.

De l’égalité comme condition d’efficacité

Au-delà du registre du plaidoyer, la démarche portée par l’ADFM ouvre une interrogation de fond : peut-on sérieusement prétendre édifier une résilience climatique durable en faisant l’économie d’une lecture lucide des inégalités structurelles ? La réponse s’esquisse d’elle-même. L’intégration de la dimension genrée dans la gestion des catastrophes ne procède ni d’un supplément normatif ni d’une exigence symbolique ; elle constitue une condition d’efficacité, sans laquelle les politiques de prévention, de réponse et de relèvement demeurent, par construction, inachevées.

À Safi comme dans d’autres territoires exposés, les catastrophes climatiques rappellent avec constance que la neutralité affichée des dispositifs publics peut produire des effets profondément inégalitaires. Corriger cet angle mort ne relève plus du choix politique. C’est désormais, conclut l’Association démocratique des femmes du Maroc, une exigence de cohérence de l’action publique et, plus fondamentalement, une condition de justice sociale.
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