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El Houssine El Yamani : la loi sur la grève marque une «rupture de confiance totale» avec le gouvernement

Adoptée dans un climat social tendu, la loi organique sur le droit de grève suscite une opposition farouche de la Confédération démocratique du travail (CDT). El Houssine El Yamani, secrétaire général du syndicat national des industries du pétrole et gaz & membre du conseil national de la CDT, revient sur les raisons du rejet syndical de ce texte et met en garde le gouvernement contre une «crise sociale majeure».

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El Houssine El Yamani, membre du conseil national de la Confédération démocratique du travail, a tiré la sonnette d’alarme lors de son passage à l’émission «L’Info en Face» de Matin TV, sur les répercussions de la nouvelle loi encadrant le droit de grève au Maroc. Adoptée dans un contexte de mécontentement social, cette loi suscite une vive opposition des syndicats, qui y voient une atteinte aux droits des travailleurs et une remise en cause des acquis sociaux obtenus après les mouvements de contestation de 2011. Selon M. El Yamani, la CDT rejette fermement cette réforme, puisqu’elle «ne prend pas en compte les réalités du monde du travail et intervient alors même que les lois existantes en matière de protection des salariés ne sont pas appliquées de manière effective».

C’est pourquoi El Houssine El Yamani estime que la nouvelle loi sur le droit de grève n’a rien d’un progrès démocratique, «c’est plutôt un passage en force du gouvernement». «Nous avons signé un protocole d’accord en avril 2024 qui stipulait que toute loi à caractère social devait être soumise à une négociation tripartite entre les syndicats, le gouvernement et le patronat. Cet engagement a été bafoué», dénonce-t-il. Selon lui, les syndicats ont multiplié les discussions et les avertissements, mais l’Exécutif a choisi d’imposer son texte sans véritable concertation. «Quand nous avons compris que le gouvernement ne comptait pas respecter ses engagements, nous avons appelé à une manifestation nationale le 19 janvier, puis à la grève générale du 5 février», précise-t-il.

Un climat de défiance grandissant

Au-delà de la teneur de la nouvelle loi, c’est surtout la méthode qui scandalise la CDT. El Houssine El Yamani parle de «rupture de confiance totale» avec l’Exécutif. «Comment croire à un dialogue social si les accords signés ne valent rien ?», interroge-t-il. Selon lui, le gouvernement a manipulé le processus législatif en modifiant le texte entre les deux Chambres du Parlement, rendant «caducs» les rares amendements obtenus. «Nos parlementaires eux-mêmes ne semblent pas avoir mesuré l’enjeu. La deuxième version de la loi votée n’a rien à voir avec la première !», s’insurge-t-il. Un taux d’absentéisme élevé lors du vote (70%) vient, selon lui, illustrer le malaise général autour de cette réforme.

Un texte «déconnecté» des réalités du terrain

Sur le fond, la CDT estime que cette loi ne répond pas aux véritables défis des travailleurs marocains. «Que vaut une loi si son application est inexistante ? », interroge M. El Yamani. Il cite l’exemple du Code du travail de 2004 qui interdit de payer un salaire inférieur au SMIG ou d’employer un travailleur sans déclaration à la CNSS. «Aujourd’hui, 65% des Marocains touchent moins que le SMIG et 70% ne sont pas déclarés à la CNSS. Où est l’application de la loi ?», s’indigne-t-il. Le responsable syndical dénonce également la précarisation croissante des travailleurs. «Nous avons des lois qui interdisent de licencier un salarié pour son appartenance syndicale, pourtant, dès qu’un bureau syndical se forme dans une entreprise, tous ses membres sont renvoyés», affirme-t-il, pointant du doigt une répression silencieuse du droit syndical. Par ailleurs, El Houssine El Yamani estime que cette réforme du droit de grève s’inscrit dans un contexte plus large de «dégradation du pouvoir d’achat et d’austérité imposée». Il rappelle que les revendications syndicales ne se limitent pas à la défense du droit de grève, mais englobent aussi la lutte contre l’inflation et la flambée des prix. «Un kilo de viande rouge coûte aujourd’hui 130 dirhams, la sardine dépasse les 30 dirhams... Comment un Marocain au SMIG peut-il vivre dignement ?», s’interroge-t-il. Il souligne que la CDT avait déjà tenté de manifester contre la cherté de la vie en 2023, mais que les forces de l’ordre avaient empêché la marche prévue à Casablanca.

«Préparation» à d’autres réformes douloureuses ?

Mais ce que la CDT redoute par-dessus tout, c’est que cette réforme soit le prélude à d’autres réformes plus drastiques. «Nous sommes convaincus que cette loi est une préparation pour flexibiliser davantage le marché du travail, affaiblir les syndicats et faciliter des réformes impopulaires comme la réforme des retraites et celle du Code du travail», avertit M. El Yamani. La loi encadre strictement les modalités de grève, en exigeant des délais de préavis et en interdisant certaines formes de grèves spontanées. «Mais comment peut-on demander à un salarié de respecter des délais, alors que son employeur ne respecte même pas le droit fondamental de le payer à temps ?», s’insurge le syndicaliste.
Face à cette situation, la CDT a saisi la Cour constitutionnelle pour contester la légalité de la réforme. «Si la Cour valide cette loi, nous respecterons la décision, mais nous continuerons à militer», affirme M. El Yamani. Il évoque également un possible recours auprès de l’Organisation internationale du travail (OIT), estimant que plusieurs articles du texte marocain violent les conventions internationales. Interrogé sur la suite des événements, El Houssine El Yamani reste ferme : «Le combat continue. Nous allons multiplier les actions et envisager d’autres formes de protestation». Il refuse cependant d’annoncer un retrait des commissions tripartites, comme l’a fait l’UMT. «Nous sommes un syndicat indépendant. Nous prendrons nos décisions en fonction de l’intérêt des travailleurs», précise-t-il.
Par ailleurs, alors que la réforme du Code du travail est prévue pour 2025, la CDT se prépare déjà à une bataille intense. «Nous ne sommes pas là pour nous venger, mais nous serons vigilants. Plus question de nous faire avoir comme avec la loi sur la grève», prévient M. El Yamani qui insiste sur la nécessité d’une véritable concertation et rejette toute tentative de plafonnement des indemnités de licenciement ou de flexibilisation abusive du marché du travail. Pour conclure, El Houssine El Yamani met en garde contre les conséquences d’un dialogue social rompu. «Le gouvernement a frappé de plein fouet la paix sociale. Si ce déséquilibre persiste, les tensions sociales ne feront que s’aggraver», prédit-il. Il appelle l’Exécutif à «corriger ses erreurs» avant qu’une crise sociale majeure ne survienne.
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