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Chambre des représentants : comment gagner la bataille de l’image... et de la confiance des citoyens

La présentation du projet de budget 2026 de la Chambre des représentants, vendredi 7 novembre devant la Commission des finances, a révélé un paradoxe pour le moins frappant : jamais le Parlement marocain n’a été autant suivi par les citoyens. La diffusion en direct des débats sur le projet de loi de Finances 2026 a généré 3,2 millions de vues sur Facebook, 355.000 sur YouTube et 1,2 million sur Instagram. «Ces chiffres reflètent l’intérêt porté par l’opinion publique aux travaux des Commissions», commente le président de la Chambre, qui voit dans cette audience massive la preuve que «le Parlement est devenu le cœur du débat public». Pour les députés, il est impératif de mettre à profit ces canaux de communication pour montrer les efforts et l’engagement des parlementaires, loin des clichés et des idées reçues véhiculés par une certaine presse. Car il faut le reconnaître, l’image des députées est peu reluisante. À juste titre parfois, concèdent des membres de l’opposition.

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Vendredi 7 novembre 2025, 15 heures. Dans la salle réservée à la Commission des finances et du développement économique, Rachid Talbi Alami dépose sur la table un projet de budget qui ne varie pas d’un iota par rapport à celui de 2025. Pourtant, derrière ces 668.429 millions de dirhams reconduits, se cache une année parlementaire différente de la précédente. Face aux députés de la majorité et de l’opposition, le président de la Chambre des représentants dresse le bilan d’une législature qu’il a qualifié de très positif.

Records législatifs contre bataille d’image

Les chiffres parlent d’eux-mêmes, et la majorité ne s’en prive pas. «C’est la première fois dans l’histoire du Parlement marocain qu’il approuve 75 propositions de loi au cours d’une seule année législative, un record depuis la première législature de 1963», martèle Rachid Talbi Alami. Sur les quatre années de la législature, le compteur affiche 166 projets de loi adoptés, 10.450 amendements déposés dont 1.905 acceptés, et 583 réunions de commissions consacrées à la législation. Des statistiques que Hassan Benomar, vice-président de la Chambre des représentants, député de la majorité-RNI, qualifie d’«historiques et sans précédent».

Pour le Groupe istiqlalien, représenté par Allal El Amraoui, cette productivité législative s’inscrit dans «un contexte national marqué par des défis économiques et sociaux croissants», où le Parlement accompagne les grands chantiers Royaux : généralisation de la protection sociale, réforme de l’investissement et, désormais, préparation du système électoral pour les législatives de 2026 conformément aux Hautes Directives Royales. Salah-Eddine Chenguiti (PAM) ajoute une dimension qualitative : «La première Chambre a réussi à se rapprocher du citoyen grâce à l’amélioration de la communication et à la modernisation des structures.» Une euphémisation que l’opposition s’empresse de déconstruire.

Car face à ce sentiment de satisfaction, Abderrahim Chahid (USFP) pose la question qui fâche : «Ces chiffres suffisent-ils à corriger l’image du Parlement ?» Son constat est implacable : «Il y a un tassement de l’intérêt pour le travail parlementaire, une dévalorisation du statut des élus.» Ahmed El Abadi (PPS) enfonce le clou avec ses propos critiques habituels des discours de l’opposition parlementaire : «La détérioration grave de la situation statutaire des parlementaires est une réalité. Elle résulte de la dévalorisation du travail politique, mais aussi de l’augmentation des scandales à caractère criminel impliquant certains députés».

Abdellah Bouanou (PJD) dénonce, lui, le «ciblage médiatique abusif» dont sont victimes les députés : «Les journalistes nous photographient comme s’ils cherchaient à nous surprendre en train de dormir ou de manger. Nous ne sommes ni en procès ni dans une situation qui justifie ce harcèlement. Nous sommes dans la Chambre des représentants, et nous méritons un minimum de respect.» Il exige que, lors de poursuites judiciaires, les médias précisent systématiquement que les faits reprochés ne relèvent pas de la responsabilité parlementaire. Cette bataille pour l’image trouve un écho inattendu dans les propos de Seloua Demnati (USFP), qui confesse : «Ce climat nous a conduit récemment à envisager sérieusement la démission, notamment après les sorties médiatiques récentes qui dévalorisent le travail parlementaire». La majorité esquive le débat. Elle préfère rappeler l’amendement du Règlement Intérieur (trois révisions en cinq ans) et l’intégration du Code d’éthique parlementaire, «conformément aux Directives Royales contenues dans le Message adressé aux participants au colloque commémorant le 60e anniversaire de la création du Parlement marocain». Mais l’opposition rétorque que l’éthique ne règle pas la question du «gouvernement qui refuse de répondre aux demandes d’interventions urgentes ou de missions d’information».

3,2 millions de Marocains ont suivi le PLF

Sur un point au moins, majorité et opposition sont d’accord : la transformation numérique a changé la donne. «Les Marocains sont intéressés par la politique bien plus qu’on ne l’imagine», lance Abderrahim Chahid (USFP) en s’appuyant sur les statistiques livrées par Rachid Talbi Alami. La diffusion en direct des débats sur le projet de loi de Finances 2026 a généré 3,2 millions de vues sur Facebook, 355.000 sur YouTube (soit 55.400 heures de visionnage), 1,2 million sur Instagram, et 3.700 nouveaux abonnés à la chaîne officielle de la Chambre. La plateforme Flickr, dédiée aux archives photographiques, a enregistré 20.000 vues quotidiennes. «Ces chiffres reflètent l’intérêt porté par l’opinion publique aux travaux des commissions», commente le président de la Chambre, qui voit dans cette audience massive la preuve que «le Parlement est devenu le cœur du débat public». Yasmine El Maghour (RNI) abonde dans le même sens : «Nous assistons à une dynamique législative sans précédent, non seulement en volume, mais aussi en qualité de communication. Le Parlement ne subit plus, il anticipe, accompagne et débat».

Driss Sentissi (groupe Harraki-opposition) salue cette «initiative pionnière» qui «réfute les rumeurs» sur l’inactivité parlementaire. Mais il alerte : «Il ne faut pas confondre diffusion et communication. La diffusion informe, la communication engage». Une nuance que Rachid Talbi Alami assume pleinement : «Ma position personnelle est que l’institution informe l’opinion publique, tandis que la communication est assurée par les Groupes et les députés». C’est précisément sur ce partage des rôles que l’opposition émet ses réserves. Abdellah Bouanou (PJD) interroge : «Qui contrôle la ligne éditoriale du Media Box?» Ce studio audiovisuel, inauguré le 4 juin 2025 en partenariat avec l’Agence marocaine de presse (MAP), produit des interviews et des capsules diffusées sur la chaîne d’information M24. «Une initiative louable, reconnaît le député PJD, mais avez-vous signé une convention avec la MAP pour garantir notre indépendance éditoriale ? Le risque de perte d’autonomie est réel».

En réponse, M. Talbi Alami indique que le partenariat avec la MAP offre «un cadre officiel» et une «diffusion à large échelle». À ce sujet, l’opposition formule un souhait unanime : la création d’une chaîne parlementaire dédiée. Salah-Eddine Chenguiti (PAM) l’appelle de ses vœux «pour diffuser les travaux législatifs, de contrôle et diplomatiques, avec des programmes analytiques et de sensibilisation». Ahmed El Abadi (PPS) renchérit : «Une chaîne parlementaire qui vit au rythme du travail parlementaire permettrait de montrer la réalité de notre engagement, loin des caricatures et autres clichés».

Dernier point de friction : les archives numériques. «Le site web s’arrête en 2007, et le moteur de recherche est défaillant», regrette Abdellah Bouanou. «Nous recevons quotidiennement entre 4.000 et 5.000 chercheurs, parfois 15.000», répond M. Talbi Alami, qui promet d’«améliorer le moteur de recherche et la base de données».

Unanimité sur le dossier qui fâche : le personnel en attente

Si un sujet rassemble majorité et opposition, c’est bien celui de la situation du personnel. «Nous devons admettre que le problème d’espace est fondamental et cause d’autres difficultés, affectant notamment les fonctionnaires de l’annexe», reconnaît Rachid Talbi Alami. Cet aveu ouvre la boîte de Pandore. Abdelah Bouanou dresse un état des lieux accablant de la situation des personnels affiliés : «Depuis 2013, il existe une discrimination salariale injustifiée entre les affiliés intégrés et les fonctionnaires titulaires. Même après intégration, un écart de deux échelons persiste. Cette inégalité se répercute jusqu’aux œuvres sociales, y compris pour le pèlerinage à La Mecque». Partant de là, le député PJD exige la correction immédiate de cette «injustice».

La question des contractuels des groupes parlementaires (en CDD) versus ceux de l’administration (en CDI) provoque une levée de boucliers. «Pourquoi cette différence de traitement pour des cadres de même niveau et de même compétence ?», interroge une députée non identifiée dans le procès-verbal. Elle réclame «l’application du principe de rotation et d’alternance aux postes de responsabilité administrative» et «la création de postes de chefs de bureau dans les groupes parlementaires, comme c’est le cas dans l’administration». Driss Sentissi (groupe Harraki) enfonce le clou : «Si un contractuel mérite l’intégration après une période probante reconnue par tous, pourquoi ne pas lui offrir un contrat à durée indéterminée ? Cela ne changera rien : un fonctionnaire peut être licencié en cas de faute, qu’il soit titulaire ou contractuel».

Le dossier de la retraite complémentaire cristallise lui aussi les frustrations. «Ce projet est sur la table depuis 2013, et il a été activé à la Chambre des conseillers en 2018», rappelle une députée. «Nous demandons l’accélération de ce dossier en nous inspirant de l’expérience de la Chambre des conseillers». «C’est une question de justice et d’équité», réclament les députés. Salah-Eddine Chenguiti (PAM) attire l’attention sur une autre priorité : «Nous devons renforcer les chantiers de formation continue dans des domaines modernes pour accompagner la transformation numérique, ainsi que des sessions de langues vivantes». Driss Sentissi propose d’aller plus loin : «Pourquoi ne pas signer des conventions avec les universités pour proposer des Diplômes universitaires aux députés et au personnel ? L’accord actuel avec l’Université Mohammed V pour 80 personnes devrait être étendu. Un diplôme universitaire en “Parlement et Législation” valoriserait nos compétences».

Khadija Zoumi (Istiqlal) alerte, elle, sur l’assurance maladie : «Les fonctionnaires de la Chambre des conseillers bénéficient d’une couverture à l’étranger pour les cas graves, notamment le cancer. Pourquoi cette différence ?» Elle propose aussi «une journée du fonctionnaire avec un prix du meilleur employé», une idée que salue Abdellah Bouanou (PJD). Rachid Talbi Alami esquisse une réponse prudente : «Le personnel a un syndicat pour présenter ses revendications, et nous y répondons progressivement. Nous travaillons actuellement sur une nouvelle structure organisationnelle», explique-t-il, tout en soulignant : «Nous ne pourrons pas résoudre les problèmes des cadres sans résoudre le problème de l’espace».

Budget 2026 : quatre priorités, une équation à 668 millions de dirhams

Au terme de plus de deux heures trente de débat, Rachid Talbi Alami coupe court : «Je suis prêt à organiser une autre session pour répondre à toutes vos questions». Mais avant de clore les travaux, le président détaille la répartition du projet de budget 2026, dont l’enveloppe globale atteint 668,429 millions de dirhams. Un montant reconduit à l’identique, mais dont la ventilation révèle les priorités institutionnelles. Le budget de fonctionnement capte l’essentiel des ressources : 478,298 millions de dirhams pour le chapitre «Députés et Fonctionnaires» (incluant 20 postes financiers supplémentaires et les promotions attendues en grade et échelon pour 2025), auxquels s’ajoutent 170,131 millions pour le chapitre «Matériel et Dépenses Diverses». L’investissement, lui, plafonne à 20 millions de dirhams en crédits de paiement et d’engagement.

Cette enveloppe se décompose en quatre projets structurants. Le projet «Travail législatif, de contrôle et d’évaluation» mobilise 18,55 millions de dirhams, couvrant le soutien aux groupes parlementaires, les frais d’études et de recherches, les cotisations et les travaux de documentation. Le projet «Diplomatie parlementaire» capte la part du lion avec 55,6 millions de dirhams : contributions aux organisations internationales, déplacements et indemnités des députés en mission à l’étranger, accueil de délégations étrangères, restauration et hébergement. Le projet «Parlement électronique et communication» dispose de 18,89 millions de dirhams pour l’achat d’équipements informatiques, la maintenance des systèmes, l’hébergement des données, ainsi que les frais de publication, traduction et publicité. Enfin, le projet «Soutien aux missions» concentre 575,389 millions de dirhams (84% du budget total), essentiellement dédiés aux ressources humaines : indemnités des députés, salaires et primes du personnel, assurances et cotisations aux caisses sociales.

Côté investissement, les chantiers prioritaires incluent le renouvellement des équipements d’éclairage de la salle de séance (vétusté avérée), l’acquisition d’appareils de contrôle par rayons X aux entrées, la modernisation des équipements audiovisuels, l’extension de la capacité de stockage du centre de données, la mise à jour du système antivirus et l’acquisition d’équipements informatiques de bureau. Des projets liés à la rentrée parlementaire 2026 (équipement des nouveaux élus), au renouvellement des licences Microsoft, à l’exécution du marché de nettoyage et à la participation au Salon international du livre figurent également au menu.
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