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Révision du Code de la famille : le périmètre d’intervention selon les oulémas

Alors que le compte à rebours est lancé pour la révision du Code de la famille, les spéculations vont bon train quant aux limites qui pourraient être franchies dans la définition des prochains amendements. Même si le cadre référentiel de cette révision est fixé clairement, la marge de manœuvre reste tout de même importante et fera inévitablement l’objet de tiraillement entre progressistes et conservateurs. Le point avec Lahcen Ben Brahim Sguenfle et Mustapha Najim, respectivement président du Conseil local des oulémas de la préfecture de Skhirate-Témara et membre du Conseil supérieur des oulémas.

L’Initiative Royale relative à la révision du Code de la famille a redonné grand espoir au tissu associatif qui milite pour un texte en phase avec le développement du pays et les avancées majeures accomplies dans le domaine des droits de l’Homme. Mais les plus avisés préfèrent garder le sens des réalités et modérer leurs ambitions, choisissant de concentrer leurs propositions d’amendement sur les priorités ou urgences «réalisables» dans le contexte actuel.



De leur côté, les théologiens modérés sont ouverts aux débats tant que les amendements en vue n’enfreignent pas les textes coraniques formels. C’est d’ailleurs le plafond établi par S.M. le Roi Mohammed VI dans Son discours du 30 juillet 2022, et rappelé dans Sa lettre envoyée au Chef du gouvernement en septembre dernier. «Je ne peux autoriser ce que Dieu a prohibé, ni interdire ce que le Très-Haut a autorisé», avait déclaré le Souverain dans Son discours.

La révision du Code fait consensus

Pour Mustapha Najim, membre du Conseil supérieur des oulémas, le respect des préceptes de la charia islamique est le cadre qui régit cette nouvelle réforme du Code de la famille qui s’impose aujourd’hui. Il soutient aussi que «toute révision est possible tant qu’on reste dans le cadre de l’effort jurisprudentiel (ijtihad) et ses conditions, et aussi dans le cadre de la religion à travers ses textes, à savoir le Coran et la Sunna auxquels s’ajoute le leg des jurisconsultes musulmans (fuqaha). Il est question de mettre en cohérence les textes et l’ijtihad pour réaliser l’intérêt général».

Lahcen Ben Brahim Sguenfle, président du Conseil local des oulémas de la préfecture de Skhirate-Témara, confirme de son côté que la Moudawana a grand besoin d’être mise à jour, relevant que tout le débat autour de cette nouvelle réforme témoigne de la vitalité de la société marocaine. Mettant en avant le bienfondé de la Décision Royale qualifiée de «sage», il signale que les 20 années d’application de ce texte ont démontré l’existence de nombreux dysfonctionnements, citant à titre d’exemple le nombre croissant de divorces, le mariage de mineures et les difficultés liées aux droits à la tutelle légale. «Tout texte intellectuel ou juridique produit par l'Homme a besoin d'être révisé périodiquement. Et le Code de la famille est le résultat d’un effort humain élaboré conjointement par des jurisconsultes et des juristes ainsi que des experts dans le domaine des droits de l’Homme et de la pratique conventionnelle», signale-t-il, rappelant que ce travail collectif a pris en compte les principes de la loi islamique (charia) et ses finalités (maqasid) et a constitué à son époque une avancée majeure tant sur le plan juridique que jurisprudentiel.

Et cette nouvelle révision devra s’inscrire dans la même logique suivant le cadre théorique défini par le Souverain. «La Commission en charge de la révision du Code de la famille accomplira sa mission sur la base des Hautes Directives Royales, considérant que Sa Majesté le Roi, Commandeur des croyants et Président du Conseil supérieur des oulémas, est le défenseur de la foi et de la loi et le protecteur de la charia. Le Souverain a tracé le cadre d’intervention de cette commission de manière à ce que son travail ne permette pas ce qui est interdit et n’interdise pas ce qui est permis. Et que ce travail ait pour fondement le respect des textes coraniques formels et qu’il repose sur les objectifs de la loi islamique et sur l'effort d'interprétation (ijtihad) qui prend en considération la réalité ainsi que les finalités», explique Lahcen Sguenfle.

La «qiwamah», cette incomprise

L’une des failles pointées du doigt par la société civile droit-de-l’hommiste est le fait que le Code de la famille de 2004 a consacré le principe de la «qiwamah» (prévalence), «synonyme de domination masculine, en présentant l’homme comme unique pourvoyeur de ressources pour l’entretien de la famille». Interrogé sur cette question, le président du Conseil local des oulémas de Skhirate-Témara a tenu à corriger ce qu’il considère comme un malentendu autour de la signification exacte de cette conception qui n’implique, selon lui, ni autorité ni violence, mais renvoie plutôt au devoir d’assurer la sécurité de la famille et de prendre soin des enfants.

«Cette question de la “qiwamah”, qui fait couler beaucoup d’encre, est mal comprise. La “qiwamah” fait plutôt référence au devoir de l’homme vis-à-vis de sa famille, de sa femme et de ses enfants, et ce à travers son rôle dans la prise en charge des dépenses et du suivi. Et les femmes peuvent de leur côté jouer leur rôle à notre époque en partageant cette “qiwamah”», explique le théologien. «Le revenu d'une épouse peut être supérieur à celui de son mari, mais la présence de ce dernier en tant que pilier qui remplit son rôle de mari et de père est très importante et nécessaire pour la stabilité et la préservation de la famille», explique le théologien. Il admet toutefois que certains hommes, à travers leurs comportements, portent atteinte à l’essence de ce principe, notamment ceux qui vivent aux crochets de leurs femmes.

L’héritage, une question tranchée

C’est l’une des revendications des associations féministes parmi les plus controversées. Mais Lahcen Sguenfle est formel : l’héritage relève de l’autorité de Dieu seul et les textes coraniques qui encadrent ce volet sont catégoriques. Ses règles sont fixes et ne changent ni dans le temps ni dans l’espace. «La question de l'héritage est déjà tranchée par un texte catégorique, il n'y a donc aucune possibilité de la modifier. Le système de l’héritage est en effet encadré par des textes coraniques clairs, à savoir les versets 11 et 12 de la sourate An-Nisa, ainsi que le dernier verset de la même sourate. Les termes employés dans ces versets sont forts et ne laissent aucune marge au changement ou à la modification», affirme-t-il.

Une position que confirme aussi Mustapha Najim, membre du Conseil supérieur des oulémas. «La charia est une loi malléable qui a pour finalité de servir l’intérêt général suprême de la société, mais cette flexibilité ne s’étend pas aux textes formels qui ne sont pas très nombreux d’ailleurs. C’est le cas de l’héritage dont les règles ont été établies par Dieu Lui-même, ce qui ne laisse aucune place à l’Ijtihad», assure-t-il. On l’aura compris, les féministes n’ont quasiment aucune chance de gagner la cause de l’égalité homme-femme en matière d’héritage. Mais qu’en est-il du de l’héritage par agnation (taâsib), cette règle non coranique qui permet aux oncles et/ou aux cousins de partager l’héritage d’une ou de plusieurs filles au décès de leur père ?

«L’héritage par agnation est l'épine dorsale du système d'héritage. Nombre de ceux qui appellent à son abrogation n'en connaissent pas le véritable sens. Le taâsib concerne les héritiers les plus proches du défunt, ceux qui l'entourent comme un turban entoure la tête. Il n’y a pas de place pour son abolition car cela porterait atteinte au système législatif tel que Dieu Tout-Puissant l’a défini et serait une destruction de sa base», répond Lahcen Sguenfle. «Après, il y a certaines particularités qui peuvent être considérées. On peut citer l’exemple d’un mari qui craint de voir sa femme et ses filles expulsées du logement familial après sa mort par les héritiers par agnation. Il lui est donc permis, durant sa vie, de leur faire don de ce logement ou de rédiger un contrat qui leur donne le droit d’en bénéficier tant qu'elles sont en vie», ajoute-t-il.

Mustapha Najim soutient également que l’héritage par voie de taâsib n’a pas à être abrogé puisqu’il existe des voies de sortie pour les parents qui redoutent un préjudice pour leur progéniture après leur décès, notamment les filles. «L’héritage, par définition, renvoie à une situation post-mortem, mais rien n’empêche les parents de disposer de leurs biens de leur vivant en faveur de leurs descendants», note-t-il.

Tutelle légale de la femme, une cause accessible

Heureusement pour les militantes pour les droits de la femme, ce volet suscite moins de réticence chez les théologiens interrogés. Lahcen Sguenfle concède que la tutelle légale peut faire l’objet d’ijtihad, mais de manière à sauvegarder les intérêts de toutes les parties concernées. «L’ijtihad dans ce domaine est possible sur la base du respect des droits des trois parties dans cette affaire : le mari divorcé, la femme divorcée et les enfants», déclare-t-il. Il précise que cette tutelle doit être appréhendée non pas comme un moyen de pression entre époux, mais comme une entente permettant de servir l’intérêt de l’enfant avant tout. «Il faudra veiller à ce que la tutelle légale accordée à la femme ne nuise au mari divorcé, en l'empêchant par exemple de voir ses enfants, ou en permettant à la mère d’emmener les enfants hors du pays sans son consentement», alerte-t-il.

Mustapha Najim, est sur la même longueur d'onde, évoquant la possibilité de lier systématiquement la garde de l’enfant à la tutelle légale. Mais il appréhende aussi un retournement de situation en défaveur de l’époux. «Rien n’empêche de désigner la mère comme tutrice légale de l’enfant à côté du père. Mais attention à ce que la situation ne soit inversée et que cette tutelle ne soit instrumentalisée par la femme aussi», signale-t-il.

Abolition du mariage des mineures, une mesure contreproductive

Le mariage des mineures est un problème complexe et condamné par tous, mais son interdiction pure et dure serait inefficace puisqu’elle ouvrirait la voie à des unions non officialisées. «Nous devons œuvrer pour que les filles restent au foyer de leur père et ne se marient pas avant d'avoir atteint l'âge légal du mariage, qui est de 18 ans, tout en travaillant à leur offrir des conditions favorables pour qu'elles puissent poursuivre leurs études ou une formation dans l'un des domaines susceptibles de les qualifier pour assumer des responsabilités après le mariage», plaide Lahcen Sghenfle. Toutefois, précise-t-il, il faut garder le sens des réalités qui indique que le mariage des mineures est un phénomène social qui persiste, surtout dans les milieux précaires où règne la pauvreté, l’ignorance et l’analphabétisme. «Ce qu’il faut garder à l’esprit, c’est qu’on ne peut exclure une donne importante, à savoir la recrudescence des mariages sans contrat. À ce titre, il convient de réfléchir pleinement à cette question et de veiller à mettre en place les conditions nécessaires pour empêcher de tels mariages, sauf dans des cas exceptionnels très limités, tout en portant l'âge à 16 ans au lieu de 15 ans», propose-t-il. Quant à Mustapha Najim, il n’est ni pour l’interdiction totale ni pour l’autorisation absolue. «À mon avis, il serait impossible et contreproductif de mettre en place une règle générale pour l’ensemble des cas. Le plus indiqué serait d’adopter une approche au cas par cas», fait-il savoir.

Polygamie : ne pas prohiber ce que Dieu a autorisé

La même règle qui s’applique au mariage des mineures s’applique à la polygamie selon les deux théologiens : ne pas interdire totalement, mais imposer des restrictions. «Interdire totalement la polygamie est problématique à bien des égards. Cette question nécessite la prise en considération de la particularité des cas qui se présentent. Ce qu’il faut surtout, c’est travailler sur les textes procéduraux pour pouvoir concilier les textes avec l’intérêt suprême», avance Mustapha Najim.

«Il s'agit aujourd’hui d'une pratique peu coutante qui n’atteint pas le niveau de phénomène pour qu’on lui accorde autant d’importance et qu’on aille jusqu’à interdire ce que Dieu a autorisé, ceci tout en ouvrant la voie aux relations hors mariage qui sont proscrites par la charia», avertit pour sa part Lahcen Sguenfle. Et de conclure par le verset 116 de la sourate Al-Nahl qui dit : «Et ne dites pas, conformément aux mensonges proférés par vos langues : “Ceci est licite, et cela est illicite”, pour forger le mensonge contre Allah. Certes, ceux qui forgent le mensonge contre Allah ne réussiront pas», verset 116, sourate Al-Nahl.
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