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Pourquoi le Maroc compte de plus en plus de ménages avec une seule personne ou dirigés par des femmes

Les données du dernier recensement de la population révèlent une augmentation significative des ménages unipersonnels ainsi que de ceux dirigés par des femmes au Maroc. Afin d'approfondir la compréhension de cette dynamique, Mohssine Benzakour, psychosociologue et enseignant universitaire apporte son éclairage en décryptant les mécanismes à l'œuvre.

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Le Maroc connaît une profonde transformation de ses structures familiales, comme le révèlent les dernières données du Haut-Commissariat au Plan (HCP). En dix ans, le paysage familial marocain a subi une transformation qui interpelle : le nombre de ménages composés d'une seule personne a connu une hausse significative, passant de 7,2 à 11,1% entre 2014 et 2024, tandis que la proportion de foyers dirigés par des femmes a grimpé de 16,2 à 19,2%. Ces données, aussi éloquentes que perturbantes, interrogent sur les facteurs qui façonnent le nouveau visage de la famille marocaine.

Pour décrypter ce phénomène, nous avons contacté Mohssine Benzakour, psychosociologue et enseignant universitaire, qui a mis en lumière les mécanismes à l’œuvre. La forte progression des ménages dirigés par des femmes, explique-t-il, est le reflet d'une réalité sociale multiforme. L'augmentation spectaculaire du taux de divorce, d'abord, place de nombreuses femmes à la tête de leur foyer, seules responsables de leur famille. De plus, la précarité économique de certains hommes, souvent au chômage, les rend dépendants de leurs épouses, contribuant ainsi à renverser les rôles traditionnels.



M. Benzakour souligne également l'importance de la reconnaissance du statut des mères célibataires. L'adoption de lois internationales a permis aux femmes de revendiquer leur statut sans craindre la stigmatisation, leur ouvrant ainsi des droits essentiels, notamment en matière de scolarisation de leurs enfants. Cette reconnaissance a des conséquences directes sur l'augmentation des familles monoparentales.

L'envolée du nombre de ménages unipersonnels est tout aussi révélatrice. Plusieurs facteurs interconnectés expliquent cette tendance. L'émancipation des jeunes adultes, notamment, en est un moteur puissant. L'accès plus facile au logement individuel, la quête d'opportunités professionnelles dans d'autres villes et l’autonomie financière incitent de plus en plus de jeunes à quitter le nid familial, pour vivre seuls, parfois pendant de longues années avant le mariage, voire sans jamais se marier. Le célibat prolongé, phénomène de plus en plus courant, participe à cette hausse. À cela s'ajoute, bien sûr, la multiplication des divorces et des séparations, qui génèrent automatiquement de nouveaux ménages unipersonnels, aussi bien chez les hommes que chez les femmes. Une acceptation sociale grandissante de la vie en solo, particulièrement chez les femmes, parachève ce tableau d'une société marocaine en constante évolution.

Un changement progressif des valeurs sociétales

Interrogé sur le rapport entre ces changements et les évolutions des mentalités, Mohssine Benzakour répond : «Je ne pense pas qu'il y ait eu une transformation profonde des mentalités, car cela demande du temps. La réalité familiale demeure en grande partie traditionnelle, et je m'excuse de l'expression, mais on peut dire qu'elle reste archaïque, non pas de manière péjorative, mais dans le sens où la domination masculine persiste». Ainsi, la femme, même financièrement responsable, ne détient pas toujours le pouvoir décisionnel, explique-t-il. «Cette situation soulève des défis, car il est crucial d'encourager une sensibilisation plus large pour faire évoluer les mentalités, ce qui est un processus long et complexe», souligne notre expert.

Concernant l’évolution des valeurs sociétales, M. Benzakour confirme un changement en cours, mais progressif. «Aujourd'hui, l’intégration des femmes au marché du travail n’est plus un problème en soi, surtout que certains hommes au chômage en profitent. Cependant, le droit des femmes à être cheffes de famille n’est pas encore pleinement acquis. Les taux de divorce élevés, principalement liés à des questions de pension alimentaire et à des disputes concernant la gestion du couple, témoignent de la persistance de ces difficultés», relève-t-il.

Des politiques publiques à repenser

S’agissant de l'impact des politiques publiques sur ces évolutions, notamment en matière d'aide au logement et d'égalité des sexes, M. Benzakour souligne la nécessité d'adapter ces politiques aux nouvelles réalités. Il constate que «les gouvernements marocains semblent de plus en plus conscients des changements qui affectent les ménages d'aujourd'hui», mais il déplore que «l’assistanat» soit souvent privilégié au détriment de solutions durables. «L’aide au logement, par exemple, devrait être davantage axée sur le concept de “ménage”, tel qu’il est défini par le HCP, c’est-à-dire toute personne gérant un foyer, indépendamment de son sexe ou de la composition de la famille. Ceci permettrait de mieux soutenir les familles dans un esprit d’égalité des sexes», souligne-t-il.

Des tendances durables

En regardant vers l’avenir, M. Benzakour anticipe la poursuite de ces tendances, notamment en raison de crises économiques cycliques et d’une société en mouvement, où les réalités économiques et les avancées sociales continueront de façonner les relations familiales et interpersonnelles. «En dépit des défis économiques auxquels le Maroc est confronté et de la persistance d'une mentalité patriarcale, les femmes s'affirment de manière croissante. Cela entraînera, sans aucun doute, une redéfinition des structures familiales, même si la vitesse de l’évolution des mentalités reste imprévisible», conclut le psychosociologue.
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