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Transition démographique et réforme de la Moudawana : une corrélation déterminante

Lors de son passage dans l’émission «L’Info en Face» sur Matin TV, Samira Mizbar, socio-économiste et experte en dynamique des sociétés en développement, a analysé les corrélations entre les transitions démographiques au Maroc et les propositions de réforme de la Moudawana. Un éclairage sur les transformations sociétales et leurs implications pour l’avenir.

Samira Mizbar
Samira Mizbar
Dans une société marocaine en pleine mutation, marquée par un vieillissement de la population et des transformations profondes des structures familiales, la révision de la Moudawana s’avère être une priorité, mais soulève également des débats. Poursuivant la série de débats autour de l’actuelle réforme du Code de la famille, l’émission «L’Info en Face» sur Matin TV invite cette fois-ci Samira Mizbar, socio-économiste et docteure en dynamique comparée des sociétés en développement. Elle répond à la question sur la révolution sociétale, les changements démographiques et les impacts possibles et nécessaires sur la Moudawana. Mme Mizbar livre une analyse riche et nuancée des enjeux démographiques et sociétaux liés à cette réforme.

Des transitions multiples à décrypter

De prime abord, l’experte en dynamique comparée des sociétés en développement met en lumière deux transitions majeures qui bouleversent la société marocaine : une transition démographique marquée par une baisse accélérée de la fécondité, divisée par deux en dix ans, et une transition sociétale, caractérisée par des changements dans les rôles familiaux et les attentes sociales. «La baisse de la fécondité s’inscrit dans une tendance où le coût de la vie, les transformations du marché du travail et les choix individuels influencent directement les comportements familiaux», explique-t-elle. Cependant, elle nuance ces constats, pointant l’absence de données sur les naissances à l’étranger, un phénomène croissant parmi les Marocains visant à sécuriser des avantages pour leurs enfants.



Autre exemple cité par l’invitée, celui du célibat. «Disons qu’on a de l’information, mais à mon sens, elle n’est pas encore suffisante, parce qu’il y a énormément d’hypothèses qu’on peut porter sur les chiffres qui ont été donnés. Je vais prendre juste un premier exemple : le taux de célibat des plus de 55 ans. On voit qu’il augmente sensiblement et de manière accélérée d’ailleurs. Mais alors, si on essaie d’imaginer pourquoi, on repart un peu dans l’histoire comme au temps des ajustements structurels. Donc une politique assez stricte d’encadrement de la vie économique, de réduction des charges, etc. Ce genre d’informations est à prendre en considération.»

Le rôle de la Moudawana dans un contexte évolutif

Concernant les propositions de réforme du Code de la famille, l’invitée de «L’Info en Face» attire l’attention sur la nécessité d’un alignement avec les réalités démographiques actuelles. « Si la Moudawana doit être un outil d’encadrement et d’accompagnement des familles, elle ne peut ignorer les dynamiques actuelles : déclin de la taille des foyers, montée du célibat et augmentation des divorces», souligne-t-elle. Elle appelle à dépasser une lecture strictement religieuse du texte pour en faire un levier de modernisation sociale. Mme Mizbar salue toutefois certaines propositions positives, comme la reconnaissance économique du travail domestique des femmes, mais déplore le maintien de la règle du Taâsib pour l’héritage, qu’elle estime déconnectée des réalités sociétales actuelles.

Le travail des femmes : une opportunité sous-exploitée

L’un des points cruciaux soulevés par Samira Mizbar concerne le faible taux d’activité des femmes, qui ne dépasse pas 16%, selon les données récentes du Haut-Commissariat au Plan. «Ce chiffre est d’autant plus alarmant qu’il reflète un recul par rapport à 2000, où il atteignait près de 30%. Cela révèle une exclusion progressive des femmes du marché du travail, malgré une hausse significative de leur niveau d’éducation», observe-t-elle.

Elle souligne plusieurs obstacles structurels qui freinent l’intégration des femmes dans l’économie, notamment les pressions sociales liées au mariage et à la maternité, ainsi que le manque de dispositifs de soutien, tels que des services de garde d’enfants accessibles et des horaires de travail flexibles. «Les femmes font face à des points d’inflexion clairs : mariage, premier enfant et troisième enfant. Ces étapes deviennent souvent des barrières infranchissables, les éloignant durablement du marché de l’emploi», explique Mme Mizbar.

Pourtant, elle insiste sur l’impact positif qu’une plus grande participation des femmes pourrait avoir sur l’économie nationale. «Selon une étude récente, chaque point de pourcentage supplémentaire dans le taux d’activité des femmes pourrait ajouter des milliards de dirhams au PIB du Maroc. Mais pour cela, il faut lever les obstacles culturels et institutionnels qui entravent leur épanouissement professionnel.» Elle applaudit la reconnaissance proposée du travail domestique des femmes dans la nouvelle Moudawana, une première étape symbolique vers la valorisation de leur contribution économique. Toutefois, elle appelle à des réformes plus structurelles, notamment l’instauration de lois favorisant un partage équitable des responsabilités domestiques entre hommes et femmes, ainsi qu’une meilleure protection des droits des femmes dans le cadre du mariage et du divorce.

Au-delà de la Moudawana, l’experte pointe un vieillissement rapide de la population, qui pourrait représenter un quart des Marocains d’ici 2035, et une urbanisation galopante accentuant les disparités territoriales. Face à ces défis, l’invitée appelle à une politique familiale claire, intégrée à un projet sociétal global. Elle déplore l’absence d’un véritable débat public sur ces sujets et critique une gestion politique souvent réactive plutôt que proactive : «Nous ne voyons pas assez loin. Les politiques publiques doivent anticiper ces transformations pour éviter un éclatement des solidarités familiales, notamment face à l’exode rural et à la précarisation des aînés.»

Pour l’experte en dynamique comparée des sociétés en développement, la réussite des réformes et des politiques sociales passe par une meilleure utilisation des données fournies par le Haut-Commissariat au Plan et une mobilisation des intellectuels pour enrichir le débat. «Une société en développement comme la nôtre ne peut se permettre d’ignorer les dynamiques démographiques. Elles doivent être au cœur de toute action publique.» Au-delà de la Moudawana, l’invitée de «L’Info en Face» appelle à une réflexion collective sur le Maroc de demain, où les transformations sociales, économiques et culturelles doivent être accompagnées par des réformes adaptées et ambitieuses. Une vision qui place la famille, dans toutes ses évolutions, au centre du débat.
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