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Détention préventive : le Maroc franchit un cap historique avec un taux de moins de 32%

Jamais, au cours de la dernière décennie, le taux de détention préventive n'avait atteint un niveau aussi bas. Le huitième rapport de la présidence du Ministère public révèle qu'à la fin de l'année 2024, seuls 31,79% des détenus des établissements pénitentiaires du Royaume étaient en situation de détention provisoire, contre 45,70% en 2020. Cette performance, fruit d'une politique volontariste de rationalisation, place le Maroc dans les normes des Nations unies pour les personnes en attente de jugement.

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Le chiffre a de quoi interpeller les observateurs de la chose judiciaire : 31,79%. C'est le taux de détention préventive enregistré au Maroc à la fin du mois de décembre 2024, soit le niveau le plus bas depuis au moins dix ans. Pour mesurer l'ampleur de la transformation opérée, il suffit de se remémorer qu'en 2020, ce même indicateur culminait à 45,70%, et qu'il oscillait encore entre 37 et 46% au cours des années précédentes. Cette évolution spectaculaire n'est pas le fruit du hasard. Elle résulte d'une stratégie méthodiquement déployée par la présidence du Ministère public depuis l'indépendance de cette institution, le 7 octobre 2017. Dès son premier communiqué, rappelle le rapport, cette présidence avait érigé la rationalisation du recours à la détention préventive en priorité cardinale de la politique pénale nationale. Sept ans plus tard, les résultats sont au rendez-vous.

Une population carcérale de 105.094 détenus : anatomie d'un paradoxe

Les statistiques livrées par le rapport permettent de radiographier avec précision la composition de la population carcérale marocaine. À la fin de l'année 2024, les établissements pénitentiaires du Royaume abritaient 105.094 personnes. Sur ce total, 33 405 étaient des détenus préventifs, soit la fameuse proportion de 31,79%. Les condamnés définitifs – c'est-à-dire les personnes ayant épuisé les voies de recours – représentaient quant à eux 70.279 individus, soit 66,87% de l'effectif global. Enfin, 1.410 détenus pour contrainte par corps complétaient ce tableau, pour une part marginale de 1,34%. Ce qui frappe à la lecture de ces données, c'est le paradoxe apparent entre la baisse du nombre de détenus préventifs et la hausse continue de la population carcérale globale. En effet, le nombre total de détenus est passé de 74.039 en 2015 à 105.094 en 2024, soit une augmentation nette de 31.055 personnes en l'espace d'une décennie. Cela représente un afflux moyen de 3.106 nouveaux détenus par an.



Les rédacteurs du rapport n'esquivent pas cette réalité. Ils soulignent que la hausse de la population carcérale n'est pas directement corrélée à l'évolution du nombre de prévenus, dont la situation dépend de l'accomplissement de certains actes procéduraux (notifications, expertises, auditions) qui conditionnent la durée de leur incarcération. Cette dissociation appelle, selon le document, une mobilisation de l'ensemble des acteurs concernés pour trouver des solutions structurelles au surpeuplement des prisons, qu'elles soient d'ordre législatif ou administratif.

Une courbe descendante sur dix ans

L'analyse des données statistiques permet de mesurer le chemin parcouru. En 2015, le taux de détention préventive s'établissait à 40,98%. Il a connu des fluctuations au fil des années, atteignant un pic de 45,70% en 2020, année marquée par les perturbations liées à la pandémie de Covid-19, avant d'amorcer une baisse régulière : 42,19% en 2021, 40,85% en 2022, 37,56% en 2023, et enfin 31,79% en 2024. Cette trajectoire descendante, précise le rapport, reflète les efforts soutenus déployés par les parquets du Royaume ainsi que par les différentes instances judiciaires compétentes pour statuer sur les affaires des détenus. Elle traduit également l'application rigoureuse des circulaires et directives émanant de la présidence du Ministère public, en particulier la circulaire conjointe n°2023/01 du 1er juin 2023, élaborée en partenariat avec le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire. Cette circulaire a instauré un cadre institutionnel structuré pour le suivi de la détention préventive, à travers la création de commissions régionales, locales et centrales chargées d'évaluer en permanence la situation des détenus et de proposer des solutions aux obstacles entravant le traitement de leurs dossiers.

Les ordres d'incarcération en net recul

Un autre indicateur témoigne de l'inflexion de la politique pénale : le nombre d'ordres d'incarcération émis par les autorités judiciaires. En 2024, ce total s'est établi à 94.293, contre 99.813 l'année précédente, soit une diminution de 5.520 ordres. Il s'agit du chiffre le plus bas enregistré au cours des six dernières années. La ventilation de ces ordres par autorité émettrice révèle que les parquets demeurent à l'origine de l'écrasante majorité des décisions d'incarcération : 77.148 ordres, soit 81,82% du total. Les juges d'instruction ont pour leur part prononcé 17.145 ordres, représentant 18,18% de l'ensemble.

Cette prédominance du parquet dans les décisions d'incarcération n'est pas sans conséquence sur la politique de rationalisation. C'est pourquoi la présidence du Ministère public a émis, une nouvelle circulaire en date du 1er juillet 2024 invitant les magistrats du parquet à procéder à une étude approfondie des dossiers transmis par les juges d'instruction en vue de la prolongation de la détention. Cette directive insiste sur la nécessité de vérifier l'existence de motifs solides justifiant le maintien en détention, et proscrit les demandes de prolongation automatiques.

Le critère onusien largement respecté

Le rapport introduit une distinction conceptuelle importante entre la définition nationale et la définition internationale de la détention préventive. Selon le droit marocain, consacré par l'article 618 du Code de procédure pénale, est considéré comme détenu préventif toute personne incarcérée sans qu'un jugement définitif ayant acquis force de chose jugée n'ait été prononcé à son encontre. Cette définition englobe donc les personnes en attente de jugement à tous les degrés de juridiction.

La définition onusienne, en revanche, ne retient que les personnes n'ayant pas encore fait l'objet d'un jugement de première instance. C'est ce critère qui est utilisé dans les indicateurs des Objectifs de développement durable 2015-2030, lesquels fixent un seuil maximal de 31% pour cette catégorie de détenus. Or les statistiques marocaines révèlent que seuls 11.009 détenus, sur les 33.405 prévenus, n'avaient pas encore reçu de jugement de première instance à la fin de l'année 2024. Cette catégorie ne représente que 10,48% de la population carcérale totale, soit un niveau trois fois inférieur au plafond onusien. Autrement dit, plus de 89% des personnes incarcérées au Maroc ont déjà fait l'objet d'une décision de justice les condamnant à une peine privative de liberté.

Une attention particulière aux femmes détenues

Aussi, conformément aux «Règles de Bangkok» adoptées par les Nations unies en décembre 2010, la présidence du Ministère public accorde une attention spécifique à la situation des femmes en conflit avec la loi. Les directives en vigueur invitent les parquets à éviter autant que possible le recours à l'incarcération des femmes suspectées d'avoir commis des infractions, et à privilégier les alternatives légales garantissant le bon déroulement de la justice tout en préservant la dignité de la femme. Les résultats de cette politique sont mesurables. À la fin de l'année 2024, les femmes ne représentaient que 3,41% des détenus préventifs, soit 1.138 personnes sur un total de 33.405. Les hommes constituaient les 96,59% restants, avec 32.267 individus.

Des disparités régionales révélatrices

La répartition géographique des détenus préventifs met en lumière des écarts significatifs entre les différentes régions du Royaume. La région de Casablanca-Settat concentre à elle seule 33,60% des prévenus, avec 11.225 personnes incarcérées, alors qu'elle ne représente que 20,88% de la population nationale. La région de Rabat-Salé-Kénitra arrive en deuxième position avec 22,64% des détenus préventifs, pour une part démographique de 13,94%. À l'opposé, les régions du Sud affichent des taux nettement plus faibles : Laâyoune-Sakia El Hamra ne compte que 520 prévenus (1,39%), Draâ-Tafilalet 376 (1,13%), et Dakhla-Oued Eddahab seulement 106 (0,32%).

Ces disparités, analyse le rapport, s'expliquent par une combinaison de facteurs : densité démographique, niveau d'activité économique, taux de criminalité, mais aussi complexité des affaires traitées. Les grandes métropoles, en particulier, constituent des pôles d'attraction permanents générant un contentieux pénal plus volumineux et plus complexe.

Les acquittements en chute libre

Un indicateur particulièrement révélateur de la qualité des décisions d'incarcération réside dans le nombre de jugements d'acquittement prononcés en faveur de personnes placées en détention préventive. En 2024, ce chiffre s'est établi à 1.136, soit le niveau le plus bas de la décennie. A titre de comparaison, 4.107 acquittements avaient été enregistrés en 2015, et encore 1.591 en 2023. Cette évolution traduit, selon les rédacteurs du rapport, une amélioration sensible de la qualité des dossiers constitués par les services de police judiciaire et une plus grande rigueur dans l'appréciation des éléments de preuve avant toute décision d'incarcération. Elle témoigne également de l'efficacité du suivi exercé par la présidence du Ministère public, qui invite systématiquement les responsables judiciaires à réaliser des études rétrospectives sur les affaires ayant abouti à des acquittements.

Cap sur les peines alternatives

L'horizon 2025 s'annonce comme une nouvelle étape dans la transformation du système pénal marocain. Le rapport mentionne l'entrée en vigueur, le 22 août 2025, de la loi n°43.22 relative aux peines alternatives. Ce texte, qualifié d'innovation législative majeure, devrait permettre de réduire significativement la pression sur les établissements pénitentiaires en offrant aux juridictions un éventail de sanctions non privatives de liberté. La mise en œuvre optimale de cette réforme, souligne le document, constituera un levier décisif pour poursuivre la dynamique engagée et pérenniser les acquis en matière de rationalisation de la détention préventive.
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