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Droit de grève : le chemin épineux vers le consensus Gouvernement-syndicats-partis politiques

Le projet de loi organique fixant les conditions et les modalités de l’exercice du droit de grève au Maroc suscite de vifs débats. Après des années de blocage, le gouvernement actuel semble déterminé à faire aboutir ce texte crucial pour l’équilibre social. Cependant, le chemin vers un consensus reste semé d’embûches. Les syndicats, notamment l’Union marocaine du travail (UMT), posent leurs conditions, exigeant l’abandon du projet initial jugé trop répressif. Le gouvernement, par la voix du ministre de l’Emploi, Youness Sekkouri, affirme sa volonté de dialogue et de compromis. Les groupes parlementaires, majorité comme opposition, appellent à privilégier l’esprit de consensus. Entre la nécessité de garantir les droits des travailleurs et celle de préserver la stabilité économique, l’enjeu est de taille. Ce dossier sensible, qui cristallise les tensions sociales, pourrait marquer un tournant dans les relations entre l’Exécutif, le patronat et les syndicats au Maroc.

Présentation du projet de la loi organique sur la grève à la Chambre des représentants.
Présentation du projet de la loi organique sur la grève à la Chambre des représentants.
Le dossier du droit de grève au Maroc connaît un nouveau rebondissement. Après des années de stagnation et d’opposition farouche des syndicats, le gouvernement actuel semble déterminé à faire avancer ce projet de loi organique, considéré comme crucial pour l’avenir des relations sociales dans le pays. Cependant, le chemin vers un consensus reste parsemé d’obstacles et de points de friction.

L’UMT pose ses conditions : entre rejet et ouverture au dialogue

Miloudi Moukharik, secrétaire général de l’Union marocaine du travail (UMT), ne mâche pas ses mots. «L’UMT avait toujours opposé un niet catégorique à tout projet de loi organique sur la grève rétrograde, qui frappe de plein fouet un droit humain», nous affirme-t-il en réaction à la reprise du débat sur le sujet. Le syndicaliste fustige l’ancien projet, élaboré sous le gouvernement précédent dirigé par le Parti de la justice et du développement (PJD), le qualifiant de «code pénal» plutôt que de loi organique. Cependant, M. Moukharik reconnaît une évolution dans l’approche gouvernementale. «Aujourd’hui, le gouvernement a démontré sa volonté d’élaborer un bon projet de loi consensuel qui respecte les droits humains et protège les grévistes», admet-il. Cette ouverture a permis l’engagement de négociations, mais l’UMT reste ferme sur ses positions.



Le leader syndical pose une condition sine qua non : «Il est hors de question de négocier ce texte sur la base d’une plateforme ou projet élaboré par l’ancien gouvernement». Pour l’UMT, ce texte antérieur est «non amendable» et «tellement tordu et inapproprié» qu’il ne peut servir de base aux discussions. M. Moukharik insiste également sur un point crucial : l’abrogation de l’article 288 du Code pénal. Cette disposition, héritage de l’ère coloniale, est considérée par le syndicat comme un obstacle majeur à l’exercice du droit de grève. «C’est une condition indispensable pour adopter le texte sur le droit de grève», martèle-t-il.

Le gouvernement sur la corde raide : entre dialogue et fermeté

Face à ces revendications, le gouvernement, par la voix du ministre de l’Inclusion économique, de la petite entreprise, de l’emploi et des compétences, Youness Sekkouri, tente de naviguer entre ouverture au dialogue et maintien de ses objectifs. «Le gouvernement est soucieux de parvenir à un consensus avec les différents partenaires sociaux et politiques», a assuré M. Sekkouri, lors de son intervention sur le sujet jeudi devant les députés. Il souligne que cette volonté «procède de la ferme conviction du gouvernement de l’importance d’adopter une approche participative, en droite ligne avec les résultats du dialogue social».

Le ministre annonce la tenue prochaine de rencontres avec les partenaires sociaux pour poursuivre le débat. Il reconnaît que «des observations et des amendements fondamentaux» ont été formulés, notamment concernant «les sanctions et les catégories interdites de grève». M. Sekkouri insiste sur le sérieux avec lequel le gouvernement aborde ce dossier, «compte tenu de son importance dans la protection des travailleurs et le renforcement de la paix sociale». Il affirme également que le «référentiel des droits de l’Homme a été pris en compte dans l’élaboration de ce texte». Cependant, le ministre reste prudent, conscient des défis à relever. «Ce projet n’est pas l’apanage du seul gouvernement, mais concerne toute la société, notamment les partenaires sociaux», rappelle-t-il, soulignant la nécessité d’un large consensus.

Le Parlement en quête d’équilibre : entre majorité et opposition

Au sein du Parlement, le projet de loi suscite des réactions qui transcendent le clivage traditionnel entre majorité et opposition. Les groupes parlementaires, toutes tendances confondues, appellent à «faire prévaloir l’esprit de consensus» pour l’adoption de ce texte crucial. Les groupes de la majorité insistent sur l’impératif de «promulguer une loi consensuelle, qui incarne les droits et ambitions de la classe ouvrière». Ils soulignent le «rôle crucial que joue ce texte dans le renforcement de la paix sociale, et la garantie de la stabilité des investissements».

De leur côté, les groupes d’opposition appellent à l’adoption de la loi dans «un esprit de consensus», conformément aux Orientations Royales. Ils rappellent les paroles de S.M. le Roi Mohammed VI, qui avait souligné en 2015 que l’élaboration de ce projet «nécessite d’engager de larges consultations et de faire preuve d’un esprit de consensus constructif». Certaines composantes de l’opposition vont plus loin, affirmant que cette question «va au-delà de la logique binaire majorité/opposition et politique/syndicat». Elles appellent à transcender «la suspicion mutuelle entre la classe ouvrière et le patronat, afin d’aboutir à des consensus constructifs».

Les défis à relever : entre protection des travailleurs et stabilité économique

Au-delà des positions des différents acteurs, le projet de loi sur le droit de grève soulève des questions fondamentales sur l’équilibre à trouver entre la protection des droits des travailleurs et la préservation de la stabilité économique du pays. Jamal Rhmani, ancien ministre de l’Emploi et spécialiste du droit social, apporte un éclairage intéressant sur ces enjeux. Il souligne que «le droit de grève doit être discuté parallèlement avec le projet de loi portant sur l’organisation des syndicats». Cette approche globale permettrait, selon lui, de clarifier des points cruciaux comme la définition du «syndicat le plus représentatif, que ce soit sur le plan national ou régional». M. Rhmani plaide également pour une révision du Code du travail, «vu les changements opérés dans le monde du travail». Cette vision holistique des relations de travail pourrait contribuer à une meilleure acceptation du projet de loi sur le droit de grève.

Les parlementaires, quant à eux, insistent sur la nécessité de «peaufiner ce texte juridique de manière à garantir le droit à la grève», tout en assurant son adéquation avec les dispositions de la Constitution et les engagements internationaux du Maroc. Ils appellent notamment à «alléger les restrictions contenues dans le projet de loi» et à «renforcer sa compatibilité avec les conventions internationales». Un point particulier soulève des débats : la préservation de certains secteurs sensibles, comme les hôpitaux et la justice, face aux grèves générales. Cette question cristallise les tensions entre la garantie du droit de grève et la continuité des services essentiels à la population.

Finalement, le chemin vers l’adoption d’une loi organique sur le droit de grève au Maroc reste semé d’embûches. Entre les revendications syndicales, les impératifs économiques et les engagements internationaux du pays, le gouvernement doit réaliser un délicat exercice d’équilibriste. L’enjeu est de taille : il s’agit non seulement de moderniser le cadre légal des relations de travail, mais aussi de renforcer la paix sociale et la stabilité économique du Royaume.
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