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Droit de grève : les syndicats montrent les crocs, bataille ardue en perspective

Alors que le projet de loi sur le droit de grève vient d’être adopté en première lecture par la Chambre des représentants, l’UMT et la CDT montent au créneau pour dénoncer des dispositions jugées «répressives». Seule l’UGTM défend le projet, estimant qu’il concilie les intérêts des travailleurs et ceux des entreprises. Face à cette situation, le ministre de l’Emploi, Younes Sekkouri, a multiplié les rencontres avec les partenaires sociaux les 30 et 31 décembre, tentant de rapprocher les points de vue avant l’examen du texte par la Chambre des conseillers. Mais visiblement, ces consultations de dernière minute n’ont pas permis dépasser les divergences. la bataille s’annonce rude à la seconde Chambre où les syndicats et les organisations professionnelles sont fortement représentés.

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La tension monte d’un cran dans le monde syndical. Le projet de loi organique N°97.15 relatif au droit de grève, adopté le 24 décembre 2024 en première lecture par la Chambre des représentants, cristallise les oppositions. Dans un contexte social déjà tendu, les deux principales centrales syndicales, parmi les syndicats les plus représentatifs – l’Union marocaine du travail (UMT) et la Confédération démocratique du travail (CDT) – rejettent fermement ce texte qu’elles qualifient de «liberticide». Une position diamétralement opposée à celle de l’Union générale des travailleurs du Maroc (UGTM), qui voit dans ce projet une avancée «équilibrée». Face à cette situation, le ministre de l’Emploi, Younes Sekkouri, a multiplié les rencontres avec les partenaires sociaux les 30 et 31 décembre, tentant de rapprocher les points de vue avant l’examen du texte par la Chambre des conseillers. Mais visiblement, ces consultations de dernière minute n’ont pas permis dépasser les divergences.

es sanctions financières qui font polémique

«C’est une grande ruse !» Le ton est donné par Miloudi Moukharik, secrétaire général de l’UMT. Dans une déclaration donnée à notre journal, le leader syndical dénonce ce qu’il considère comme une manœuvre visant à contourner la suppression des sanctions pénales. «Le ministre fait les louanges de ce texte en prétendant avoir supprimé les sanctions pénales. Or, à l’analyse, les fortes amendes prévues pour les travailleurs et les syndicalistes peuvent atteindre jusqu’à 50.000 dirhams par salarié», s’insurge-t-il.



Le dirigeant de l’UMT pointe particulièrement du doigt les conséquences dramatiques que ces amendes pourraient avoir sur les travailleurs les plus vulnérables : «Une ouvrière agricole ou du textile qui proteste pour réclamer ses droits risque d’être condamnée à verser 50.000 dirhams. Ne pouvant pas payer, elle fera l’objet d’une contrainte par corps, ce qui signifie la prison pour les syndicalistes». Image que Miloud Moukharik a mise en avant pour indiquer que la menace de la prison reste indirectement présente dans ce projet de texte.

Un processus de dialogue social remis en question

L’UMT et la CDT, par la voix de leurs instances dirigeantes (le secrétariat national de l’UMT et le bureau exécutif de la CDT), dénoncent la méthode employée par le gouvernement. Dans leurs communiqués, les deux syndicats rappellent que ce projet a été élaboré «de manière unilatérale et avant l’aboutissement des discussions», en contradiction flagrante avec les engagements pris lors de l’accord du dialogue social d’avril 2022 et la charte d’institutionnalisation du dialogue social signée en avril 2023.

Les deux syndicats pointent également du doigt le maintien de «dispositions entravant le droit de grève» dans la version actuelle du texte, estimant qu’elle a «conservé l’essence du projet précédent». Ils exigent notamment une mise en conformité avec la Constitution et les conventions internationales, en particulier la Convention 87 de l’Organisation internationale du travail (OIT)et les décisions du Comité des libertés syndicales.

La question de l’article 288 du Code pénal cristallise également les tensions. Ce vestige de l’époque coloniale, comme le rappelle Miloudi Moukharik, était initialement prévu «pour contrer les grèves dans les entreprises françaises». Le secrétaire général de l’UMT s’interroge sur sa persistance : «Pourquoi est-il maintenu ? C’est une omission du législateur en 1962 après l’adoption de la Constitution puis du Code pénal. C’était une omission qui s’est infiltrée dans le Code pénal.» Une position renforcée par les recommandations du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) et du Conseil économique, social et environnemental (CESE) qui ont demandé l’abrogation des peines. «De toute façon, le droit de grève est un droit humain», insiste-t-il, rappelant que la question est actuellement soumise à la Cour internationale de justice pour avis, faute d’accord entre les différentes parties prenantes au niveau de l’OIT.

Des délais jugés excessifs et des procédures contraignantes

L’un des points les plus contestés du projet de loi organique N°97.15 concerne les délais de préavis. «Les délais de préavis sont tellement longs qu’ils rendent l’exercice de la grève difficile, sinon impossible», affirme Miloudi Moukharik. «On donne au patron le temps d’agir comme il veut, de diviser les syndicalistes, de les dissuader... c’est la réalité crue». Le texte prévoit en effet un délai de 45 jours, potentiellement prolongeable de 15 jours supplémentaires. Une disposition que l’UMT juge contraire aux normes internationales : «Nous sommes d’accord pour un préavis, mais, comme le dit la jurisprudence internationale et l’OIT, il faut qu’il maintienne l’effet de surprise et soit moralement raisonnable», explique le secrétaire général de l’UMT.

Une mobilisation syndicale qui s’intensifie

Face à ce qu’ils considèrent comme une atteinte grave au droit de grève, les syndicats opposés au projet intensifient leur mobilisation. La CDT a d’ores et déjà appelé ses militants à participer à des marches régionales de protestation prévues le 5 janvier 2025 dans toutes les capitales régionales du Royaume. De son côté, l’UMT, tout en réaffirmant son statut de «syndicat nationaliste», n’exclut pas une mobilisation plus large. «Jusqu’à présent, nous n’avons pas voulu abîmer la renommée de notre pays sur le plan syndical international», précise Miloudi Moukharik, avant d’ajouter : «Nous allons nous battre par rapport à ce projet de loi organique par tous les moyens».

L’UGTM fait figure d’exception dans ce paysage contestataire. Par la voix de Youssef Allakouch, membre de son bureau politique, le syndicat défend «avec beaucoup de conviction» le projet de loi, estimant que cette nouvelle version, différente de celle présentée en 2016, prend en compte à la fois les intérêts des travailleurs et les exigences du monde de l’entreprise.

Alors que le texte est désormais entre les mains de la Commission de l’éducation, des affaires culturelles et sociales de la Chambre des conseillers, l’UMT comme la CDT comptent sur leurs troupes pour modifier le contenu du projet. «Si le ministre et le gouvernement veulent bien revoir ce texte au niveau de la Chambre des conseillers, c’est bien», conclut le secrétaire général de l’UMT, rappelant que «c’est la réputation de notre pays sur le plan syndical international qui est en jeu».

L’avenir de ce projet de loi organique sur le droit de grève s’annonce donc crucial pour le dialogue social au Maroc. Son examen par la Chambre des conseillers pourrait marquer un tournant décisif dans les relations entre le gouvernement et les partenaires sociaux, dans un contexte où la préservation des droits syndicaux et la modernisation du cadre légal des relations professionnelles constituent des enjeux majeurs.
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