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Droit de grève : pourquoi le nouveau projet de loi risque de piétiner encore

Le projet de loi organique N°97.15 sur l’exercice du droit de grève, en gestation depuis plus de six décennies, cristallise de nouveau les tensions entre le gouvernement et les partenaires sociaux. Alors que le texte entre dans le circuit législatif, les syndicats brandissent déjà leur leur véto, exigeant des garanties pour l’avaliser. Dans ce climat tendu, le ministre Younes Sekkouri entame une série de consultations cruciales. Parallèlement, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) vient d’adopter à l’unanimité un avis sur ce texte controversé. Cet avis, élaboré sur la base d’une approche participative, met en lumière les enjeux complexes de cette loi. Entre la nécessité de protéger les droits des grévistes et celle d’assurer la continuité de l’appareil productif, trouver l’équilibre n’est pas une mince affaire. Les débats au sein de l’hémicycle s’annoncent houleux, voire incendiaires.

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Ce vendredi 13 septembre 2024, le ministre de l’Inclusion économique, de la petite entreprise, de l’emploi et des compétences, Younes Sekkouri, s’apprête à entamer une série de réunions cruciales avec les partenaires sociaux. L’enjeu est de taille : poursuivre les consultations sur le projet de loi organique N°97.15 définissant les conditions et les modalités d’exercice du droit de grève, dans l’espoir de rapprocher les points de vue concernant ce sujet fort clivant. Ce texte, attendu depuis plus de 60 ans, cristallise en effet les fortes les divergences entre le gouvernement et les syndicats, ces derniers ayant réaffirmé énergiquement leur opposition à la mouture actuelle. Avant d’entamer les discussions, ils tiennent au préalable à voir certaines conditions satisfaites.

Un texte controversé au cœur des débats

C’est que le projet de loi organique N°97.15 sur le droit de grève suscite des réactions épidermiques dans les milieux social et syndical. Selon un membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE) ayant participé à l’élaboration d’un avis du Conseil sur ce texte, «il s’agit du septième projet mis en discussion depuis le début des années 1960, aucun d’eux n’a abouti. L’approche bute toujours sur les mêmes difficultés à la fois conceptuelles et procédurales». Il faut le souligner, le texte, dans sa version soumise au CESE, «définit de manière restrictive la grève et les modalités de mise en œuvre et comporte des mesures assez coercitives contre les grévistes», explique la même source, avant d’ajouter : «Des salariés peuvent être poursuivis pour le non-respect des procédures d’appel à la grève, l’organisation, la participation à la grève. Cela conduit à des punitions, des amendes et des sanctions pénales, mais sans considération pour les causes ayant poussé à la protestation». Cette approche soulève de nombreuses inquiétudes chez les syndicats, qui craignent un texte qui limiterait excessivement leur droit constitutionnel à la grève.

Le CESE, un acteur clé dans le processus législatif

Dans ce contexte marqué de suspicion, le Conseil économique, social et environnemental a joué un rôle crucial en adoptant à l’unanimité, le 10 septembre 2024, un avis sur le projet de loi. Cette adoption intervient dans le cadre d’une saisine émanant du Parlement, datée du 26 juillet 2024. Le président du CESE, Ahmed Réda Chami, qui a présidé une session extraordinaire de l’assemblée générale consacrée à la présentation de cet avis, a souligné que l’approche adoptée par le Conseil se veut résolument participative, intégrant les points de vue des différentes catégories représentées en son sein : experts, syndicats, organisations professionnelles, associations de la société civile et institutions ès-qualités. «Le CESE s’est référé, dans l’élaboration de cet avis, aux dispositions constitutionnelles, aux engagements et normes internationaux en la matière et aux bonnes pratiques observées dans plusieurs pays», relève le Conseil dans un communiqué. Cette démarche vise, selon le même document, à concilier les différents intérêts en jeu, tout en s’appuyant sur l’expérience historique et managériale du Maroc en matière d’exercice du droit de grève.

Un contexte social en mutation

Il faut dire que l’élaboration de cette loi s’inscrit dans un contexte social en pleine mutation. Un membre du CESE interrogé par «Le Matin» dresse un tableau préoccupant de la situation : «Il y a une baisse significative des grèves, vu la courbe d’évolution de leur nombre. Contrairement à la fréquence et l’intensité des grèves qui avaient lieu dans les années 1960, il y en a plus actuellement. Les grèves étaient de l’ordre de 350 à 420 par an. Maintenant, on compte à peine une vingtaine de grèves dans les secteurs public et privé».

Cette diminution des mouvements de grève s’accompagne d’une perte de vitesse du syndicalisme traditionnel. «La population des salariés syndiqués se réduit continuellement. Elle est estimée à 10%. Et la population des salariés couverts par les conventions collectives est autour de 3%», précise notre source. Ce déclin est accompagné de la fragmentation du tissu économique, avec «90% du monde de l’entreprise» composé de très petites entreprises de moins de 10 salariés. Paradoxalement, cet affaiblissement des acteurs sociaux classiques intervient au moment même où «leur rôle institutionnel est reconnu et doté de moyens comme jamais par le passé», souligne le membre du CESE. Cette situation, qui pourrait fausser le jeu du dialogue social, rend l’élaboration d’une loi équilibrée sur le droit de grève d’autant plus nécessaire.

Les recommandations du CESE : vers un nouveau round de négociations ?

Afin de contribuer à relever ces défis, le CESE a émis plusieurs recommandations clés. En premier lieu, il préconise de «renvoyer le texte pour qu’il soit abordé dans le cadre du dialogue social avec les partenaires sociaux». Cette recommandation souligne l’importance d’une approche concertée, impliquant pleinement les syndicats et le patronat dans l’élaboration de la loi. Le CESE insiste également sur la nécessité de «respecter les normes internationales» en matière de droit de grève. Cette recommandation fait écho aux nombreuses plaintes déposées par les syndicats marocains auprès de l’Organisation Internationale du travail (OIT) au fil des années. «Il s’agit de quelque 67 plaintes déposées par les syndicats contre le gouvernement, dénonçant la violation de la liberté syndicale, les licenciements de syndicalistes pour avoir constitué des bureaux syndicaux et organisé des grèves», rappelle le membre du CESE.

Autre recommandation majeure, la suppression des «dispositions pénales» et des «peines privatives de liberté» prévues dans le projet de loi organique. Le Conseil estime que ces mesures sont excessives et pourraient entraver l’exercice légitime du droit de grève. Dans la même veine, le CESE souligne «la nécessité de revoir l’article 288 du Code pénal», qui traite des atteintes à la liberté du travail. Ces recommandations visent à édulcorer le texte jugé sévère, en mettant l’accent sur la prévention des conflits sociaux plutôt que sur la répression des mouvements de grève. Le CESE plaide ainsi pour l’inclusion de «dispositifs de prévention et des conventions collectives qui permettent des dispositions de nature à anticiper le recours à la grève».

Le positionnement des acteurs politiques : l’exemple du PAM

Dans ce débat complexe, les partis politiques jouent également un rôle important. Le Parti authenticité et modernité (PAM), dont est issu le ministre Younes Sekkouri, a récemment pris position sur le sujet. Dans son dernier communiqué, le bureau politique du PAM a souligné l’importance des consultations menées par le ministre. «Le parti apprécie l’approche participative qui a marqué les consultations et les négociations avec les partenaires sociaux concernant la loi organique sur l’exercice du droit de grève», indique le communiqué. Le PAM insiste sur la nature «sociétale» de cette loi, qui doit selon lui «protéger l’exercice du droit des grévistes et des travailleurs tout en garantissant simultanément le droit au travail et la continuité de l’appareil productif national». Le parti se félicite des «progrès réalisés dans ce chantier législatif important après le début de la discussion du projet de loi au Parlement, après plus de 60 ans d’attente». Cependant, conscient des tensions persistantes, le PAM «appelle toutes les parties à intensifier leurs efforts pour parvenir à une formule consensuelle».

La fronde syndicale : entre rejet et exigences de garanties

Seulement, les syndicats ne l’entendent pas de cette oreille. Ils affichent une opposition farouche au texte proposé par le gouvernement. C’est le cas notamment de la Confédération démocratique du travail (CDT) qui vient de réitérer son rejet catégorique du texte dans un communiqué publié le 11 septembre 2024. La CDT critique plusieurs aspects du projet, notamment les restrictions imposées à l’exercice du droit de grève et la complexité des procédures de déclaration. La Confédération exige également l’abrogation de certaines dispositions, dont l’article 288 du Code pénal, et la ratification de la Convention internationale 87 de l’OIT. Elle rejoint en cela la position exprimée par l’Union marocaine du travail (UMT), il y a quelques mois. Pour la CDT, le droit de grève est fondamental pour la liberté syndicale et la lutte contre l’exploitation. Elle appelle à un dialogue multipartite sur ce projet et mobilise ses membres pour défendre cet «acquis historique de la classe ouvrière».

Face à la montée progressive de cette fronde syndicale, le ministre Younes Sekkouri aura la lourde et délicate tâche de trouver un terrain d’entente. Les réunions qu’il entame avec les partenaires sociaux s’annoncent cruciales. Elles devront aborder non seulement les points de désaccord sur le contenu du projet de loi, mais aussi la méthode même de son élaboration, que les syndicats jugent déjà trop unilatérale.
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