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École publique : ce que change la loi 59.21

Adoptée définitivement le 8 décembre 2025 après plusieurs mois de débats parlementaires et plus de deux cents amendements, la loi 59.21 veut s’attaquer aux insuffisances de l’enseignement fondamental. En unifiant préscolaire et primaire dans un même cadre juridique, en encadrant plus strictement le privé et en repensant les contenus, l’État engage une refondation méthodique d’un système qui peine à se mettre à niveau. Le chantier est colossal. Et l’équation de l’exécution, loin d’être simple.

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C’est une loi dense, technique, mais dont les enjeux sont éminemment stratégiques. Présentée au Parlement en mai 2025 par le ministère de l’Éducation nationale, la loi 59.21 a été débattue pendant plusieurs mois par la Commission parlementaire dédiée, avant d’être adoptée définitivement le 8 décembre, par 90 voix contre 38, en séance plénière, après avoir fait l’objet de 228 amendements. Le texte redéfinit en profondeur le cadre juridique de l’enseignement fondamental marocain, c’est-à-dire l’ensemble du cycle qui va du préscolaire (4 à 6 ans) au lycée (16 ans). Son ambition : corriger les fractures qui minent depuis des décennies les premières années de scolarité au Maroc et poser les bases d’un système plus juste, plus structuré et plus performant.
Dès ses premières lignes, la loi affirme un principe fort : l’enseignement fondamental devient une obligation légale pour l’État, dans toutes ses dimensions. L’accès à l’école, de 4 à 16 ans, doit être garanti pour tous les enfants marocains, de manière gratuite, équitable, et dans le respect de standards pédagogiques harmonisés à l’échelle nationale. L’article 5 est plus explicite : «L’enseignement fondamental est une composante essentielle du système éducatif national, visant à assurer le développement global de l’enfant sur les plans langagier, cognitif, psychomoteur, social et affectif». Pour la première fois, un texte de loi aborde ensemble le préscolaire et le primaire, jusque-là traités séparément, parfois de manière inégale.

Ce choix de fusion n’est pas anodin : il consacre une vision de la scolarité de base comme un continuum éducatif, où chaque étape prépare la suivante, dans une logique de cohérence pédagogique. C’est aussi un moyen de résorber les inégalités d’apprentissage qui s’installent dès les premières années, et qui se creusent avec le temps. L’enseignement préscolaire, longtemps laissé à l’initiative d’associations, de fondations ou de prestataires privés, entre dans un cadre institutionnel clair. Il est reconnu comme une composante fondamentale du système éducatif national, avec des objectifs précis en matière de développement langagier, psychomoteur, cognitif, social et affectif.
L’État est désormais tenu de garantir son accessibilité, et non plus seulement de l’encourager. Cette reconnaissance va de pair avec une clarification des statuts des établissements. La loi distingue trois types d’acteurs : les établissements publics, relevant de l’État ou des collectivités territoriales ; les établissements privés, soumis à un encadrement renforcé ; et les établissements communautaires ou associatifs, encouragés à condition de respecter les normes nationales. Dans l’article 27, le texte établit une nomenclature précise des établissements et affirme que «toute personne morale ou physique souhaitant créer une école préscolaire ou primaire doit obtenir une autorisation préalable délivrée par les autorités compétentes».

Le privé sous contrôle

Mais la réforme ne se limite pas au secteur public. L’un des volets les plus marquants concerne le secteur privé, dont la croissance rapide ces dernières années a souvent échappé à un encadrement rigoureux. Les articles 40 à 66 consacrent une attention particulière à ce segment, dans une logique de complémentarité maîtrisée. Le privé est désormais soumis à une batterie d’obligations équivalentes à celles du public : respect des programmes nationaux (article 44), autorisation préalable (article 41), normes d’infrastructure (article 42), coopération avec les académies (article 53), publication des frais et des résultats (article 58). L’article 44 est catégorique : «Les établissements privés ne peuvent délivrer des diplômes ou organiser des examens qu’en conformité avec les référentiels nationaux. Toute entorse fera l’objet de sanctions prévues aux articles 64 à 66.»
Les sanctions prévues sont à la hauteur des enjeux. L’article 56 interdit aux écoles privées d’interrompre leur activité en cours d’année, sauf en cas de force majeure, sous peine de sanctions administratives. L’article 64 prévoit des amendes de 10.000 à 100.000 dirhams en cas de non-respect des autorisations, et l’article 65 ajoute des sanctions spécifiques en cas de défaillance pédagogique, pouvant aller jusqu’à 70.000 dirhams. L’ensemble de ces articles repositionne clairement le privé comme un acteur du service public de l’éducation, sous supervision renforcée. Le texte prévoit aussi un soutien aux établissements privés à but non lucratif ou communautaires, en particulier dans les zones défavorisées, via des exonérations fiscales, des subventions et des partenariats public-privé (articles 67 à 70).

Référentiels pédagogiques et transformation des curricula

La loi 59.21 ne se limite pas à l’organisation des structures, elle ambitionne également une réforme profonde des contenus et des méthodes d’enseignement. Les articles 18 à 26 définissent les objectifs pédagogiques à chaque niveau : de l’éveil linguistique et psychomoteur en cycle préscolaire (article 18), à l’introduction de la pensée critique, de la créativité et de l’autonomie en cycle fondamental (articles 19 à 22). L’article 76 charge la future Commission nationale des programmes de développer une offre curriculaire «harmonisée, équitable et inclusive», alignée sur les objectifs de la loi-cadre 51.17. L’enseignement devra intégrer les technologies éducatives, promouvoir l’apprentissage des langues, notamment l’arabe et l’amazigh. et renforcer les compétences de vie. Les apprentissages seront centrés sur l’élève, selon une approche par compétences, en rupture avec les logiques de mémorisation. L’évaluation devient formative et continue, selon l’article 85, qui réforme également le système des examens, à travers des critères clairs de validation des acquis. Le rôle des familles, des collectivités locales et de la société civile est également reconnu comme «acteur de soutien pédagogique et éducatif» (article 103), notamment dans le cadre du pilotage territorial des politiques éducatives.

Gouvernance, financement et articulation avec le modèle de développement

La loi 59.21 s’inscrit pleinement dans les chantiers du nouveau modèle de développement en lien avec les objectifs de la régionalisation avancée. L’article 88 prévoit la création de mécanismes de coordination entre les académies régionales, les autorités locales et les acteurs privés pour garantir la cohérence des politiques éducatives. La gouvernance est territorialisée, renforçant l’autonomie des régions tout en assurant un pilotage centralisé. Le financement, sujet sensible, est abordé dans le chapitre VIII : l’article 105 prévoit la mobilisation des ressources publiques et privées à travers des contrats-programmes, des financements innovants et l’appui des collectivités. L’État s’engage à garantir la gratuité dans les établissements publics, mais les articles 106 et 107 ouvrent la voie à des contributions différenciées dans les structures privées, selon des barèmes sociaux. Enfin, l’article 108 insiste sur l’importance de la recherche scientifique pour accompagner la réforme, en créant des centres de ressources pédagogiques, des partenariats avec les universités et des mécanismes d’évaluation indépendante.
Mais comme toute réforme ambitieuse, celle-ci porte en elle un risque majeur : celui de rester un texte bien écrit, sans traduction concrète sur le terrain. Sa mise en œuvre dépendra d’une multitude de facteurs : la mobilisation des collectivités locales, la capacité des académies à piloter, le financement réel alloué aux nouveaux dispositifs, la formation des équipes pédagogiques et, surtout, la volonté politique de suivre la réforme dans la durée. Rien n’est gagné, mais les bases sont posées. Reste à voir si elles tiendront, face à la complexité du réel.
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