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Comment faire des grands événements sportifs un tremplin pour le développement économique et social ?

«Quand le sport rencontre le développement pour bâtir le Maroc de 2035» : tel fut le thème du colloque organisé le 22 septembre à Rabat par le Parti du progrès et du socialisme. Derrière cette formule se lit une ambition claire : replacer le sport au cœur du projet national, non plus comme un domaine périphérique ou limité aux performances de l’élite, mais comme une composante essentielle du développement. Alors que le Maroc s’apprête à accueillir deux échéances majeures – la Coupe d’Afrique des nations et la Coupe du monde – la question posée est cruciale : comment faire de ces rendez-vous un levier durable et non une vitrine éphémère ?

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«Avant de construire des stades, il faut construire le Marocain.» La formule de Saad Abid, président de l’association Bahri, résume l’esprit du colloque organisé le 22 septembre à Rabat par le Parti du progrès et du socialisme (PPS). Chercheurs, techniciens, journalistes, dirigeants sportifs et acteurs associatifs y ont partagé une même conviction : le sport ne doit plus être considéré comme un simple secteur pour le divertissement et un simple spectacle ou une vitrine éphémère, il doit s’imposer comme un vecteur de transformation sociale et un pilier du projet de développement national.

Rompre avec l’improvisation

En ouvrant les travaux, Mohamed Nabil Benabdallah a rappelé que le sport ne saurait être relégué au rang d’activité secondaire. Pour le secrétaire général du PPS, il doit être placé au même niveau que l’éducation, la santé, l’agriculture ou l’habitat. «Le sport n’est pas isolé, il interpelle directement notre avenir collectif et il nous impose une responsabilité que nous devons assumer pleinement », a-t-il souligné. À ses yeux, la Coupe d’Afrique des nations et la Coupe du monde ne peuvent être réduites à de simples rendez-vous événementiels : elles doivent constituer des leviers de transformation durable et d’inclusion sociale. Il a ainsi appelé à rompre avec la logique d’improvisation pour faire de ces échéances une occasion historique de structurer une vision nationale cohérente et partagée.

Sortir du court-termisme

Moncef El Yazghi, professeur universitaire et chercheur spécialiste des politiques sportives, a souligné les fragilités structurelles de la politique sportive au Maroc, encore marquée par une logique conjoncturelle et des initiatives sans continuité. «Nous avons connu des pics liés à des événements ponctuels, mais sans vision durable ni suivi. Or une politique sportive ne peut se réduire à l’événementiel», a-t-il averti.

Selon cet expert, les ressources financières, souvent mobilisées dans l’urgence, restent mal réparties et peinent à produire des effets durables. L’expérience des Jeux méditerranéens, qui a englouti des budgets importants sans laisser d’héritage structurant, illustre cette incapacité à capitaliser sur l’investissement. Pour lui, l’impasse est d’abord institutionnelle : l’absence de gouvernance claire et de cadre législatif cohérent empêche toute stratégie nationale de s’inscrire dans la durée. M. El Yazghi a enfin mis en évidence l’écart entre ambitions et réalité. L’éducation physique demeure marginalisée et le nombre de pratiquants reste limité au regard du potentiel démographique. «Nous avons besoin d’une vision claire et d’un cadre stable. Le sport ne peut plus être traité comme un domaine secondaire», a-t-il conclu.

«La CAN et le Mondial sont des levier, pas une finalité»

Pour Aziz Daouda, directeur technique et du développement à la Confédération africaine d’athlétisme, la réussite sportive ne saurait se limiter aux performances de quelques athlètes de haut niveau. «L’élite n’est que le reflet de la base. Si la base est faible, il n’y aura pas de haut niveau durable», a-t-il affirmé, rappelant que l’édifice ne peut tenir que si ses fondations sont solides. C’est dans cette perspective qu’il a insisté sur la nécessité d’inscrire le sport dans une logique de santé publique. La sédentarité et le surpoids progressent au sein de la société marocaine, il devient donc urgent de faire de l’activité physique un réflexe quotidien, soutenu par des politiques cohérentes et une offre accessible.
Pour M. Daouda, promouvoir le sport revient à investir dans le bien-être collectif. Mais cette ambition, a-t-il poursuivi, ne peut se concrétiser sans un suivi rigoureux et mesurable. Les politiques doivent s’appuyer sur des indicateurs précis : taux de pratique régulière, nombre de licenciés, intégration du sport dans l’école, accès aux clubs. «Nous devons sortir de l’improvisation et fixer des objectifs mesurables», a-t-il insisté, en soulignant l’importance d’un pilotage appuyé sur des données fiables.

L’enjeu touche également à la gouvernance. M. Daouda a ainsi plaidé pour un cadre législatif et institutionnel unifié, capable de clarifier les responsabilités entre fédérations, clubs et collectivités, tout en ouvrant la voie à l’investissement privé. À ses yeux, la logique budgétaire actuelle, rythmée par les seuls grands événements, est vouée à l’échec. Seule une continuité de financement, orientée vers la base et conditionnée à la performance, permettra de bâtir un système solide. Dans cette optique, Aziz Daouda a mis en garde contre une vision réductrice des échéances à venir. «La CAN et le Mondial sont un levier, pas une finalité», a-t-il rappelé. Ces compétitions, selon lui, doivent être intégrées dans une planification progressive, afin de laisser un héritage durable aux jeunes générations, aux clubs et, au-delà, à l’ensemble du tissu sportif national.

Démocratiser le sport et en faire une seconde nature

Pour la journaliste Isabelle Da Costa da Silva, l’enjeu dépasse les résultats de l’équipe nationale ou la préparation des grandes compétitions. Le véritable défi est de démocratiser la pratique sportive et d’en faire une seconde nature chez les Marocains. «Avant même de penser au haut niveau, nous avons voulu que le sport devienne une habitude quotidienne, un facteur de bien-être et d’épanouissement des citoyens», a-t-elle affirmé. Cette démarche, a-t-elle poursuivi, doit être inclusive et toucher toutes les catégories, sans exception. Elle a cité les ateliers de fitness organisés dans les prisons, rappelant l’émotion suscitée par un jeune détenu qui avait exprimé son désir de créer une association sportive à sa sortie. Pour elle, cet exemple illustre la force du sport comme outil de réinsertion et comme rempart contre la récidive.

Au-delà de l’inclusion, Isabelle Da Costa a rappelé la dimension transversale du sport, agissant sur l’économie, la santé, la recherche et le développement personnel. Elle a plaidé pour la détection des talents, même dans les zones reculées, et pour une production de savoirs sportifs propres au Maroc. «Il ne suffit pas d’organiser des événements. Il faut créer du contenu, développer les compétences et bâtir un écosystème solide», a-t-elle conclu.

Le rayonnement doit être global, pas seulement événementiel

Pour Bouchra Hajij, vice-présidente de la Fédération arabe de volleyball, l’organisation de compétitions majeures comme la Coupe d’Afrique des nations ou la Coupe du monde constitue une reconnaissance légitime des efforts consentis et une vitrine exceptionnelle pour le Maroc. Mais elle a mis en garde contre une perception réductrice de ces rendez-vous majeurs : «Le rayonnement doit être global. Il ne s’agit pas seulement d’organiser des événements, mais aussi de produire du contenu et de développer tout un secteur», a-t-elle affirmé. Dans cette perspective, elle a souligné que le sport devait être pensé comme un projet de société, capable de structurer durablement un écosystème et de renforcer les compétences nationales. Le défi, selon elle, ne réside pas uniquement dans l’accueil de manifestations prestigieuses, mais dans la capacité à en prolonger les effets au service du pays.

Enfin, Bouchra Hajij a insisté sur l’importance d’une approche inclusive, impliquant toutes les composantes de la société. Jeunes, femmes, citoyens de tout âge doivent trouver dans le sport un espace de cohésion et d’épanouissement collectif. C’est à cette condition, a-t-elle soutenu, que le Maroc pourra transformer les grands rendez-vous à venir en un véritable moteur de développement durable.

Le sport, une question de dignité

L’ancien champion paralympique Abdennour El Fedayni est revenu quant à lui sur une réalité trop souvent négligée : la marginalisation du sport destiné aux personnes en situation de handicap dans les politiques publiques. «Pendant des années, nos athlètes se sont battus dans des conditions précaires, sans que les institutions assument pleinement leurs responsabilités», a-t-il regretté. À travers son parcours et son témoignage, l’ancien champion paralympique a prouvé que le sport peut dépasser la simple pratique adaptée pour devenir une expérience humaine qui transforme des vies. C’est pourquoi, M. El Fedayni a appelé à une gouvernance lisible, à des infrastructures spécialisées, à l’intégration du sport paralympique dans l’école et à un soutien accru à la recherche scientifique. «Le sport des personnes en situation de handicap est d’abord une question de dignité et d’inclusion. Chaque famille au Maroc est concernée», a-t-il insisté, plaidant pour une diplomatie sportive inclusive qui permettrait au Maroc de prendre toute sa place sur la scène internationale.

Construire le citoyen avant le stade

Dans le même ordre d’idées, le militant associatif Saad Abid, président de l’association Bahri, a souligné que la première mission du sport était éducative. Ayant mobilisé plus de 1.800 enfants et salariés autour d’activités sportives et environnementales, il a précisé la force de ces expériences dans la transmission des valeurs civiques : «Nous avons voulu faire des enfants de véritables ambassadeurs du civisme et du respect», a-t-il expliqué. Pour lui, l’enjeu ne réside pas uniquement dans la construction de stades ou d’hôtels, mais dans la formation de citoyens responsables : «Avant de construire les stades, il faut construire le Marocain.» Il a alerté dans ce sens sur le risque de bâtir des infrastructures modernes sans préparer la société à intégrer les valeurs du sport et du civisme.

Capitaliser sur les grands événements

Pour Reda El Araïchi, dirigeant sportif et spécialiste de la gestion des infrastructures, le Maroc doit savoir capitaliser sur les échéances qui s’annoncent. Selon lui, la Coupe d’Afrique des nations et la Coupe du monde ne sauraient être envisagées comme de simples compétitions : elles doivent être pensées comme des opportunités de transformation durable. «Il ne suffit pas de construire des stades, il faut penser à leur gestion, à leur animation et à leur intégration dans le tissu social et économique», a-t-il expliqué. Dans cette perspective, il a mis en garde contre le risque de voir des équipements rester sous-utilisés une fois les projecteurs éteints. Pour éviter un tel scénario, Reda El Araïchi plaide pour l’instauration de partenariats solides entre l’État, les collectivités et le secteur privé, garants d’une pérennité qui dépasse l’événementiel. Ces infrastructures, a-t-il insisté, doivent d’abord servir la jeunesse, irriguer le tissu local et encourager la pratique sportive au quotidien.

Mais au-delà de l’aménagement matériel, M. El Araïchi a rappelé que ces rendez-vous constituaient également un outil diplomatique et un levier de rayonnement. Ils offrent au Maroc l’occasion de renforcer ses liens avec l’Afrique et d’affirmer sa place sur la scène internationale. Toutefois, a-t-il averti, ce rayonnement ne prendra toute sa valeur que s’il s’accompagne d’améliorations tangibles pour les citoyens. «La Coupe d’Afrique et la Coupe du monde ne doivent pas seulement faire briller le Maroc à l’international, elles doivent améliorer concrètement la vie des Marocains», a-t-il conclu, en soulignant que l’héritage de ces compétitions se mesurera aussi bien à l’aune des infrastructures qu’à l’aune de la cohésion sociale et de l’élargissement de l’accès au sport.
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