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Fusion CNOPS-CNSS : Pourquoi l’UMT menace de bloquer le projet de loi

La rentrée politique s'annonce mouvementée. Alors que le dialogue social semble reprendre avec un brin d’optimisme fragile, notamment autour du projet de loi organique sur le droit de grève, un nouveau front de contestation pourrait s’ouvrir. Le projet de loi n°54-23, visant à fusionner la Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale (CNOPS) et la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), a provoqué l'ire des syndicats. Ces derniers, et à leur tête l'Union marocaine du travail (UMT), dénoncent l’approche unilatérale du gouvernement, qui a élaboré ce texte sans consultation préalable. Ils affirment que cette fusion menace les droits de 3,1 millions de bénéficiaires et l'avenir des employés de la CNOPS. À la veille du Conseil du gouvernement du 19 septembre 2024, où le projet devrait être examiné, la tension monte. Les syndicats exigent le retrait pur et simple de ce projet de texte et l'ouverture d'un dialogue social urgent. Cette intransigeance fait planer le spectre d'un nouveau bras de fer avec l'Exécutif.

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La sérénité qui régnait sur le front social marocain n'aura été que de courte durée. Après une reprise encourageante du dialogue entre le gouvernement et les syndicats, notamment autour du projet de loi organique sur le droit de grève, l'atmosphère s'est brusquement tendue. Au cœur de la discorde : le projet de loi n°54-23, visant à fusionner la Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale et la Caisse nationale de sécurité sociale. Ce texte, élaboré par les ministères des Finances et de la Santé, a provoqué une levée de boucliers des centrales syndicales, qui dénoncent une approche unilatérale et un manque flagrant de concertation.

La démarche gouvernementale sous le feu des critiques

L'Union marocaine du travail, fer de lance de la contestation, n'a pas mâché ses mots. Dans un communiqué incendiaire, son secrétariat général a fustigé «une démarche précipitée et opaque» du gouvernement. «Ce projet, élaboré dans l'ombre et dans l'urgence, menace les droits des adhérents, des ayants droit, des employés et des cadres de la CNOPS», a tonné l'UMT. Le syndicat va plus loin, accusant l'Exécutif de «faire fi» des intérêts de plus de trois millions d'assurés. Une réaction similaire est attendue de la part de la Confédération démocratique du travail (CDT) qui tenait, au moment où nous mettions sous presse, la réunion hebdomadaire de son bureau exécutif et avait mis ce point en bonne place à l’ordre du jour, selon nos sources.

Le secrétaire général de l'UMT, Miloudi Moukharik, interrogé sur ce sujet brûlant, n’a pas fait dans la dentelle : «L'un des principaux griefs concernant ce projet de loi est l'absence totale de concertation et d'informations de la part du gouvernement avec les représentants du mouvement syndical, que ce soit d'une façon directe ou indirecte», alors qu’il s’agit, selon lui, d’une loi «qui va chambouler la protection médicale et la couverture médicale dans le pays». Le dirigeant syndical rappelle les obligations du gouvernement en matière de dialogue social : «Comme il est dit dans la charte du dialogue social, le gouvernement a le devoir de nous consulter sur les grands dossiers à caractère social. C'est justement un texte qui va bouleverser totalement la donne dans le secteur public».

La centrale syndicale pointe également du doigt les implications plus larges de cette initiative gouvernementale. «Cette approche contrevient aux principes constitutionnels et aux fondements mêmes du dialogue social», souligne le communiqué. Le secrétaire général de l'UMT n'hésite pas à qualifier cette démarche d'«anticonstitutionnelle». Et d’ajouter : «Alors que le projet est préparé par le ministère des Finances et celui de la Santé et la protection sociale, aucun contact ni consultations n'ont eu lieu à ce propos».

«Trois millions de bénéficiaires risquent de perdre leurs acquis»

Au-delà des considérations de forme, ce sont les implications concrètes du projet qui inquiètent. Selon les données fournies par le conseil d'administration de la CNOPS, tenu en juin 2024, l'enjeu est de taille. La Caisse couvre actuellement 3,1 millions de bénéficiaires, un chiffre qui donne la mesure de l'impact potentiel de cette fusion.

Le secrétaire général de l'UMT expose les inquiétudes concrètes des syndicats : «Sur le fond, une première analyse montre que la loi concerne plus de 3 millions de bénéficiaires... ils vont perdre les droits acquis, vont subir un taux de cotisation plus élevé à la CNSS, un panier de soins moins intéressant puisque des maladies chroniques ne sont pas prises en charge par la CNSS, un taux de remboursement moindre... et la liste des points préjudiciables est longue».

Il convient de rappeler à cet égard que, lors du dernier conseil d'administration de la CNOPS (tenu en juin dernier), le président du conseil d’administration, Miloud Massid, avait déjà attiré l’attention sur «les zones d'ombre» de ce projet : «L'exclusion ou la marginalisation de la CNOPS et des Mutuelles des réformes de l'AMO ne concorde pas avec le principe de participation prévu dans la loi-cadre 21-09 sur la protection sociale, ni avec la dimension constitutionnelle du secteur mutualiste», avait-t-il déclaré.

Les syndicats s'inquiètent par ailleurs du sort qui sera réservé aux employés de la CNOPS. Le projet de loi 54-23, qualifié d'«ambigu» par l'UMT, fait planer une menace sur l'avenir professionnel de ces travailleurs. «Nous ne laisserons pas le gouvernement jouer avec l'avenir des centaines d’employés qui ont consacré leur carrière au service de la protection sociale», martèle un responsable syndical.

Le secrétaire général de l’UMT, Miloudi Moukharik, souligne également les enjeux de gouvernance soulevés par ce projet : «En tant qu'organisation syndicale représentée à la CNSS, nous savons que la Caisse, d'après le dahir l’instituant, a un conseil d'administration souverain censé décider de ce sujet. Nous savons que les membres du conseil n'ont pas été, non plus, consultés ni informés.» Cette remarque soulève une question cruciale : «Et si le conseil d'administration de la CNSS décidait de ne pas recevoir les adhérents de la CNOPS ?»

Le leader syndical insiste sur le fait que ces changements n'ont jamais été discutés au sein des instances appropriées : «Le sujet n'a jamais été abordé dans le cadre du dialogue social. Le gouvernement n'a jamais abordé la question avec nous». L’UMT pointe ainsi du doigt une incohérence majeure : «La même chose au niveau du conseil d'administration de la CNOPS qui n'a pas non plus été consulté ni informé». Ces explications détaillées du secrétaire général de l'UMT mettent en lumière les multiples facettes problématiques du projet de loi, tant sur le plan des droits des assurés que sur celui de la gouvernance des institutions concernées. Elles renforcent l'argumentaire des syndicats dans leur opposition à la méthode employée par le gouvernement pour mener cette réforme.

Par ailleurs, M. Moukharik tient à préciser que «l'UMT n'est pas contre une réforme juste de la couverture médicale et nous avons participé et enrichi la charte médicale lorsqu'elle a été examinée au sein du Parlement. Mais dans le détail de ce nouveau projet de loi, les cotisations et le panier des soins sont concernés, et nous sommes contre la méthodologie et la façon de faire adoptées par le gouvernement».

Un équilibre financier précaire

Il faut le souligner, le contexte financier dans lequel s'inscrit ce projet de fusion ajoute à la complexité de la situation. Les chiffres présentés lors du conseil d'administration de la CNOPS en juin 2024 sont aussi éloquents qu’inquiétants. En 2023, l'Assurance maladie obligatoire du secteur public (AMO-Secteur public) a enregistré un déficit de 1,28 milliard de dirhams, s'ajoutant aux déficits des deux années précédentes. Cette situation financière délicate s'explique par plusieurs facteurs. Le conseil d'administration pointe du doigt «l'élargissement continu du panier de soins, notamment en médicaments coûteux, sans études médico-économiques, la cherté des prix des médicaments, des dispositifs médicaux et des analyses biologiques, des soins dentaires, etc.». À cela s'ajoutent le vieillissement de la population assurée et l'augmentation du nombre de personnes atteintes de maladies de longue durée et coûteuses.

Face à ces défis, le conseil d'administration avait appelé les autorités compétentes à prendre les «mesures d'urgence nécessaires pour assurer la pérennité de l'AMO-Secteur public et rétablir son équilibre financier». La fusion proposée par le gouvernement est-elle la réponse adéquate à ces enjeux ? Les syndicats en doutent et réclament une réflexion plus approfondie et concertée.

Vers un bras de fer social ?

À la veille du Conseil du gouvernement de ce 19 septembre 2024, où le projet de loi n°54-23 doit être examiné, la tension est palpable. L'UMT a appelé ses adhérents à «rester vigilants et prêts à toute action pour défendre leurs droits». Le spectre d'un mouvement social d'ampleur plane encore sur le Maroc. Le secrétaire général de l'UMT expose la stratégie du syndicat : «Nous sommes dans la phase de l'argumentation et de la persuasion. Ce projet de loi touche les intérêts des salariés. Si le gouvernement ne veut pas nous entendre, nous allons passer à l'autre plan, l'argument de la mobilisation de l'ensemble des composantes syndicales pour un plan d'action afin de pousser le gouvernement à revenir au dialogue». Il soulève également une question cruciale : «Et si le conseil d'administration de la CNSS décidait de ne pas recevoir les adhérents de la CNOPS ?» Cette interrogation met en lumière les zones d'ombre du projet et les potentielles difficultés de sa mise en œuvre. De son côté, le conseil d'administration de la CNOPS avait également tiré la sonnette d’alarme en juin dernier. Il avait «exhorté le gouvernement à préserver les droits acquis des assurés et à protéger les employés de la CNOPS et des Mutuelles à la lumière de la volonté de fusion des régimes».

Alors que le Conseil du gouvernement s'apprête à examiner le projet de loi n°54-23, ces questions restent en suspens. La manière dont l'Exécutif y répondra pourrait bien définir non seulement l'avenir de la CNOPS et de la CNSS, mais aussi les contours du modèle social marocain pour les années à venir. La balle est désormais dans le camp du gouvernement. Maintiendra-t-il le cap sur ce projet déjà controversé ou acceptera-t-il d’écouter les appels au dialogue ? La réponse à cette question pourrait bien déterminer le climat social des prochains mois.
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