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Grève des étudiants en médecine : un problème de communication et... d’ego (Jaafar Heikel)

Le bras de fer entre les étudiants en médecine et le gouvernement ne semble pas près de se terminer et la dernière sortie des ministres Miraoui et Aït Taleb n’a fait, de l’avis du professeur Jaâfar Heikel, qu’envenimer la situation. Si la refonte du système de santé est un projet majeur auquel tient Sa Majesté le Roi, elle doit se faire, selon M. Heikel, dans la concertation et l’écoute de tous les acteurs, sans verser dans des postures catégoriques qui risquent de compromettre ce chantier.

Le dialogue est le seul moyen de sortir de la crise de la grève des étudiants en médecine, qui risque de déboucher sur une année blanche. C’est ce que pense le professeur Jaâfar Heikel, qui se dit, dans des déclarations au «Matin», «peiné» de voir se poursuivre ce bras de fer qui n’a pas lieu d’être.

Etidiants/Gouvernement : "un problème de communication... et d’ego !"

Pour ce docteur en économie de la santé, cette crise avec les étudiants en médecine illustre, une fois de plus, un problème de communication et d’ego chez le gouvernement. «Après la conférence de presse des deux ministres de l’Enseignement supérieur et de la Santé, j’étais étonné du langage et du discours tenus par ces deux responsables», dit M. Heikel, signalant que cette approche a provoqué «l’effet inverse», puisque les étudiants préparent d’ores et déjà leur riposte. Les deux ministres auraient dû plutôt opter pour un ton plus nuancé, de l’avis du professeur. «Je ne vous dis pas qu’il faut écouter les doléances de tout le monde, parce qu’un gouvernement est responsable, a des enjeux, une stratégie, une politique et des contraintes. Nous le comprenons parfaitement. Mais entre cela et le fait de ne pas répondre à des griefs de base, il y a une différence. Par exemple, la finalité et les objectifs de réduire de 7 à 6 le nombre d’années d’études de médecine n’ont pas été suffisamment expliqués. Et lorsque vous interrogez la quasi-totalité des étudiants en médecine, des médecins et des enseignants, ils répondent qu’ils ne comprennent même pas les objectifs de cette mesure. Il est étonnant que seuls les deux ministres comprennent et que les autres ne comprennent pas. Nous devons admettre ici qu’il y a un problème !», souligne M. Heikel.



De plus, poursuit-il, il est également surprenant de voir que c’est le ministre de la Santé qui prend les devants lors de la conférence de presse, alors que le problème ne se situe pas au niveau de son ministère, mais plutôt au niveau du ministère de l’Enseignement supérieur, qui est en charge de ce dossier. La contribution de M. Aït Taleb doit porter, selon le professeur, sur «le côté pratique de la profession médicale».

Réduction du cursus : "il fallait prendre le temps d’expliquer et de convaincre"

La décision de réduire le nombre d’années d’études de médecine de 7 à 6 serait mieux passée si le gouvernement avait pris le temps de l’expliquer. «Je comprends le souci du gouvernement d’assurer la mise en œuvre des politiques, mais il faut que cette politique publique soit réfléchie, qu’elle trouve un écho et, surtout, qu’elle soit discutée avec les acteurs concernés», indique M. Heikel, qui soutient que «le dialogue a le mérite de clarifier les choses». «Il y a parfois des incompréhensions simplement parce que nous n’avons pas communiqué correctement et les menaces ne servent à rien, d’un côté comme de l’autre. Il faut s’écouter», insiste-t-il.



Par ailleurs, le professeur relève qu’«il est incroyable de voir des étudiants en médecine demander à rester sur le système des 7 ans. D’habitude, les étudiants souhaitent que leur cycle de formation soit raccourci. Mais aujourd’hui, les étudiants en médecine nous disent qu’après 6 ans, ils ont besoin d’une année supplémentaire pour travailler sur le terrain, encadrés par des docteurs seniors ou des professeurs».

Le professeur de médecine souligne également qu’il existe vraiment aujourd’hui un problème relatif aux stages. «Lorsque j’ai commencé mes études de médecine en 1981, j’étais externe en troisième année de médecine, en 1984. Mon premier stage s’est déroulé chez un professeur de pneumologie. Chaque étudiant devait s’occuper de 4 à 6 patients. Aujourd’hui, il y a 6 étudiants par patient», fait-il remarquer.

Une réticence à impliquer le secteur privé de la santé

M. Heikel affirme également ne pas comprendre cette réticence à impliquer le secteur privé. «Nous avions proposé au ministre, à plusieurs reprises, d’accréditer le secteur privé pour accueillir des étudiants, dans le cadre d’un partenariat public-privé. Et ça, l’État l’a déjà fait avec le LPEE (Laboratoire public d’essais et d’études), Tecnitas ou Veritas, dans le domaine la construction où il n’est pas le seul à avoir des bureaux de contrôle, mais il y a des bureaux de contrôle privés qui travaillent pour le compte de l’État avec des cahiers des charges, des règles et des canevas pour éviter les dérapages», note-t-il. «Nous pouvons conclure un partenariat public-privé, car nous n’avons pas assez de terrains de stage. Une commission mixte du ministère et de l’Ordre des médecins peut désigner les cliniques et les cabinets médicaux qui ont la compétence, la disponibilité et la capacité d’accueillir des étudiants en médecine», ajoute M. Heikel.

72% des étudiants en médecine ont l’intention de quitter le Maroc

Aux inquiétudes exprimées par le ministre de la Santé sur la fuite des médecins formés au Maroc avec de l’argent public, M. Heikel réagit en expliquant que l’approche pour retenir nos médecins doit être surtout orientée vers l’amélioration des conditions de travail. «Ce constat est valable partout dans le monde et aucun pays n’a encore su dissuader les médecins formés dans ses facultés de s’expatrier. Et au Maroc, une enquête que nous avons menée auprès des étudiants de quatrième année a montré que 72% d’entre eux ont l’intention de partir à l’étranger», fait savoir M. Heikel. Quelle est donc la solution ? Pour M. Heikel, la réponse est simple : il faut améliorer les conditions de travail des médecins. «Nous avons donné la possibilité aux médecins étrangers de venir exercer au Maroc. Pourquoi n’ont-ils pas été des milliers à affluer ici pour s’installer et travailler ? Tout simplement parce que les conditions d’exercice de la médecine ne sont, à ce jour, pas à la hauteur !» conclut-il.
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