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Intelligence artificielle : ce que le Maroc doit faire pour en tirer pleinement parti

L’intelligence artificielle (IA) ne se présente plus comme une simple technologie du futur pour le Maroc, mais plutôt comme un élément crucial pour son développement économique et social. C’est le message clé issu de la «Journée de réflexion prospective» organisée à Rabat par l’Institut Royal des études stratégiques (IRES) et le Centre AI Movement de l’Université Mohammed VI Polytechnique.

Au Maroc, l’intelligence artificielle n’est plus seulement une technologie d’avenir. C’est un levier stratégique pour le développement économique et social qu’il convient d’actionner et d’encadrer, mais comment ?

C’est la question à laquelle ont tenté de répondre les intervenants ayant participé à la «Journée de réflexion prospective» organisée le lundi 4 mars 2024 à Rabat par l’Institut Royal des études stratégiques et le Centre AI Movement de l’Université Mohammed VI Polytechnique. Cette rencontre a porté sur la thématique de «L’intelligence artificielle digne de confiance : un levier porteur de changement pour un développement accéléré au Royaume». Les experts réunis à cette occasion se sont penchés sur les moyens les plus à même de permettre de tirer parti, en toute confiance, du potentiel de l’intelligence artificielle pour stimuler le développement du Maroc dans divers domaines stratégiques.

Une prise de conscience nationale de l'importance de l'IA

Dans son allocution d’ouverture, Mohammed Tawfik Mouline, directeur général de l’IRES, a souligné la «portée stratégique» des technologies numériques, dont l’IA, pour le Royaume. Une prise de conscience remontant au Discours Royal de 2008 appelant à «renforcer l’appropriation des nouvelles technologies pour accélérer le développement». M. Mouline a retracé les travaux précurseurs de l’IRES sur les transitions technologiques et la compétitivité, avant de plaider pour «une démarche holistique et inclusive» impliquant tous les acteurs dans une future stratégie nationale de l’IA «bénéfique et de confiance, alignée sur les valeurs du Maroc».



Selon M. Mouline, les récents travaux de l’IRES sur l’industrie du futur ont en effet «mis l’accent sur la nécessité d’investir massivement dans l’IA» pour upgrader le tissu productif national. «Sur un autre registre, la question de l’intelligence artificielle s’insère parfaitement dans la nouvelle grille de lecture prospective de l’IRES, adoptée en 2021, spécialement son pilier «Exponentialité», qui traite de l’ensemble des phénomènes structurels connaissant une accélération exponentielle, tels que les technologies de la communication, la digitalisation... Récemment, l’étude de l’Institut, réalisée en 2023, sur l’industrie du futur, a mis l’accent sur la nécessité pour le Royaume d’investir massivement dans l’intelligence artificielle en vue de réussir la montée en gamme du tissu productif national et de développer une nouvelle génération de métiers mondiaux du Maroc», a-t-il insisté.

IA : Des avancées mais des faiblesses à corriger à travers une stratégie nationale

Après cette mise en perspective, la Journée a dressé un état des lieux contrasté des avancées et faiblesses du Maroc en matière d’IA. Amal El Fallah Seghrouchni, présidente du Centre AI Movement, a insisté sur l’importance de doter le pays d’une stratégie nationale. Elle a rappelé dans ce sens que dans son dernier rapport annuel, «Government Al Readiness Index 2023», le cabinet de conseil britannique Oxford Insights a classé «le Maroc à la cinquième position en Afrique en matière de préparation à l’intelligence artificielle dans les services publics». Le Royaume a réalisé sa meilleure performance dans les «Infrastructures et données, mais devra fournir plus d’efforts dans la gouvernance et l’amélioration de son secteur technologique pour favoriser le développement de l’IA», a-t-elle plaidé. Selon Mme El Fallah Seghrouchni, pour que le Maroc tire pleinement parti du potentiel de l’intelligence artificielle comme levier stratégique, il est primordial d’adopter une approche ambitieuse et de long terme, structurée autour de plusieurs axes prioritaires. Tout d’abord, des investissements massifs et une planification rigoureuse sont indispensables pour développer un solide écosystème national de l’IA. L’objectif étant de permettre au Royaume d’asseoir son leadership en tant que puissance scientifique et technologique de pointe dans ce domaine clé. Parallèlement, il convient d’accompagner et d’accélérer la transformation de l’économie marocaine pour l’ancrer dans les nouveaux paradigmes de l’IA. En valorisant les avantages de l’innovation locale, et en veillant à ce que les bénéfices de l’intelligence artificielle profitent équitablement à tous les secteurs d’activité et territoires.

Un autre impératif souligné est la mise en place d’un cadre de gouvernance exemplaire des technologies d’IA. Un encadrement à même d’encourager l’innovation et l’attractivité des investissements, tout en protégeant efficacement les intérêts et les droits des citoyens. Enfin, Mme El Fallah Seghrouchni a insisté sur la nécessité d’instaurer une réelle adhésion et confiance de la société dans la trajectoire d’adoption de l’IA choisie. En impliquant les divers talents, sensibilités et représentations de toutes les composantes de la nation dans un processus ouvert et participatif.

Intelligence artificielle : Des enjeux multidimensionnels

Mounir Ghogho (UIR) et Karim Baïna (ENSIAS) ont toutefois déploré le manque de moyens de la recherche publique face à «la course effrénée» internationale dans l’IA, tandis que Mohammed El Rhabi (École Centrale Casablanca) a pointé les lacunes dans la formation aux métiers de l’IA. Lors de cette Journée, plusieurs experts internationaux ont exposé les multiples défis à relever par les stratégies nationales d’IA émergentes. Pour Malik Ghallab (INRIA), l’impact économique sera «considérable», mais l’IA soulève aussi des risques éthiques et sociétaux majeurs nécessitant un cadre de gouvernance solide. Virginia Dignum (Umeå University) a insisté sur la nécessité de «concevoir une IA digne de confiance, robuste, loyale, équitable et explicable». Mohamed Sennoussi (prospectiviste) a pour sa part mis en garde contre les dérives géopolitiques d’une «course aux armements de l’IA» entre grandes puissances.

Un ancrage africain

Dans une perspective de «solidarité numérique» africaine, la Journée a aussi fait la part belle aux initiatives et réflexions du continent. Seydina Moussa Ndiaye (Université de Dakar) a présenté les travaux du Partenariat mondial sur l’IA (GPAI) visant à «mettre l’humain au centre de l’IA intelligible et démocratique», tout en appelant le Maroc à se joindre à cette initiative. Eric Adja, président de l’AFRIA, a plaidé pour développer une économie de l’IA «mieux adaptée aux réalités socioculturelles africaines», en phase avec les «cinq piliers» de la vision de l’Union africaine pour l’IA, notamment ouverture, maîtrise locale, souveraineté numérique et développement humain.

Une autre partie des travaux a été consacrée à un panel de réflexion qui s’est penché sur les moyens à même d’élever le développement de cette technologie émergeante au rang de priorité stratégique pour le Maroc. Dans ce cadre, une visite au Centre AI Movement à l’UM6P a été organisée. Visite qui a illustré la mobilisation déjà à l’œuvre au Royaume pour se doter des compétences et moyens lui permettant de rester à la pointe d’une technologie perçue comme un potentiel accélérateur de développement global.

Par ailleurs, ainsi que l’a souligné Mohammed Tawfik Mouline, directeur général de l’IRES, le Royaume ne reste pas les bras croisés face à l’essor de l’intelligence artificielle. Conscient des enjeux stratégiques y afférents, le Maroc multiplie les initiatives pour se positionner sur cette technologie d’avenir. De nouveaux centres de R&D sont créés, des programmes renforcent la formation aux métiers de l’IA, tandis que des partenariats public-privé émergent pour stimuler l’innovation. «Une dynamique qui vise à la fois à développer l’expertise nationale et à impliquer les jeunes talents marocains dans cette révolution en marche. Des efforts prometteurs qui gagneront à s’inscrire dans une véritable feuille de route stratégique pour permettre au pays de saisir pleinement les opportunités de l’intelligence artificielle de confiance», a-t-il conclu.
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