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Impact du séisme sur les PME : la CEA-ONU disposée à aider le Maroc

Ayant pris part, en marge de l’Assemblée générale de l’ONU, à une conférence organisée par le Maroc sur la «Coopération pour un développement transformateur au sein et avec la contribution des pays à développement intermédiaire pour parvenir à un développement durable dans ses trois dimensions», Antonio Pedro, secrétaire exécutif a.i. de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies (CEA), a bien voulu répondre aux questions du journal «Le Matin». Outre l’importance et les enjeux de cette conférence, le haut responsable évoque le séisme d’Al Haouz et les différentes formes d’appui que la CEA peut offrir au Maroc, notamment sur le plan technique, pour que la dynamique de développement puisse reprendre sans délai dans les zones sinistrées.

Antonio Pedro.
Antonio Pedro.

Le Matin : Vous avez pris part, en marge de l’AG de l’ONU, à une conférence organisée par le Maroc sur la «Coopération pour un développement transformateur au sein et avec la contribution des pays à développement intermédiaire pour parvenir à un développement durable dans ses trois dimensions». Que faut-il retenir de cette conférence ?

Antonio Pedro : Cette rencontre, qui s’est tenue en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, a été l’occasion de mettre en avant le fait que les pays à revenu intermédiaire (PRI), bien qu'ils constituent un groupe diversifié, sont confrontés à des défis communs et doivent par conséquent parler d’une seule voix lors des forums économiques mondiaux. Les PRI contribuent de manière significative à la croissance économique mondiale, avec un tiers du PIB mondial et 75% de la population mondiale. Groupe diversifié représentant tous les continents, les PRI ont un rôle déterminant à jouer dans la mise en œuvre de l'Agenda 2030 pour le développement durable (ODD). En d’autres termes, la mise en œuvre de l'Agenda 2030 pour le développement durable restera hors de portée si les PRI sont laissés pour compte.

Autre message clé de la réunion : bien que les PRI partagent la même catégorisation fondée sur le revenu par habitant, l’appellation «Pays à revenu intermédiaire» basée uniquement sur ce critère ne reflète pas adéquatement la diversité de leurs réalités et vulnérabilités. La réunion a donc appelé à une analyse élargie de l'approche systémique utilisée pour la catégorisation des pays en développement, afin d'adapter les approches en matière de politiques et parvenir à des résultats solides en matière de développement durable.

L'un des principaux défis que les pays à revenu intermédiaire ont en commun est ce qu'on appelle le «piège du revenu intermédiaire» (middle-income trap). Comment les PRI peuvent-ils maintenir leur dynamisme économique ?

Un défi majeur auquel de nombreux PRI sont confrontés est de savoir comment maintenir un investissement élevé et diversifié qui peut stimuler à la fois le renforcement de la productivité et la création d'emplois. L'autre défi – et opportunité – connexe est de savoir comment tirer parti de l'accélération de la digitalisation, une mégatendance amplifiée pendant et au lendemain de la pandémie.

Étant donné que l'automatisation, l'intelligence artificielle et la digitalisation deviennent aujourd’hui des moteurs de croissance clés, le renforcement de l'accumulation du capital humain et la mise à niveau des compétences auront un rôle crucial à jouer dans le maintien du dynamisme et la sortie du piège du revenu intermédiaire. À la CEA, nous avons analysé quelques-unes de ces questions dans un de nos récents rapports : «Capital humain et création d'emplois productifs : combler le déficit de compétences en Afrique», produit en partenariat avec Oxford Economics.

De même, l'autre défi majeur auquel les PRI sont confrontés dans leur recherche d’une sortie du piège du revenu intermédiaire est la disponibilité limitée du financement concessionnel. Les récentes initiatives du G20 pour traiter les problèmes de dette publique ont été principalement focalisées sur les pays à faible revenu. Cependant, de nombreux PRI sont eux aussi confrontés à des niveaux d’endettement élevés et devraient être pris en compte par de telles initiatives. Plus généralement, le fait que le revenu par habitant soit un critère déterminant pour l'accès au financement concessionnel est un autre facteur qui montre la nécessité d'une classification plus nuancée des pays à mesure de leur progression à travers les différentes nuances de développement.

De nombreux PRI ont du mal à atteindre les ODD, y compris l'ODD 1. Quelle est votre analyse des avancées du Maroc sur le plan de la mise en œuvre des ODD ?

Le Maroc a enregistré des avancées remarquables et fait partie des pays africains qui ont parcouru les deux tiers du chemin vers la réalisation des ODD. Les avancées les plus marquées ont été réalisées dans la mise en œuvre de l'ODD 6 (Eau propre et assainissement), l'ODD 9 (Industrie, innovation et infrastructure) et l'ODD 17 (Partenariat pour la réalisation des objectifs). Le gouvernement concentre ses efforts sur l'atteinte des objectifs sociaux et environnementaux des ODD et a érigé en priorités une croissance durable et riche en emplois ainsi que la réduction des disparités territoriales.

Le Maroc a fait le pari du développement durable en élaborant des politiques publiques prenant en considération l’impact du changement climatique, la gestion optimale des ressources naturelles, sans oublier l’impératif écologique. Comment la CEA peut-elle accompagner et soutenir le Royaume dans cet effort ?

La CEA soutient ses pays membres pour le développement de cadres politiques favorables au développement résilient au climat en Afrique. De tels cadres nécessitent l’approvisionnement en / la disponibilité de données, analyses, indicateurs, et le développement de compétences améliorés. La CEA peut soutenir les efforts louables du Maroc à travers des études de diagnostic, l’évaluation d’écarts de compétences, l’analyse spatiale de points chauds ainsi que d'autres outils à même de soutenir les efforts du gouvernement pour la conception et le ciblage renforcés de politiques et d’investissements.

Les contributions des ressources naturelles au développement économique doivent être mieux comptabilisées dans les budgets nationaux. La gestion optimale des ressources naturelles, dont la biodiversité et les ressources minérales, nécessite des indicateurs améliorés pour une meilleure intégration dans les comptes nationaux. La CEA élabore des programmes avec pour ambition de renforcer la capacité des systèmes statistiques nationaux à intégrer la comptabilité du capital naturel dans les comptes nationaux. Un tel soutien peut être mis à la disposition du Maroc en vue de lui permettre d'évaluer adéquatement son patrimoine naturel et informer la monétisation nationale des ressources naturelles à travers des innovations telles que les marchés du carbone. À cet égard, la CEA est en train de développer un registre de crédits carbone, ciblant initialement les pays du Bassin du Congo, mais qui peut être élargi à d'autres pays et écosystèmes à travers l'opérationnalisation de l'Initiative africaine des marchés du carbone (ACMI), lancée durant la COP27 à Sharm el-Sheikh.

La CEA peut également soutenir ces efforts à travers diverses initiatives développées pour aider les pays à mobiliser des financements pour le développement. Parmi ces dernières, les échanges de dette contre nature, les obligations vertes/bleues, mais aussi des initiatives comme la Coalition pour une dette durable, lancée par l'Égypte à la COP27, qui se concentre sur les interconnexions entre le climat, la dette, et le développement. La Déclaration de Nairobi, issue du 1er Sommet climatique africain qui a récemment conclu ses travaux, a appelé à des investissements pour promouvoir l'utilisation durable des atouts naturels de l'Afrique pour la transition du continent vers une économie à faible émission de carbone. Dotée de ressources naturelles et de sources d'énergie renouvelable, l'Afrique a le potentiel de dedvenir une puissance mondiale en matière de solutions et d'investissements climatiques.

Le Maroc a été frappé par un séisme dévastateur le 8 septembre dernier. Quelles répercussions cette catastrophe peut-elle avoir sur les perspectives de développement dans les zones touchées ? Quel apport peut offrir la CEA à cet égard ?

À la CEA, nous suivons de près l'évaluation par les autorités marocaines de l'impact du tremblement de terre sur les secteurs du tourisme et de l'agriculture. Nous avons également pris note du plan multisectoriel de cinq ans pour un montant de 12 milliards de dollars en soutien aux efforts de reconstruction, l’amélioration de l’accès et la mise à niveau des zones affectées, le relogement et l’aide financière directe aux populations affectées et la promotion des activités économiques et de l'emploi.

À l’instar de notre mobilisation au lendemain de la pandémie de la Covid-19, des cyclones Idai et Kenneth, et des inondations mortelles qui ont touché le Soudan en 2019, la CEA est disposée à prêter main-forte aux autorités à travers des évaluations détaillées de l'impact économique du tremblement de terre sur les PME et l'identification des étapes à suivre pour une reprise plus rapide, plus verte et plus résiliente, à même d’offrir aux femmes et aux jeunes davantage d'opportunités d’obtenir des emplois et de contribuer à l'économie.

La CEA est également disposée à soutenir le gouvernement, en partenariat avec d'autres agences des Nations unies et acteurs du développement, sur le plan des dimensions économiques du processus de reconstruction et l'identification d’options de développement alternatives pour la sous-région prenant en compte des défis émergents tels que le changement climatique, qui a conduit à des températures record et à des tempêtes de sable inhabituelles dans la région de Marrakech et d'Agadir cet été.

La préparation aux événements catastrophiques est-elle le talon d’Achille des pays africains ? Que pensez-vous de l’expérience du Maroc à la lumière de ce qui a été fait pour atténuer l’impact du séisme d’Al Haouz ?

Les séismes, et particulièrement ce dernier qui a affecté le Maroc, sont difficiles à prévoir. Cependant, les catastrophes liées au climat comme celle qui a récemment touché la Libye sont relativement plus faciles à anticiper, d’autant plus qu’elles sont à la hausse en Afrique en raison du réchauffement climatique. Le changement climatique coûte déjà aux pays africains environ 5% de leur PIB et dans certains cas, comme le Mozambique au lendemain du cyclone Idai, ce chiffre peut atteindre jusqu'à 15% du PIB. En conséquence, un certain nombre de pays ont dû réaffecter jusqu'à 9% de leurs budgets nationaux pour répondre aux phénomènes météorologiques extrêmes. Cette situation génère un dilemme difficile à résoudre pour nos pays, car la rareté et le coût des options de financement disponibles peuvent les forcer à choisir entre la protection des vies et des moyens de subsistance, d'une part, et l'investissement dans le développement à moyen et long terme et le bien-être de leurs populations, d'autre part.

Les décisions du Maroc de signer, il y a quelques années, un contrat d'assurance paramétrique pour aider à couvrir les coûts des tremblements de terre et, plus récemment, d'obtenir un prêt du FMI de 1,3 milliard de dollars américains pour améliorer sa résilience aux catastrophes naturelles et rendre son économie, son infrastructure et ses communautés locales plus durables sont des mesures recommandables.

À la CEA, nous travaillons à aider les pays africains à obtenir des financements abordables pour répondre à de tels besoins. L'année dernière, dans le cadre des préparatifs de la COP27, nous avons travaillé avec l'Égypte, en sa qualité de présidente de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques 2022 (COP27), sur le renforcement de la coordination régionale autour des problématiques du financement climatique et de la coordination du financement pour l'adaptation au changement climatique. C’est ainsi que la CEA a été sollicitée pour établir un Hub sur la Dette souveraine durable afin de réduire le coût du capital pour les pays en développement, permettre des échanges dette-adaptation au climat/nature afin de réduire l’endettement des économies africaines et stimuler une action ambitieuse sur le climat, la nature et la durabilité tout en tenant compte des besoins en matière de sécurité alimentaire, énergétique et d’eau, et aider à renforcer la réactivité des marchés de la dette souveraine au changement climatique et à restaurer la nature.

Pour nos pays, la prise en compte de la prévention des catastrophes dans les politiques gouvernementales n'est plus une option aujourd’hui. Tous les pays ont besoin de se doter de systèmes d'alerte précoce et de stratégies d'intervention, opérationnels à tout moment. Les décideurs doivent également tenir compte des informations météorologiques et climatiques, entre autres risques, tels que le risque sismique, dans la planification, la construction et l'entretien des infrastructures, les normes de construction pour le logement, etc. À cet égard, nous espérons que le Maroc partagera son expérience avec d'autres pays africains dans les années à venir.

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