Le 6 avril 2025, la scène politique a été secouée par l’annonce d’un front parlementaire inattendu. Les groupes de l’opposition – le Mouvement populaire (MP), le Parti du progrès et du socialisme (PPS) et le Parti de la justice et du développement (JD) – initient la constitution d’une commission d’enquête ayant pour objet le soutien gouvernemental à l’importation de bétail, une démarche rejointe dès le lendemain par l’Union socialiste des forces populaires (USFP). Dans leur communiqué commun, ces partis expriment clairement leur volonté «d’éclairer l’opinion publique sur les fondements de ces décisions gouvernementales, les montants réels supportés par les finances publiques et le nombre ainsi que la nature des importateurs qui en ont bénéficié». Leur objectif est de «faire éclater toute la vérité» et vérifier si ces mesures ont «servi l’intérêt public» ou les «intérêts d’un groupe limité».
La réaction de la majorité ne s’est pas fait attendre. Les partis soutenant le gouvernement, menés par le Rassemblement national des indépendants (RNI) de Aziz Akhannouch, ont immédiatement riposté en proposant la mise en place d’un mécanisme de contrôle, mais de moindre importance : une simple mission exploratoire temporaire sur lesdites subventions a été annoncée, évitant ainsi le mécanisme, plus contraignant et plus formel, de la commission d’enquête.
Driss Sentissi, chef du groupe parlementaire du Mouvement populaire, détaille quant à lui les conditions strictes pour établir une commission d’enquête : «Pour qu’une telle commission voie le jour, le nombre de députés signataires doit impérativement dépasser 132, soit un tiers des membres de la Chambre des représentants.» Une fois ce seuil atteint, explique-t-il, «le dossier est transmis à la présidence de la Chambre, qui dispose d’un délai très court – ne dépassant pas trois jours – pour le transmettre au Chef du gouvernement».
Le contexte économique confère à ces questions une pertinence particulière. Comme le rappelle Mohammed Ouzzine, secrétaire général du Mouvement populaire, le pays traverse une période difficile, sans précédent, marquée par la cherté de la vie et les conséquences des années successives de sécheresse. Ce contexte a d’ailleurs conduit à une décision Royale invitant les Marocains à ne pas sacrifier de moutons pour l’Aïd cette année, événement qui a remis en lumière la question de l’efficacité du soutien gouvernemental à l’importation du bétail.
Le bureau politique du RNI, réuni le 9 avril 2025 sous la présidence de Aziz Akhannouch, a par ailleurs salué «l’initiative prise par son groupe parlementaire, aux côtés des groupes de la majorité, de demander l’organisation d’une mission exploratoire pour examiner les programmes et mesures adoptés pour le soutien à l’importation de bovins, d’ovins et de viandes». Quant à Mustapha Baïtas, porte-parole du gouvernement, il a déclaré lors du point de presse hebdomadaire à l’issue de la réunion du Conseil du gouvernement que «l’appréciation politique d’un mécanisme de contrôle plutôt qu’un autre reste de la compétence exclusive du Parlement», refusant de prendre position explicitement pour l’une ou l’autre option. Il a néanmoins souligné que «le gouvernement, dans ses relations avec le Parlement, veille à ce que ces dernières soient conformes aux décisions de la Cour constitutionnelle, dans un cadre d’équilibre et de coopération».
Mustapha Ramid, ancien ministre de la Justice, partage quasiment la même lecture : «Le Maroc a connu seulement six commissions d’enquête dans son histoire, la première en 1979 et la dernière en 2010. Depuis l’adoption de la Constitution de 2011, aucune n’a été créée, malgré trois législatures successives», fait-il observer dans un post sur sa page Facebook. Et d’ajouter en posant une question rhétorique : «Quel est le problème qui mérite la mise sur pied d’une commission d’enquête ?»
M. Ramid va plus loin dans son analyse en distinguant deux catégories d’États : «Ceux qui ont des institutions solides assurant contrôle et responsabilité, et ceux caractérisés par un vide inquiétant et une léthargie mortelle. Pas de contrôle, ou alors très faible, et pas de responsabilité, ou alors très limitée». Pour lui, c’est précisément cette distinction qui sépare «un État démocratique d’un État non démocratique, car là où règne la démocratie, on trouve la transparence et la responsabilisation nécessaires».
M. Ouzzine les met alors au défi : «Soit vous craignez véritablement Dieu concernant la situation des Marocains, comme l’a dit votre secrétaire général, soit vous ne faites que caresser les gens dans le sens du poil !» M. Ouzzine reste lucide tout de même, en relevant que l’opposition ne dispose pas actuellement du nombre suffisant de députés pour activer cette commission d’enquête, qui nécessite constitutionnellement un tiers des membres de la Chambre des représentants (132 signatures), alors que l’opposition et les indépendants ne totalisent que 101 députés. Pourtant il déclare : «Nous donnons aujourd’hui l’opportunité aux partis du gouvernement de prouver qu’ils sont des députés de la nation et non des députés du gouvernement».
Il est significatif de noter que, comme le rappelle Mustapha Ramid, aucune commission d’enquête n’a été créée depuis l’adoption de la Constitution de 2011, alors que selon Meryem Blial, «nous avons eu 9 missions exploratoires durant la législature actuelle», un contraste qui illustre à l’évidence la préférence pour des mécanismes de contrôle aux pouvoirs plus limités.
Driss Sentissi rappelle que «ce qui nous importe en tant qu’opposition, ce n’est pas de faire tomber le gouvernement. Dès le début de cette législature, nous avons affirmé que la réussite de l’Excutif était celle du pays.» Pour lui, «ce qui importe le plus, ce sont les réponses concrètes du gouvernement aux questions que nous avons posées sur des sujets essentiels comme le cheptel, les amendements rejetés, le Plan Maroc Vert, le Plan Halieutis, la question des carburants et, plus globalement, l’exercice du contrôle parlementaire».
Abdelhadi Briouig est encore plus explicite dans son analyse : «Ce qui s’est passé à la Chambre des représentants n’est pas une simple divergence technique sur un mécanisme de contrôle, mais un indicateur grave de l’érosion de la confiance entre le gouvernement, le Parlement et les citoyens.» Un constat qui pose la question fondamentale de l’avenir du contrôle démocratique au Maroc.
La réaction de la majorité ne s’est pas fait attendre. Les partis soutenant le gouvernement, menés par le Rassemblement national des indépendants (RNI) de Aziz Akhannouch, ont immédiatement riposté en proposant la mise en place d’un mécanisme de contrôle, mais de moindre importance : une simple mission exploratoire temporaire sur lesdites subventions a été annoncée, évitant ainsi le mécanisme, plus contraignant et plus formel, de la commission d’enquête.
Deux mécanismes de contrôle aux pouvoirs fondamentalement différents
Il faut dire que les choix des uns et des autres ne sont pas anodins. La différence entre ces deux outils parlementaires est substantielle, comme l’explique avec précision Meryem Blial, experte des questions parlementaires. Dans une analyse détaillée, elle précise que «contrairement aux missions exploratoires temporaires qui relèvent simplement du règlement intérieur (articles 142 à 148), les commissions d’enquête sont un dispositif constitutionnel prévu par l’article 67 de la Constitution et encadrés par une loi organique spécifique». Cette distinction fondamentale confère aux commissions d’enquête une portée et des pouvoirs bien plus significatifs. Meryem Blial ajoute : «Les personnes convoquées devant une commission d’enquête doivent prêter serment, et le rapport final peut même être transmis à la justice». En revanche, les missions exploratoires aboutissent simplement à «une discussion en séance plénière en présence du gouvernement», sans possibilité de poursuites judiciaires.Driss Sentissi, chef du groupe parlementaire du Mouvement populaire, détaille quant à lui les conditions strictes pour établir une commission d’enquête : «Pour qu’une telle commission voie le jour, le nombre de députés signataires doit impérativement dépasser 132, soit un tiers des membres de la Chambre des représentants.» Une fois ce seuil atteint, explique-t-il, «le dossier est transmis à la présidence de la Chambre, qui dispose d’un délai très court – ne dépassant pas trois jours – pour le transmettre au Chef du gouvernement».
Un enjeu financier colossal qui suscite la controverse
Il faut dire que l’objet de cette bataille parlementaire a de quoi attiser les passions. Selon les informations relayées dans les documents, il s’agit d’un programme gouvernemental d’aide à l’importation de bétail qui aurait coûté environ 13 milliards de dirhams aux finances publiques depuis fin 2022, sous forme de dépenses directes, et d’exonérations fiscales et douanières. Dans sa prise de position, Nabil Benabdallah, secrétaire général du PPS, dénonce «une impasse politique, éthique et juridique» dans lequel se trouve le gouvernement. Il s’interroge publiquement : «Si le gouvernement est vraiment certain que son soutien aux importateurs de bétail n’est entaché d’aucune irrégularité, pourquoi fuit-il la commission d’enquête ?»Le contexte économique confère à ces questions une pertinence particulière. Comme le rappelle Mohammed Ouzzine, secrétaire général du Mouvement populaire, le pays traverse une période difficile, sans précédent, marquée par la cherté de la vie et les conséquences des années successives de sécheresse. Ce contexte a d’ailleurs conduit à une décision Royale invitant les Marocains à ne pas sacrifier de moutons pour l’Aïd cette année, événement qui a remis en lumière la question de l’efficacité du soutien gouvernemental à l’importation du bétail.
La démarche de la majorité : stratégie de dilution ou de clarification ?
Face à l’offensive de l’opposition, la majorité déploie une stratégie défensive. Selon les informations fournies, les groupes parlementaires soutenant le gouvernement ont adressé une demande au président de la commission des secteurs productifs pour «organiser une mission exploratoire afin d’examiner les programmes et mesures adoptés pour soutenir l’importation de bovins, d’ovins et de viandes, destinés à protéger le pouvoir d’achat et à évaluer l’atteinte des objectifs fixés». Cette approche est défendue par Allal El Amraoui, président du groupe parlementaire de l’Istiqlal, parti membre de la coalition gouvernementale, qui estime qu’une mission exploratoire est «plus efficace et pertinente» qu’une commission d’enquête, considérant que l’initiative de l’opposition vise davantage à créer un «buzz politique» qu’à rechercher des solutions concrètes.Le bureau politique du RNI, réuni le 9 avril 2025 sous la présidence de Aziz Akhannouch, a par ailleurs salué «l’initiative prise par son groupe parlementaire, aux côtés des groupes de la majorité, de demander l’organisation d’une mission exploratoire pour examiner les programmes et mesures adoptés pour le soutien à l’importation de bovins, d’ovins et de viandes». Quant à Mustapha Baïtas, porte-parole du gouvernement, il a déclaré lors du point de presse hebdomadaire à l’issue de la réunion du Conseil du gouvernement que «l’appréciation politique d’un mécanisme de contrôle plutôt qu’un autre reste de la compétence exclusive du Parlement», refusant de prendre position explicitement pour l’une ou l’autre option. Il a néanmoins souligné que «le gouvernement, dans ses relations avec le Parlement, veille à ce que ces dernières soient conformes aux décisions de la Cour constitutionnelle, dans un cadre d’équilibre et de coopération».
Un révélateur des failles du système de contrôle parlementaire
Pour Abdelhadi Briouig, intellectuel proche du PPS, le choix de la majorité de privilégier une mission exploratoire s’apparente à «une tentative de contourner la Constitution». Dans son analyse, il s’interroge ouvertement : «Que tente de cacher le gouvernement ?» M. Briouig considère en tout cas que «le message envoyé aux citoyens est clair : nous ne sommes pas prêts à révéler toute la vérité... même s’il s’agit de votre argent public».Mustapha Ramid, ancien ministre de la Justice, partage quasiment la même lecture : «Le Maroc a connu seulement six commissions d’enquête dans son histoire, la première en 1979 et la dernière en 2010. Depuis l’adoption de la Constitution de 2011, aucune n’a été créée, malgré trois législatures successives», fait-il observer dans un post sur sa page Facebook. Et d’ajouter en posant une question rhétorique : «Quel est le problème qui mérite la mise sur pied d’une commission d’enquête ?»
M. Ramid va plus loin dans son analyse en distinguant deux catégories d’États : «Ceux qui ont des institutions solides assurant contrôle et responsabilité, et ceux caractérisés par un vide inquiétant et une léthargie mortelle. Pas de contrôle, ou alors très faible, et pas de responsabilité, ou alors très limitée». Pour lui, c’est précisément cette distinction qui sépare «un État démocratique d’un État non démocratique, car là où règne la démocratie, on trouve la transparence et la responsabilisation nécessaires».
Un bras de fer aux implications constitutionnelles
Visiblement donc, le bras de fer dépasse le cadre d’une simple querelle politique, il touche à l’équilibre même des pouvoirs institué explicitement par la Constitution de 2011. Mohammed Ouzzine a vivement critiqué la position de la majorité, estimant que le Parlement se trouve à «un moment charnière» et doit de ce fait choisir s’il est «du côté du peuple ou s’il est soumis à des lobbies d’intérêts». Le SG du MP a interpellé notamment les ministres et députés du Parti de l’Istiqlal, faisant référence à une déclaration antérieure de leur secrétaire général, Nizar Baraka, qui avait appelé à «craindre Dieu au sujet des Marocains» face à la persistance de la cherté de la vie.M. Ouzzine les met alors au défi : «Soit vous craignez véritablement Dieu concernant la situation des Marocains, comme l’a dit votre secrétaire général, soit vous ne faites que caresser les gens dans le sens du poil !» M. Ouzzine reste lucide tout de même, en relevant que l’opposition ne dispose pas actuellement du nombre suffisant de députés pour activer cette commission d’enquête, qui nécessite constitutionnellement un tiers des membres de la Chambre des représentants (132 signatures), alors que l’opposition et les indépendants ne totalisent que 101 députés. Pourtant il déclare : «Nous donnons aujourd’hui l’opportunité aux partis du gouvernement de prouver qu’ils sont des députés de la nation et non des députés du gouvernement».
Un test démocratique crucial pour les institutions
Au-delà des lectures des uns et des autres, Abdelhadi Briouig estime que cette situation révèle une faiblesse structurelle du système politique marocain. Malgré une Constitution qui prévoit des mécanismes de contrôle parlementaire robustes, la pratique révèle des difficultés d’application. «La démocratie authentique ne craint pas la responsabilité, elle en fait même une condition de sa continuité», écrit-il.Il est significatif de noter que, comme le rappelle Mustapha Ramid, aucune commission d’enquête n’a été créée depuis l’adoption de la Constitution de 2011, alors que selon Meryem Blial, «nous avons eu 9 missions exploratoires durant la législature actuelle», un contraste qui illustre à l’évidence la préférence pour des mécanismes de contrôle aux pouvoirs plus limités.
Driss Sentissi rappelle que «ce qui nous importe en tant qu’opposition, ce n’est pas de faire tomber le gouvernement. Dès le début de cette législature, nous avons affirmé que la réussite de l’Excutif était celle du pays.» Pour lui, «ce qui importe le plus, ce sont les réponses concrètes du gouvernement aux questions que nous avons posées sur des sujets essentiels comme le cheptel, les amendements rejetés, le Plan Maroc Vert, le Plan Halieutis, la question des carburants et, plus globalement, l’exercice du contrôle parlementaire».
Une issue incertaine aux implications durables
Compte des considérations politiques en jeu et de la configuration actuelle du Parlement, l’issue de ce bras de fer institutionnel demeure incertaine. Pour que la commission d’enquête voie le jour, l’opposition devrait convaincre plusieurs dizaines de députés de la majorité de soutenir son initiative, un scénario peu probable dans le contexte actuel de discipline partisane. Mais qu’il y ait commission d’enquête ou pas, l’opposition aura gagné le pari de mettre l’Exécutif devant ses responsabilités. C’est ce que résume d’ailleurs Nabil Benabdallah à travers un expression populaire marocaine : «Lli ma fi kerchou lâjina ma ândou âalach yekhaf» (celui qui n’a pas de pâte dans le ventre n’a pas de raison d’avoir peur). Il poursuit : «Si le gouvernement est véritablement convaincu que son soutien aux importateurs de bétail n’est entaché d’aucune irrégularité, pourquoi fuit-il la commission d’enquête ? La commission, comme son nom l’indique, ne vise qu’à établir la vérité. Pourquoi le gouvernement craint-il la vérité ?».Abdelhadi Briouig est encore plus explicite dans son analyse : «Ce qui s’est passé à la Chambre des représentants n’est pas une simple divergence technique sur un mécanisme de contrôle, mais un indicateur grave de l’érosion de la confiance entre le gouvernement, le Parlement et les citoyens.» Un constat qui pose la question fondamentale de l’avenir du contrôle démocratique au Maroc.