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Inondations meurtrières à Safi : climat, infrastructures et vulnérabilité, les trois causes du drame

Les pluies torrentielles qui ont frappé Safi, faisant au moins 37 morts, ne relèvent ni du hasard ni de la seule fatalité climatique. Pour Mohamed Jalil, expert en ressources en eau et en changement climatique, la catastrophe résulte de la convergence de trois facteurs majeurs : un aléa climatique amplifié, des infrastructures défaillantes et une forte vulnérabilité territoriale et humaine.

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Le drame survenu à Safi dans la nuit de samedi à dimanche a ravivé les interrogations sur le lien entre changement climatique et catastrophes naturelles. Mais pour Mohamed Jalil, secrétaire général de la Fédération marocaine du conseil et de l’ingénierie, réduire cette tragédie à une simple conséquence du dérèglement climatique serait une erreur d’analyse. «Le risque n’est jamais uniquement l’aléa», insiste-t-il. «Il est le résultat de l’aléa, combiné à la sensibilité des systèmes et à la vulnérabilité des territoires.»

Un aléa climatique amplifié, mais pas déclencheur unique

Les fortes précipitations enregistrées à Safi s’inscrivent dans une tendance désormais bien documentée. Le Maroc connaît une baisse des précipitations annuelles moyennes, mais une hausse des épisodes pluvieux courts, violents et très localisés. Cette évolution est directement liée au changement climatique, qui modifie la dynamique atmosphérique et favorise les foyers orageux au détriment des perturbations hivernales classiques. Pour autant, rappelle Mohamed Jalil, le changement climatique ne «provoque» pas les catastrophes. Il agit comme un multiplicateur de menaces, rendant les événements extrêmes plus intenses et plus fréquents. «Il ajoute de la gravité à des situations déjà fragiles», explique-t-il. Autrement dit, l’aléa climatique existe, mais il ne devient catastrophe que lorsqu’il frappe des systèmes incapables d’y résister.

Des infrastructures d’assainissement à bout de souffle

À Safi, les pluies ont rencontré un réseau d’assainissement pluvial largement inadapté. Vétusté des canalisations, manque d’entretien, absence de curage régulier des points noirs : autant de faiblesses structurelles qui ont empêché l’évacuation rapide des eaux. L’expert rappelle que les inondations urbaines ne sont jamais le simple produit de la pluie. Elles résultent d’une interaction entre l’intensité des précipitations, la capacité des réseaux et la configuration du terrain. Dans le cas de Safi, ville partiellement située en point bas et exposée à une possible interaction entre pluie intense et état de la mer, les conditions étaient réunies pour un débordement rapide.



Plus largement, Mohamed Jalil met en garde contre des réseaux dimensionnés selon des normes devenues obsolètes. Les infrastructures ont été conçues sur la base de cycles climatiques qui ont profondément changé. «Aujourd’hui, des événements autrefois décennaux deviennent beaucoup plus fréquents», observe-t-il, posant la question d’un nécessaire réajustement des standards techniques.

Une vulnérabilité territoriale et humaine sous-estimée

Le troisième facteur, souvent passé sous silence, est celui de la vulnérabilité. La catastrophe a touché des quartiers anciens et densément peuplés, où les conditions sociales, la qualité du bâti et l’exposition au risque accentuent les conséquences des aléas naturels. Pour Mohamed Jalil, la vulnérabilité est aussi le produit de choix d’aménagement du territoire. Urbanisation de zones inondables, disparition de bassins de rétention, pression foncière et relâchement des règles d’urbanisme ont progressivement réduit la résilience des villes. «On a parfois construit là où il ne fallait pas construire», regrette-t-il, dénonçant une forme d’amnésie collective face aux risques naturels. À cela s’ajoute un déficit de gouvernance opérationnelle. Si les bulletins d’alerte météorologique ont été diffusés, leur exploitation reste largement réactive. Or, insiste l’expert, la responsabilité humaine commence précisément là : dans l’anticipation, la coordination des acteurs et la capacité à agir avant que le drame ne survienne.

Repenser la gestion du risque à l’échelle des territoires

Au-delà de Safi, Mohamed Jalil appelle à un changement profond de paradigme. La gestion de l’eau et des risques climatiques ne peut plus se limiter à la lutte contre la sécheresse ou à la mobilisation de nouvelles ressources. Elle doit intégrer pleinement la prévention des catastrophes, à travers des données fiables, des systèmes d’alerte précoce, des réseaux d’observation pluviométrique et des documents d’urbanisme résilients. «Nous oscillons en permanence entre abondance et pénurie», résume-t-il. Sécheresse et inondations ne s’opposent plus : elles coexistent et se renforcent mutuellement. Faute d’une approche intégrée, territorialisée et anticipative, les épisodes extrêmes continueront de se transformer en drames humains.
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