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93e AG d'Interpol : les contours de la sécurité mondiale et de la police de demain se dessinent à Marrakech

Marrakech accueille depuis lundi 24 novembre 2025 la 93e Assemblée générale d'Interpol, un conclave rassemblant 181 pays, plus de 1.000 délégués, dont 25 ministres et 82 chefs de police. Durant quatre jours, l'instance dirigeante suprême de l'Organisation internationale de police criminelle s’attelle à l’examen des grandes orientations stratégiques en vue de l’adoption d’un plan quinquennal ambitieux à la hauteur des menaces transnationales. Le président Ahmed Naser Al-Raisi a dressé le bilan d'un mandat marqué par une transformation profonde, tandis que Abdellatif Hammouchi a réaffirmé la philosophie marocaine d'une «sécurité collective indivisible». Cette édition se distingue par ailleurs par le lancement d'outils technologiques révolutionnaires, dont NEXUS et le premier dispositif d'intelligence artificielle destiné aux forces de l'ordre mondiales.

Cela fait plus d'un siècle que les autorités policières du monde entier se réunissent annuellement pour échanger et se concerter sur les meilleurs moyens de renforcer leur coopération face aux défis sécuritaires transfrontaliers. Cette volonté commune trouve son expression dans l'Assemblée générale, instance dirigeante suprême de l'Organisation internationale de police criminelle (OIPC-Interpol), composée de représentants de chacun des 196 pays membres. Chaque session dure quatre jours et se conclut par la remise symbolique du drapeau d'Interpol au pays organisateur de l'édition suivante.

Il y a exactement un an, à l'issue de la 92e session tenue du 4 au 7 novembre à Glasgow, en Écosse, ce drapeau était remis au directeur général de la Sûreté nationale et de la Surveillance du territoire, Abdellatif Hammouchi, chef de la délégation marocaine. Un an après, ce lundi 24 novembre 2025, la ville ocre de Marrakech a ouvert ses portes aux travaux de la 93e Assemblée générale dans une atmosphère empreinte de solennité et de communion. Une manifestation exceptionnelle dont les travaux vont se poursuivre à huis clos jusqu’au 27 novembre 2025.



La cérémonie d'ouverture a respecté le rituel habituel tout en y apportant une touche marocaine distinctive. Sous les accents de l'orchestre impeccablement rodé de la DGSN, deux drapeaux marocains encadrant le drapeau officiel d'Interpol ont traversé la grande salle accueillant plus d’un millier de délégués avant de prendre place sur l'estrade. L'hymne national du Royaume a été magistralement entonné par l'artiste marocaine Nabyla Abdallaoui Maân, avant que le même orchestre exécute l'hymne d'Interpol. Fidèle à la tradition, l'assemblée a observé une minute de silence à la mémoire des officiers de police tombés en service, moment de recueillement précédant les allocutions des dirigeants.

Une mobilisation internationale sans précédent

La 93e Assemblée générale d'Interpol est exceptionnelle à plus d’un égard. Les chiffres témoignent de l'ampleur de la mobilisation. Quelque 181 pays ont dépêché leurs représentants, portant à plus de 1.000 le nombre de délégués présents. Parmi eux figurent 25 ministres et vice-ministres, ainsi que 82 chefs de police, faisant de cet événement le plus grand rassemblement mondial de responsables chargés de l'application de la loi.

Durant ces quatre journées, les délégués examineront les priorités stratégiques des services d'application de la loi : cybercriminalité, lutte contre les organisations criminelles, criminalité organisée et émergente. Le programme d’activités d’Interpol et son nouveau cadre stratégique leur seront présentés, de même qu’ils seront informés de l’avancement du projet pilote Silver Notice.

L'Assemblée générale, qui définira par ailleurs les politiques et activités de l'Organisation, validera le plan d'action stratégique et la politique budgétaire pour les années à venir et procédera à l'élection des membres du Comité exécutif, y compris un nouveau président, vu que leurs mandats respectifs arrivent à leur terme. Chaque pays membre dispose d'une voix, et les décisions sont prises à la majorité simple ou aux deux tiers selon les sujets abordés.

Abdellatif Hammouchi : «La sécurité est un bien commun et une responsabilité partagée»

Dans son allocution d'ouverture, le directeur général de la Sûreté nationale, Abdellatif Hammouchi, a placé son intervention sous le signe de la continuité et du renouvellement. «Nous nous retrouvons aujourd'hui tous ensemble sur la terre du Royaume du Maroc, dans la belle ville de Marrakech, qui ouvre ses espaces pour la deuxième fois pour accueillir les travaux de l'Assemblée générale d'Interpol», a-t-il rappelé, évoquant la précédente édition de 2007 qui portait le slogan «Le chemin vers l'avenir pour l'Interpol du futur».

Le responsable marocain a exposé la philosophie sécuritaire du Royaume, dont la vision s’inspire des Hautes Instructions Royales. «Sa Majesté le Roi Mohammed VI considère la sécurité comme un bien commun et une responsabilité partagée qui ne peut être préservée et maintenue qu'à travers le renforcement de la coopération institutionnelle et des partenariats sociétaux, d'une part, et le renforcement de la coopération et de la solidarité internationales, d'autre part», a-t-il expliqué. Cette vision se traduit par une stratégie sécuritaire intégrée où «la préservation de la sécurité ne peut être dissociée du respect des droits de l'Homme, et où le travail policier ne s'oppose pas à la communication sécuritaire». M. Hammouchi a insisté sur le fait que «la principale mission est d’être au service de la patrie et du citoyen, garantissant sa sécurité et sa sûreté».

Et face aux défis contemporains, le DGSN a rappelé un constat des plus lucides. «Les défis sécuritaires dépassent désormais les frontières nationales en raison de l'expansion des structures criminelles virtuelles, de l'interconnexion des entités et réseaux criminels, et de l'émergence de pôles terroristes régionaux», a-t-il fait observer. Ces menaces imposent, selon lui, «la création de structures sécuritaires communes et indivisibles auxquelles contribuent les agences de sécurité et les services de l'autorité nationale, en coopération étroite et en coordination serrée avec Interpol et l'ensemble des organisations régionales concernées».
Dans cette optique, M. Hammouchi a salué l'ordre du jour de cette Assemblée générale, notamment l'attention portée à la cybercriminalité. «La cybercriminalité est devenue aujourd'hui une forme de guerre hybride visant à saper les États et à déstabiliser leur sécurité et leur stabilité», a-t-il affirmé. Il a également souligné l'importance accordée au rôle des femmes dans le travail policier, un rôle qu'il a qualifié de «remarquable, consacrant l'approche genre dans le travail sécuritaire, surtout au vu des grands succès dont les femmes policières ont été les artisanes dans les pratiques opérationnelles et scientifiques, même dans les situations les plus complexes et dangereuses».

Ahmed Naser Al-Raisi dresse le bilan d'un mandat de transformation

Pour sa part, le président sortant de l’organisation, le général-major Ahmed Naser Al-Raisi, a dressé un bilan impressionnant de son mandat qui a débuté en 2021 à Istanbul. «Depuis que j'ai assumé mes responsabilités en tant que président de l'Organisation, je me suis engagé à moderniser le système de travail, à adopter les technologies les plus récentes dans les opérations d'Interpol, à renforcer les mécanismes d'échange d'informations et à élever le niveau de confiance entre les pays membres», a-t-il déclaré devant l'Assemblée. Les résultats de cette stratégie dépassent les attentes initiales. Plus de 200 opérations transfrontalières ont été coordonnées à travers le monde, aboutissant à la saisie de drogues illicites et de véhicules volés d'une valeur dépassant 17,3 milliards de dollars. Les notices d'extradition émises pour avoirs volés représentent quant à elles 19 milliards de dollars. «Ce ne sont pas de simples chiffres, mais des vies que nous avons protégées et des réseaux criminels dont nous avons arrêté les activités et démantelé les structures», a souligné le président d'Interpol.

L'un des acquis majeurs de ce mandat concerne la diversité géographique au sein de l'Organisation. «Lorsque j'ai pris mes fonctions, le personnel de l'Organisation comptait 1.000 employés provenant de 115 pays, soit environ un tiers des pays membres, sans aucune représentation parmi les cadres de l'Organisation», a rappelé M. Al-Raisi. Cette lacune a été comblée de manière spectaculaire : la représentation est passée de 115 à 141 pays, soit une augmentation de 28% en quatre ans seulement. L'Afrique a vu sa représentation croître de 46%, les Amériques de 43%, l'Asie-Pacifique de 34% et l'Europe de 12%.

Cette transformation s'accompagne d'une révolution technologique. Les recherches dans les bases de données ont doublé pour atteindre 7,8 milliards d'opérations annuelles. Le système I-CORE, plateforme numérique unifiée, simplifie les procédures internes et facilite la coopération policière. «C'est la première fois que les réunions de l'Assemblée générale sont entièrement numériques, tous les documents étant disponibles sur une application dédiée et sur un site web sécurisé», s'est félicité M. Al-Raisi.

NEXUS et intelligence artificielle au service de la lutte anticriminelle

Pour sa part, le secrétaire général d'Interpol, Valdecy Urquiza, a tenu à exprimer sa gratitude envers le Maroc : «Nous sommes extrêmement reconnaissants aux autorités marocaines, en particulier à Son Excellence le directeur Hammouchi, pour le soutien précieux qu'elles ont apporté à Interpol – non seulement en accueillant cette Assemblée générale, mais aussi en tant que pays membre très actif et très engagé dans nos activités». Il a par ailleurs dévoilé, dans une déclaration à l’issue de la cérémonie d’ouverture, les innovations technologiques majeures qui seront lancées durant cette Assemblée générale. «Nous allons lancer NEXUS, un outil de nouvelle génération permettant aux pays membres d'échanger des informations en temps réel et de partager toutes les données nécessaires pour renforcer la coopération contre le crime organisé», a-t-il annoncé.

Mais la véritable révolution concerne l'intelligence artificielle. «Nous lancerons également aujourd'hui le premier outil basé sur l'intelligence artificielle destiné aux forces de l'ordre, permettant à toute la communauté policière d'accéder à un dispositif d'aide à l'analyse des données, à la préparation d'analyses criminelles et au soutien des enquêtes quotidiennes», a précisé M. Urquiza. Ces innovations s'inscrivent dans la continuité des efforts menés par le Centre d'innovation de Singapour, dont on célèbre cette année le dixième anniversaire. «Ce centre est un pilier fondamental du leadership de l'Organisation dans le domaine de l'innovation cybernétique et numérique au niveau mondial», a souligné M. Al-Raisi dans son allocution.

Une stratégie quinquennale pour l'avenir

Au-delà des bilans, cette Assemblée générale doit adopter un plan stratégique pour les cinq prochaines années. «Nous avons travaillé dur avec les collègues du Comité exécutif et le secrétaire général actuel et précédent pour créer cette transformation révolutionnaire au niveau de l'Organisation», a déclaré M. Al-Raisi, ajoutant avoir «toute confiance qu'ils continueront d'avancer selon cette trajectoire».

Ce plan intégrera l'intelligence artificielle, la transformation numérique et l'utilisation des technologies les plus récentes. Il s'accompagnera d'un renforcement de la gouvernance, avec pour la première fois un rapport de suivi de l'application des résolutions adoptées lors des précédentes Assemblées. «Pour la première fois, sera présenté un rapport montrant les progrès dans la mise en œuvre de ces décisions au cours des années précédentes, incluant les défis et les taux d'achèvement», a précisé le président d'Interpol. Parmi les dossiers prioritaires figurent l'encouragement à la ratification de la Convention des Nations unies contre la cybercriminalité, le renforcement des capacités policières mondiales et la promotion accrue des femmes dans les forces de police. La Silver Notice, dont le déploiement effectif a permis la récupération de plus de 2,5 milliards de dollars d'avoirs criminels, servira de modèle pour de nouvelles initiatives.

Il va sans dire que les quatre journées de travaux qui s'ouvrent à Marrakech constituent plus qu’une simple formalité statutaire. Elles dessinent les contours de la coopération policière mondiale pour les années à venir, dans un contexte où, comme l'a rappelé M. Hammouchi, «le crime organisé et l'extrémisme violent se moquent des frontières». Face à ces menaces globales, l'Assemblée générale d'Interpol réaffirme que seule une réponse collective, coordonnée et technologiquement avancée permettra de garantir «un monde plus sûr» pour les générations futures.
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