Avant d’expliquer les raisons de la décision de la Cour Constitutionnelle, rappelons les enjeux de cette loi et son impact judiciaire et sociétal. Dans l’arsenal juridique de tout pays, il y a les lois qui régissent les différents domaines de la société. Il en est ainsi du Code du travail qui va traiter des questions de l’emploi et des licenciements, etc. Le Code de la famille qui régit les questions de mariage, de divorce, de garde des enfants, de filiation, d’héritage, etc. Le Code civil qui traite des transactions entre particuliers comme la location, la procuration, la responsabilité en cas de provocation d’un dommage à autrui... Le Code pénal qui régit les délits et crimes, punis généralement par des peines privatives de liberté ou des peines alternatives.
Tous ces codes et lois, si une partie prenante ne les respecte pas et pour être exécutés, doivent être portés devant un tribunal et soumis à un juge ou un jury (plusieurs juges) selon les cas. Les règles qui régissent l’accès aux tribunaux, les délais, les formes d’introduction d’une plainte, les conditions à respecter, les degrés de pourvoi (appel – cassation) etc. sont appelées Code de procédure. Ces lois ne contiennent pas les règles de droit. Elles contiennent juste la manière de faire valoir ces droits devant une instance judiciaire. Le Code de procédure va donc identifier les acteurs de la justice : avocats – huissiers de justice – experts judiciaires – juges - greffiers – etc.
Signalons que bien qu’il y ait plusieurs textes de lois qui traitent de moults sujets, comme le Code de l’aviation, la loi sur la propriété intellectuelle ou la loi sur l’urbanisme, il n’y a que deux Codes de procédure : le Code de procédure civile qui va réglementer les questions liées à des intérêts privés et le Code de procédure pénale qui va réglementer les questions liées aux infractions pénales et où il y a aux côtés de la victime directe, la société dans son ensemble qui subit un trouble. Un vol par exemple cause un dommage à la personne dépouillée mais cause également un trouble à la société, d’où l’intervention du ministère public (ou procureur du Roi) qui représente la société, poursuit le délinquant et plaide en qualité de parquet devant le juge.
Pour être plus précis, il existe un Code de procédure militaire qui s’applique au personnel des FAR. Par ailleurs, l’organisation judiciaire du Royaume a prévu des tribunaux spécialisés comme les tribunaux de commerce ou les tribunaux de la famille.
Le Code de procédure civile a suivi un parcours législatif depuis le conseil de gouvernement du 24 août 2023, jusqu’au 8 juillet 2025, date de son approbation définitive par la Chambre des conseillers. Nous n’allons pas nous étaler sur les péripéties qu’a connu l’examen de ce Code, contesté vigoureusement par les avocats, avant d’arriver à un compromis avec le Ministre de la Justice, leur donnant gain de cause sur des points d’achoppement, notamment l’annulation d’une disposition qui permettait au justiciable de se passer d’avocat devant un tribunal et de restreindre la possibilité de faire appel quand l’enjeu du procès est inférieur à un montant donné. Sur ce dernier point, le jugement en premier et dernier ressort est définitif sir la somme en jeu est inférieure ou égale à 10.000,00 dirhams.
Dans le but de garantir la conformité de toutes les lois et tous les règlements à la Constitution, il y a dans tous les pays, une instance suprême, composée de magistrats compétents, qui veille à s’assurer de la conformité de ces textes avec la Constitution, soit avant leur promulgation (c’est-à-dire entrée en vigueur) comme c’est le cas pour le Code de procédure civile, soit après leur promulgation. Les membres de cette Cour sont au nombre de douze. 6 sont nommés par SM Le Roi, 3 élus par la Chambre des représentants et 3 par la Chambre des conseiller. Pour illustrer l’importance de cette instance, rappelons-nous le cas de la désignation des membres de la Cour suprême aux USA et la polémique qu’elle avait soulevées dans le temps.
La Cour a considéré qu’une dizaine d’articles sur les 644 articles du Code, étaient contraires à la Constitution et a demandé de les revoir dans le sens d’éliminer les dispositions qui contredisent la Constitution.
La sécurité juridique : l’article 17 stipule : « Le ministère public compétent peut, même s’il n’est pas partie à l’affaire et sans être soumis aux délais de recours (...), demander l’annulation de toute décision judiciaire contraire à l’ordre public, dans un délai de cinq ans à compter de la date à laquelle la décision devient définitive ». La cour a considéré que cet alinéa viole la Constitution. Elle lui reproche son caractère général qui n’énonce pas de cas précis permettant au Ministère public de demander l’annulation d’une décision judiciaire définitive (on dit dans le jargon judiciaire, passée en force de chose jugée). La Cour a fait la part des choses entre une décision de justice qui aurait été rendue mais qui violerait l’ordre public (par exemple une condamnation à payer une dette qui est en réalité une dette de jeu) et la sécurité juridique, car une annulation après 5 ans d’une décision de justice, qui a pu être exécutée entre temps, entamerait la confiance dans la justice, vu que toute personne serait sous le coup d’une possible annulation d’une décision de justice rendue en sa faveur. On peut aller plus loin et regarder cette question sous l’angle de la garantie aux investisseurs.
La garantie des droits de la défense : L’alinéa 4 de l’article 84 stipule qu’il est permis à la personne chargée de la notification (ou huissier de justice), lorsqu’elle ne trouve pas la personne à notifier à son domicile réel ou élu, ou à son lieu de résidence, de remettre la convocation à celui qui prouve être son mandataire, ou qui agit pour son compte ou le déclare, ou à toute personne résidant avec elle, époux, parent ou allié, dont l’apparence indique qu’elle a atteint l’âge de seize ans, à condition que l’intérêt de la personne concernée par la notification ne soit pas en conflit avec le leur.
La Cour Constitutionnelle a tiqué sur le mot « apparence » et considère que la formulation proposée, en plus de permettre la remise valide de la convocation sur la base du doute et de la supposition et non sur la certitude, fait peser sur la personne chargée de la notification, qui est pourtant destinataire de la règle de droit, la charge d’agir dans des situations dont la détermination n’appartient qu’à la loi, et porte atteinte à la confiance légitime de ceux auxquels la notification est destinée dans l’application de règles que seul le législateur a compétence à définir, afin de garantir leurs droits à un procès équitable. La Cour, consciente des enjeux d’une notification viciée et de ses conséquences, a rejeté en demandant sa révision, ce paragraphe.
L’obligation de formuler avec précision les modalités des audiences tenues à distance : L’article 90 (dernier alinéa) dispose que : « Les parties ou leurs représentants assistent aux audiences tenues en présentiel ou à distance, sur ordre du tribunal, à la date et à l’heure fixées dans la convocation. Elles assistent de la même manière aux audiences ultérieures dont elles ont été informées oralement par le tribunal. » ;
La cour estime toutefois que, s’il appartient au législateur, selon son pouvoir d’appréciation, d’organiser la présence des parties ou de leurs représentants lors des audiences à distance dans le but de renforcer la qualité du service public de la justice, la garantie des droits de la défense et le principe de publicité des audiences exigent, dans ce cas et de manière particulière, l’énoncé de dispositions expresses garantissant l’accord de la partie concernée pour sa présence à distance, la communication simultanée et bilatérale entre le tribunal et le lieu de présence de la partie concernée, ainsi que la sécurité, l’intégrité et la confidentialité des données transmises, y compris la sécurité de l’échange des moyens de preuve, de documents et des autres pièces du dossier, l’organisation des cas d’interruption de la communication à distance et le retour à la modalité présentielle ;
Et considérant que la formulation du dernier alinéa de l’article 90 soumis à examen s’est contentée de prévoir la possibilité pour les parties ou leurs représentants d’être présents aux audiences tenues à distance, sans préciser les conditions, procédures et garanties susmentionnées, ce qui ne répond pas aux conditions du juste procès dans le cas d’espèce, par conséquent, le dernier alinéa de l’article 90 n’est pas conforme à la Constitution.
La consécration du droit de répliquer : Les articles 107 (dernier alinéa) et 364 (dernier alinéa),
disposent respectivement que : « Les parties ont le droit d’obtenir une copie des conclusions du commissaire royal chargé de la défense de la loi et du droit, sans pouvoir y répondre. » et que : « Les parties, leur défense ou leurs mandataires ont le droit d’obtenir une copie des conclusions du commissaire royal chargé de la défense de la loi et du droit, sans pouvoir y répondre. » ;
Étant donné toutefois, que le commissaire royal chargé de la défense de la loi et du droit, bien qu’il ne soit pas une partie au litige administratif et n’émette qu’un avis juridique neutre et indépendant, il se peut que les parties aient des observations sur ce qu’elles considèrent comme une influence de ses conclusions sur le litige. Par conséquent, le fait de rendre ses conclusions insusceptibles de tout commentaire, tel que mentionné dans les dispositions proposées, constitue une restriction injustifiée au droit de la défense ; ne garantit pas l’égalité des moyens de défense entre les parties au litige, rendant ainsi ces dispositions non conformes au dernier alinéa de l’article 120 de la Constitution ;
L’obligation de motiver toute décision judiciaire prise : L’alinéa 2 de l’article 339 stipule : « La décision doit être motivée en cas de rejet de la demande. »
Or, l’article 125 de la Constitution impose que « les jugements doivent être motivés... » de façon absolue, sans admettre aucune exception, et confie à la loi le soin d’en fixer uniquement les conditions, sans instaurer aucune dérogation au principe général. Cet alinéa exonère le juge de motiver sa décision en cas d’acceptation de la demande. De ce fait, ledit alinéa n’est pas conforme à la Constitution.
La consécration de la séparation des pouvoirs - Le Ministre de la Justice en tant que membre du pouvoir exécutif, n’est pas habilité à porter devant la Cour de cassation une décision de justice : Dans les deux premiers alinéas des articles 408 et 410, il est stipulé respectivement que : « Le Ministre de la Justice ou le Procureur Général du Roi près la Cour de Cassation peuvent soumettre à cette Cour les décisions dans lesquelles les juges auraient pu outrepasser leurs pouvoirs », et que : « Le Ministre de la Justice ou le Procureur Général du Roi près la Cour de Cassation peuvent soumettre une demande de dessaisissement pour suspicion légitime devant cette Cour en l’absence d’une demande sur le fond présentée par les parties. »
Considérant qu’en se référant à la Constitution, il y est prévu que « Le système constitutionnel du Royaume est fondé sur la séparation des pouvoirs... » et au premier alinéa de l’article 107 : « Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. », il ressort des dispositions constitutionnelles et des lois organiques citées, en relation avec les deux alinéas concernés, que le ministre chargé de la Justice est membre du gouvernement qui exerce le pouvoir exécutif, tandis que le pouvoir judiciaire est indépendant de celui-ci. Dès lors, l’indépendance du pouvoir judiciaire, garantie par la Constitution, implique que les compétences relatives à la bonne administration des affaires ne peuvent, en matière d’organisation procédurale des litiges soumis à la procédure civile, être attribuées qu’à ceux qui exercent le pouvoir judiciaire, à l’exclusion de toute autre autorité.
Par conséquent, les deux premiers alinéas des articles 408 et 410 sont contraires à la Constitution en ce qu’ils accordent au ministre chargé de la Justice le droit de présenter une demande de dessaisissement pour suspicion d’excès de pouvoir des juges ou pour suspicion légitime.
Le ministère de la justice ne doit pas avoir d’emprise sur le système d’information régissant le fonctionnement des tribunaux et l’enrôlement des affaires : l’alinéa 2 de l’article 624, ainsi que les alinéas 3 et final de l’article 628, disposent respectivement : « L’autorité gouvernementale chargée de la justice gère ce système d’information et tient la base de données y afférente, en coordination avec le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire et la Présidence du ministère public. », et : « Les affaires sont enregistrées dans l’ordre séquentiel de leur réception dans le registre électronique prévu à cet effet par le système d’information, lequel désigne immédiatement, par voie électronique, le juge, le conseiller rapporteur ou le juge chargé, selon le cas, comme responsable de la préparation du dossier qui lui est attribué. », ainsi que : « Le président du tribunal, ou son suppléant, peut, via le système d’information, changer le juge, le conseiller rapporteur ou le juge chargé, selon le cas, désigné conformément aux dispositions de l’alinéa 3 ci-dessus » ;
Considérant que la bonne administration judiciaire relève de l’intérêt général, et que les affaires judiciaires ne constituent pas un sujet de coordination entre les pouvoirs exécutif et judiciaire, mais relèvent exclusivement de ce dernier, exercées par les magistrats du siège et le ministère public, sans intervention des pouvoirs exécutif ni législatif ;
Considérant qu’il est admis que la désignation, par le système d’information, de façon automatique, des juges, des conseillers rapporteurs ou des juges chargés des affaires, ou la modification de cette désignation par le président du tribunal via le système d’information, lorsque ce système est géré uniquement par l’autorité judiciaire, relève de la bonne administration judiciaire, renforce les garanties d’impartialité et d’indépendance du tribunal et assure les droits consacrés à l’article 120 de la Constitution.
Ainsi, effectuer cette opération dans un système d’information géré par l’autorité gouvernementale chargée de la justice, détenant la base de données en coordination avec le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire et la Présidence du ministère public, se limite à une fonction de « coordination » dans ce domaine, contrevient au principe de séparation des pouvoirs et à l’indépendance du pouvoir judiciaire, consacrés aux articles premier et 107 de la Constitution, car l’activité judiciaire dans son ensemble relève exclusivement de l’autorité judiciaire, à laquelle il revient seule la gestion de ce système, sans que cela empêche, selon l’appréciation du législateur, la possibilité de coordination avec l’autorité gouvernementale chargée de la justice à propos dudit système, dans le cadre de la coopération entre les pouvoirs ;
Par conséquent, il résulte de ce qui précède, que l’alinéa 2 de l’article 624 et les alinéas 3 et final de l’article 628 sont contraires à la Constitution.
Comme conséquence de ce renvoi, le Maroc restera sous le coup de l’actuel Code de procédure civile et le circuit législatif va reprendre. Certes, il devrait être allégé puisque de facto la Cour constitutionnelle a validé les 634 autres articles. Mais le texte repassera devant la Chambre des représentants et la Chambre des conseillers et sera, encore une fois, soumis à la Cour constitutionnelle qui pourrait, fait très rare, considérer certaines des dispositions des dix articles rejetés, non-conformes à la Constitution.
Attendons maintenait ce que décidera cette même Cour sur le Code de procédure pénale qui a fait couler, de son côté, bien plus d’encre !
Tous ces codes et lois, si une partie prenante ne les respecte pas et pour être exécutés, doivent être portés devant un tribunal et soumis à un juge ou un jury (plusieurs juges) selon les cas. Les règles qui régissent l’accès aux tribunaux, les délais, les formes d’introduction d’une plainte, les conditions à respecter, les degrés de pourvoi (appel – cassation) etc. sont appelées Code de procédure. Ces lois ne contiennent pas les règles de droit. Elles contiennent juste la manière de faire valoir ces droits devant une instance judiciaire. Le Code de procédure va donc identifier les acteurs de la justice : avocats – huissiers de justice – experts judiciaires – juges - greffiers – etc.
Signalons que bien qu’il y ait plusieurs textes de lois qui traitent de moults sujets, comme le Code de l’aviation, la loi sur la propriété intellectuelle ou la loi sur l’urbanisme, il n’y a que deux Codes de procédure : le Code de procédure civile qui va réglementer les questions liées à des intérêts privés et le Code de procédure pénale qui va réglementer les questions liées aux infractions pénales et où il y a aux côtés de la victime directe, la société dans son ensemble qui subit un trouble. Un vol par exemple cause un dommage à la personne dépouillée mais cause également un trouble à la société, d’où l’intervention du ministère public (ou procureur du Roi) qui représente la société, poursuit le délinquant et plaide en qualité de parquet devant le juge.
Pour être plus précis, il existe un Code de procédure militaire qui s’applique au personnel des FAR. Par ailleurs, l’organisation judiciaire du Royaume a prévu des tribunaux spécialisés comme les tribunaux de commerce ou les tribunaux de la famille.
Un long parcours législatif
Le Code de procédure civile a suivi un parcours législatif depuis le conseil de gouvernement du 24 août 2023, jusqu’au 8 juillet 2025, date de son approbation définitive par la Chambre des conseillers. Nous n’allons pas nous étaler sur les péripéties qu’a connu l’examen de ce Code, contesté vigoureusement par les avocats, avant d’arriver à un compromis avec le Ministre de la Justice, leur donnant gain de cause sur des points d’achoppement, notamment l’annulation d’une disposition qui permettait au justiciable de se passer d’avocat devant un tribunal et de restreindre la possibilité de faire appel quand l’enjeu du procès est inférieur à un montant donné. Sur ce dernier point, le jugement en premier et dernier ressort est définitif sir la somme en jeu est inférieure ou égale à 10.000,00 dirhams.
Dans le but de garantir la conformité de toutes les lois et tous les règlements à la Constitution, il y a dans tous les pays, une instance suprême, composée de magistrats compétents, qui veille à s’assurer de la conformité de ces textes avec la Constitution, soit avant leur promulgation (c’est-à-dire entrée en vigueur) comme c’est le cas pour le Code de procédure civile, soit après leur promulgation. Les membres de cette Cour sont au nombre de douze. 6 sont nommés par SM Le Roi, 3 élus par la Chambre des représentants et 3 par la Chambre des conseiller. Pour illustrer l’importance de cette instance, rappelons-nous le cas de la désignation des membres de la Cour suprême aux USA et la polémique qu’elle avait soulevées dans le temps.
Ce que reproche la Cour Constitutionnelle au Code de procédure civile
La Cour a considéré qu’une dizaine d’articles sur les 644 articles du Code, étaient contraires à la Constitution et a demandé de les revoir dans le sens d’éliminer les dispositions qui contredisent la Constitution.
La sécurité juridique : l’article 17 stipule : « Le ministère public compétent peut, même s’il n’est pas partie à l’affaire et sans être soumis aux délais de recours (...), demander l’annulation de toute décision judiciaire contraire à l’ordre public, dans un délai de cinq ans à compter de la date à laquelle la décision devient définitive ». La cour a considéré que cet alinéa viole la Constitution. Elle lui reproche son caractère général qui n’énonce pas de cas précis permettant au Ministère public de demander l’annulation d’une décision judiciaire définitive (on dit dans le jargon judiciaire, passée en force de chose jugée). La Cour a fait la part des choses entre une décision de justice qui aurait été rendue mais qui violerait l’ordre public (par exemple une condamnation à payer une dette qui est en réalité une dette de jeu) et la sécurité juridique, car une annulation après 5 ans d’une décision de justice, qui a pu être exécutée entre temps, entamerait la confiance dans la justice, vu que toute personne serait sous le coup d’une possible annulation d’une décision de justice rendue en sa faveur. On peut aller plus loin et regarder cette question sous l’angle de la garantie aux investisseurs.
La garantie des droits de la défense : L’alinéa 4 de l’article 84 stipule qu’il est permis à la personne chargée de la notification (ou huissier de justice), lorsqu’elle ne trouve pas la personne à notifier à son domicile réel ou élu, ou à son lieu de résidence, de remettre la convocation à celui qui prouve être son mandataire, ou qui agit pour son compte ou le déclare, ou à toute personne résidant avec elle, époux, parent ou allié, dont l’apparence indique qu’elle a atteint l’âge de seize ans, à condition que l’intérêt de la personne concernée par la notification ne soit pas en conflit avec le leur.
La Cour Constitutionnelle a tiqué sur le mot « apparence » et considère que la formulation proposée, en plus de permettre la remise valide de la convocation sur la base du doute et de la supposition et non sur la certitude, fait peser sur la personne chargée de la notification, qui est pourtant destinataire de la règle de droit, la charge d’agir dans des situations dont la détermination n’appartient qu’à la loi, et porte atteinte à la confiance légitime de ceux auxquels la notification est destinée dans l’application de règles que seul le législateur a compétence à définir, afin de garantir leurs droits à un procès équitable. La Cour, consciente des enjeux d’une notification viciée et de ses conséquences, a rejeté en demandant sa révision, ce paragraphe.
L’obligation de formuler avec précision les modalités des audiences tenues à distance : L’article 90 (dernier alinéa) dispose que : « Les parties ou leurs représentants assistent aux audiences tenues en présentiel ou à distance, sur ordre du tribunal, à la date et à l’heure fixées dans la convocation. Elles assistent de la même manière aux audiences ultérieures dont elles ont été informées oralement par le tribunal. » ;
La cour estime toutefois que, s’il appartient au législateur, selon son pouvoir d’appréciation, d’organiser la présence des parties ou de leurs représentants lors des audiences à distance dans le but de renforcer la qualité du service public de la justice, la garantie des droits de la défense et le principe de publicité des audiences exigent, dans ce cas et de manière particulière, l’énoncé de dispositions expresses garantissant l’accord de la partie concernée pour sa présence à distance, la communication simultanée et bilatérale entre le tribunal et le lieu de présence de la partie concernée, ainsi que la sécurité, l’intégrité et la confidentialité des données transmises, y compris la sécurité de l’échange des moyens de preuve, de documents et des autres pièces du dossier, l’organisation des cas d’interruption de la communication à distance et le retour à la modalité présentielle ;
Et considérant que la formulation du dernier alinéa de l’article 90 soumis à examen s’est contentée de prévoir la possibilité pour les parties ou leurs représentants d’être présents aux audiences tenues à distance, sans préciser les conditions, procédures et garanties susmentionnées, ce qui ne répond pas aux conditions du juste procès dans le cas d’espèce, par conséquent, le dernier alinéa de l’article 90 n’est pas conforme à la Constitution.
La consécration du droit de répliquer : Les articles 107 (dernier alinéa) et 364 (dernier alinéa),
disposent respectivement que : « Les parties ont le droit d’obtenir une copie des conclusions du commissaire royal chargé de la défense de la loi et du droit, sans pouvoir y répondre. » et que : « Les parties, leur défense ou leurs mandataires ont le droit d’obtenir une copie des conclusions du commissaire royal chargé de la défense de la loi et du droit, sans pouvoir y répondre. » ;
Étant donné toutefois, que le commissaire royal chargé de la défense de la loi et du droit, bien qu’il ne soit pas une partie au litige administratif et n’émette qu’un avis juridique neutre et indépendant, il se peut que les parties aient des observations sur ce qu’elles considèrent comme une influence de ses conclusions sur le litige. Par conséquent, le fait de rendre ses conclusions insusceptibles de tout commentaire, tel que mentionné dans les dispositions proposées, constitue une restriction injustifiée au droit de la défense ; ne garantit pas l’égalité des moyens de défense entre les parties au litige, rendant ainsi ces dispositions non conformes au dernier alinéa de l’article 120 de la Constitution ;
L’obligation de motiver toute décision judiciaire prise : L’alinéa 2 de l’article 339 stipule : « La décision doit être motivée en cas de rejet de la demande. »
Or, l’article 125 de la Constitution impose que « les jugements doivent être motivés... » de façon absolue, sans admettre aucune exception, et confie à la loi le soin d’en fixer uniquement les conditions, sans instaurer aucune dérogation au principe général. Cet alinéa exonère le juge de motiver sa décision en cas d’acceptation de la demande. De ce fait, ledit alinéa n’est pas conforme à la Constitution.
La consécration de la séparation des pouvoirs - Le Ministre de la Justice en tant que membre du pouvoir exécutif, n’est pas habilité à porter devant la Cour de cassation une décision de justice : Dans les deux premiers alinéas des articles 408 et 410, il est stipulé respectivement que : « Le Ministre de la Justice ou le Procureur Général du Roi près la Cour de Cassation peuvent soumettre à cette Cour les décisions dans lesquelles les juges auraient pu outrepasser leurs pouvoirs », et que : « Le Ministre de la Justice ou le Procureur Général du Roi près la Cour de Cassation peuvent soumettre une demande de dessaisissement pour suspicion légitime devant cette Cour en l’absence d’une demande sur le fond présentée par les parties. »
Considérant qu’en se référant à la Constitution, il y est prévu que « Le système constitutionnel du Royaume est fondé sur la séparation des pouvoirs... » et au premier alinéa de l’article 107 : « Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. », il ressort des dispositions constitutionnelles et des lois organiques citées, en relation avec les deux alinéas concernés, que le ministre chargé de la Justice est membre du gouvernement qui exerce le pouvoir exécutif, tandis que le pouvoir judiciaire est indépendant de celui-ci. Dès lors, l’indépendance du pouvoir judiciaire, garantie par la Constitution, implique que les compétences relatives à la bonne administration des affaires ne peuvent, en matière d’organisation procédurale des litiges soumis à la procédure civile, être attribuées qu’à ceux qui exercent le pouvoir judiciaire, à l’exclusion de toute autre autorité.
Par conséquent, les deux premiers alinéas des articles 408 et 410 sont contraires à la Constitution en ce qu’ils accordent au ministre chargé de la Justice le droit de présenter une demande de dessaisissement pour suspicion d’excès de pouvoir des juges ou pour suspicion légitime.
Le ministère de la justice ne doit pas avoir d’emprise sur le système d’information régissant le fonctionnement des tribunaux et l’enrôlement des affaires : l’alinéa 2 de l’article 624, ainsi que les alinéas 3 et final de l’article 628, disposent respectivement : « L’autorité gouvernementale chargée de la justice gère ce système d’information et tient la base de données y afférente, en coordination avec le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire et la Présidence du ministère public. », et : « Les affaires sont enregistrées dans l’ordre séquentiel de leur réception dans le registre électronique prévu à cet effet par le système d’information, lequel désigne immédiatement, par voie électronique, le juge, le conseiller rapporteur ou le juge chargé, selon le cas, comme responsable de la préparation du dossier qui lui est attribué. », ainsi que : « Le président du tribunal, ou son suppléant, peut, via le système d’information, changer le juge, le conseiller rapporteur ou le juge chargé, selon le cas, désigné conformément aux dispositions de l’alinéa 3 ci-dessus » ;
Considérant que la bonne administration judiciaire relève de l’intérêt général, et que les affaires judiciaires ne constituent pas un sujet de coordination entre les pouvoirs exécutif et judiciaire, mais relèvent exclusivement de ce dernier, exercées par les magistrats du siège et le ministère public, sans intervention des pouvoirs exécutif ni législatif ;
Considérant qu’il est admis que la désignation, par le système d’information, de façon automatique, des juges, des conseillers rapporteurs ou des juges chargés des affaires, ou la modification de cette désignation par le président du tribunal via le système d’information, lorsque ce système est géré uniquement par l’autorité judiciaire, relève de la bonne administration judiciaire, renforce les garanties d’impartialité et d’indépendance du tribunal et assure les droits consacrés à l’article 120 de la Constitution.
Ainsi, effectuer cette opération dans un système d’information géré par l’autorité gouvernementale chargée de la justice, détenant la base de données en coordination avec le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire et la Présidence du ministère public, se limite à une fonction de « coordination » dans ce domaine, contrevient au principe de séparation des pouvoirs et à l’indépendance du pouvoir judiciaire, consacrés aux articles premier et 107 de la Constitution, car l’activité judiciaire dans son ensemble relève exclusivement de l’autorité judiciaire, à laquelle il revient seule la gestion de ce système, sans que cela empêche, selon l’appréciation du législateur, la possibilité de coordination avec l’autorité gouvernementale chargée de la justice à propos dudit système, dans le cadre de la coopération entre les pouvoirs ;
Par conséquent, il résulte de ce qui précède, que l’alinéa 2 de l’article 624 et les alinéas 3 et final de l’article 628 sont contraires à la Constitution.
Quelle est la suite ?
Comme conséquence de ce renvoi, le Maroc restera sous le coup de l’actuel Code de procédure civile et le circuit législatif va reprendre. Certes, il devrait être allégé puisque de facto la Cour constitutionnelle a validé les 634 autres articles. Mais le texte repassera devant la Chambre des représentants et la Chambre des conseillers et sera, encore une fois, soumis à la Cour constitutionnelle qui pourrait, fait très rare, considérer certaines des dispositions des dix articles rejetés, non-conformes à la Constitution.
Attendons maintenait ce que décidera cette même Cour sur le Code de procédure pénale qui a fait couler, de son côté, bien plus d’encre !
