Tout commence le mardi 28 octobre à la Chambre des représentants. Le débat parlementaire autour du projet de loi de Finances 2026 bat son plein, quand Ahmed Touizi, président du groupe du Parti authenticité et modernité (PAM), prononce une phrase qui va enflammer la scène médiatique : certaines entreprises, affirme-t-il, «se contentent de moudre du papier» pour capter les subventions destinées à la farine subventionnée. L’expression frappe immédiatement par sa brutalité. L’indignation est immédiate, d’autant que le propos laisse entendre, pris au pied de la lettre, qu’un produit de base consommé massivement par les ménages les plus modestes pourrait être trafiqué à grande échelle. Entre soupçon de fraude sanitaire, accusation de détournement de fonds publics et confusion sur le sens réel du propos, la déclaration fait rapidement le tour des rédactions et des réseaux sociaux.
Face au tollé, M. Touizi publie un communiqué sur sa page Facebook dès le lendemain. Il y affirme que ses propos relevaient d’une métaphore courante dans le dialecte marocain, visant non pas la qualité sanitaire de la farine, mais les manipulations documentaires pratiquées par certaines entreprises pour percevoir indûment l’aide de l’État. Le mal est cependant déjà fait.
Face au tollé, M. Touizi publie un communiqué sur sa page Facebook dès le lendemain. Il y affirme que ses propos relevaient d’une métaphore courante dans le dialecte marocain, visant non pas la qualité sanitaire de la farine, mais les manipulations documentaires pratiquées par certaines entreprises pour percevoir indûment l’aide de l’État. Le mal est cependant déjà fait.
L’écho d’un propos mal maîtrisé
Du côté des professionnels du secteur, la réaction est rapide et ferme. La Fédération nationale des minoteries qualifie les propos d’«infondés» et demande à Ahmed Touizi de produire des preuves ou de retirer publiquement ses accusations. Son président, Abdelkader Alaoui, rappelle que la farine subventionnée est soumise à plusieurs niveaux de contrôle, notamment par les autorités locales et qu’aucune dérive de cette nature n’a jamais été signalée. Des associations de consommateurs vont plus loin et exigent l’ouverture d’une enquête judiciaire. Elles considèrent que même métaphorique, une telle déclaration ne peut rester sans suite, tant les enjeux de santé publique et de confiance citoyenne sont sensibles.
Une communication en crise
Ainsi, la clarification apportée quelques heures plus tard, évoquant une «métaphore populaire» sur la falsification de documents, n’a pas suffi à éteindre l’incendie. Le mal était fait. Pour le Pr Mustapha Elouizi, professeur en linguistique et en communication politique à l’Université Sidi Mohammed Ben Abdellah de Fès, cette affaire ne relève pas simplement d’un malentendu, mais d’un symptôme structurel. «Touizi est un chef de groupe parlementaire. Il représente un parti, donc il est censé communiquer avec clarté, de manière structurée, explique-t-il. Or ce n’est pas le cas. Nos politiciens se placent eux-mêmes dans des situations embarrassantes, parce qu’ils ne maîtrisent pas leur propre parole.» Et de poursuivre : «Si ses propos étaient littéraux, alors il faut une enquête sur un scandale sanitaire. S’ils sont métaphoriques, alors il faut aussi des preuves sur les fausses facturations et des enquêtes judiciaires. Dans les deux cas, le propos engage, et on ne peut pas le laisser suspendu.»
Mais pour le chercheur, la racine du problème est plus ancienne : elle tient à une conception déficiente de la communication politique dans le champ partisan marocain. «La communication politique, chez nous, c’est le parent pauvre de la culture politique. On ne la considère pas comme une compétence stratégique, mais comme un simple prolongement du discours politicien.» Cette faiblesse ne relève pas seulement du manque de formation. Elle est aussi, selon lui, le fruit d’une éducation politique inaboutie. «Il y a une légèreté dans le verbe, une absence de conscience de la portée des mots. On parle, on improvise, mais sans structuration. Et cette improvisation permanente tue la crédibilité de la parole politique.» Au-delà des mots, c’est l’espace même du débat public qui semble figé. «Notre espace public n’a pas encore la maturité suffisante pour permettre une confrontation d’idées réelle. Les médias publics n’ouvrent pas la parole à des opinions divergentes. On invite les mêmes visages, les mêmes profils, qui tiennent les mêmes discours. Il n’y a ni renouvellement des élites, ni pluralité réelle.»
Pour M. Elouizi, cette fermeture systémique a un coût démocratique élevé. «Il n’y a pas de débat public au sens de Jürgen Habermas, avec des acteurs aux positions différenciées, une circulation d’idées, une responsabilité du discours. Nous avons une mise en scène politique, mais pas de réel échange démocratique.» Ainsi, dans ce contexte verrouillé, le recours à des formules populistes ou spectaculaires devient une stratégie de visibilité. Mais elle reste, selon lui, profondément contre-productive : «On sait très bien que beaucoup de partis se taisent pendant tout un mandat, puis ressurgissent dans les mois qui précèdent les élections pour tenter d’exister. Ce sont des gesticulations politiques, mal maîtrisées, qui donnent naissance à un populisme gauche, sans structure ni éthique.»
Pour M. Elouizi, cette fermeture systémique a un coût démocratique élevé. «Il n’y a pas de débat public au sens de Jürgen Habermas, avec des acteurs aux positions différenciées, une circulation d’idées, une responsabilité du discours. Nous avons une mise en scène politique, mais pas de réel échange démocratique.» Ainsi, dans ce contexte verrouillé, le recours à des formules populistes ou spectaculaires devient une stratégie de visibilité. Mais elle reste, selon lui, profondément contre-productive : «On sait très bien que beaucoup de partis se taisent pendant tout un mandat, puis ressurgissent dans les mois qui précèdent les élections pour tenter d’exister. Ce sont des gesticulations politiques, mal maîtrisées, qui donnent naissance à un populisme gauche, sans structure ni éthique.»
L’affaire Touizi illustre parfaitement cette dynamique : un parti de la majorité qui attaque, frontalement et sans précaution, une politique qu’il soutient en Conseil du gouvernement. Une contradiction difficilement tenable. «Quand un responsable politique parle, il engage son parti et, au-delà, le gouvernement auquel il appartient. On ne peut pas se dédouaner à la carte. On ne peut pas être dans l’exécutif et critiquer ses alliés comme si on était dans l’opposition. C’est une rupture d’éthique.» Pour M. Elouizi, cette absence de cohérence est l’un des signes les plus inquiétants de la scène politique actuelle. «Nos partis ne savent plus comment se positionner. Ils ont perdu le sens de la responsabilité collective. Et surtout, ils ont perdu la boussole. La communication politique est devenue le miroir de cette errance.»
L’épisode Touizi n’est donc pas isolé. Il pourrait annoncer une multiplication de sorties du même genre, à mesure que la compétition électorale s’intensifie. Mais ses séquences, à force de brouiller les repères, risquent surtout de fragiliser durablement la confiance des citoyens envers les institutions. Et de décrédibiliser un peu plus un débat public déjà largement confisqué.
L’épisode Touizi n’est donc pas isolé. Il pourrait annoncer une multiplication de sorties du même genre, à mesure que la compétition électorale s’intensifie. Mais ses séquences, à force de brouiller les repères, risquent surtout de fragiliser durablement la confiance des citoyens envers les institutions. Et de décrédibiliser un peu plus un débat public déjà largement confisqué.
