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L’Afrique se mobilise pour une médiation repensée face aux conflits internes

La huitième édition de la Conférence annuelle sur la paix et la sécurité en Afrique (APSACO), organisée par le Policy Center for the New South, a rassemblé experts, praticiens et décideurs pour explorer des stratégies innovantes de médiation dans les conflits internes africains. Avec un accent mis sur la mutualisation des compétences locales, l’inclusivité et la coordination, cette édition 2024 marque une étape importante dans la volonté d’adaptation des processus de médiation aux réalités du terrain.

Policy Center for the New South (PCNS) a accueilli les 10 et 11 juin la huitième édition de l’APSACO, devenue un rendez-vous incontournable pour les questions de paix et de sécurité en Afrique. Placée cette année sous la thématique «La médiation dans les conflits internes africains», la conférence a réuni experts, décideurs politiques et acteurs de terrain autour d’un objectif commun : identifier des pistes concrètes pour une médiation mieux adaptée aux défis contemporains du continent. «Cette conférence s’affirme progressivement comme un rendez-vous incontournable pour le débat sur les questions de sécurité en Afrique, a souligné Abdelhak Bassou du PCNS. Il est essentiel de la positionner parmi ses homologues, à l’instar de l’Africa Economic Symposium et de la Conférence du Dialogue Atlantique, comme des plateformes offrant un espace pour façonner l’image de l’Afrique».

Revisiter la boîte à outils africaine pour une médiation efficace

Dès les premiers échanges, les intervenants ont souligné l’impératif de repenser les mécanismes actuels de médiation, jugés trop souvent inadaptés aux réalités complexes des conflits internes africains. Un enjeu d’autant plus crucial que, comme l’a souligné Rachid El Houdaïgui, responsable de cette édition, «les conflits en Afrique, souvent le résultat de crises constitutionnelles ou de rivalités politiques, se transforment en rébellions armées avec l’émergence d’acteurs tels que les mercenaires et les terroristes». Une escalade qui met à mal les mécanismes de médiation existants, tiraillés entre instances locales, régionales et initiatives onusiennes.

«Les efforts déployés jusqu’à présent n’ont pas permis d’enrayer durablement les foyers de violence et d’instabilité, qu’il s’agisse du Sahel, de la Corne de l’Afrique ou des Grands Lacs», a regretté Jean-Hervé Jezequel de l’International Crisis Group. Plusieurs facteurs explicatifs ont été avancés, parmi lesquels la propension à privilégier les réponses sécuritaires au détriment du dialogue politique, l’imposition de solutions externes déconnectées des contextes locaux ou encore la prédominance d’intérêts nationaux divergents au sein même des instances régionales.

Face à ce constat d’échec relatif, de nombreuses voix se sont élevées pour plaider en faveur d’une «médiation sur mesure», adaptée aux réalités culturelles, historiques et politiques propres à chaque situation de conflit. «Les conflits peuvent être résolus en faisant appel aux ressources internes, comme l’ont démontré par le passé l’intervention décisive des femmes et le recours aux traditions locales de médiation», a rappelé Kabiné Komara, ancien Premier ministre guinéen. «Il est crucial de s’appuyer sur les traditions et les pratiques endogènes de résolution des différends, tout en les hybridant avec des approches contemporaines», a insisté pour sa part Lassina Zerbo, ancien Premier ministre du Burkina Faso.

L’inclusivité et le rôle de la société civile, fer de lance d’une nouvelle ère

Au-delà du cadre méthodologique, les participants ont également insisté sur la nécessité de promouvoir des processus de médiation plus inclusifs, associant davantage la société civile africaine. «Les femmes, les jeunes et les leaders communautaires disposent de précieuses compétences encore trop souvent négligées dans la construction de la paix», a déploré Loredana Teodorescu du Réseau méditerranéen des médiatrices. Le rôle proactif de la société civile a notamment été mis en avant s’agissant des négociations de cessez-le-feu, jalons essentiels mais fragiles dans la résolution des conflits armés. «Leur implication permet de garantir une meilleure appropriation locale des accords de paix, gage de leur pérennité», a expliqué un participant.

Mais au-delà de la société civile, plusieurs intervenants ont également plaidé pour une place renforcée des acteurs au plus près du terrain, à l’image des communautés économiques régionales (CER). Échaudés par des décennies d’ingérence extérieure, de nombreux pays africains se montrent en effet de plus en plus réticents au recours à des médiations pilotées par des organisations internationales.

Coordination, formation et mutualisation : les clés d’une médiation africaine

Si le constat d’une nécessaire réforme des mécanismes de médiation actuels fait donc l’objet d’un consensus large, se pose désormais la question des moyens à mettre en œuvre. La coordination apparaît comme l’un des principaux défis, tant les initiatives se multiplient, parfois de manière concurrente et contre-productive entre acteurs étatiques, régionaux et continentaux. «Le continent souffre d’une forme de congestion, avec une pléthore de médiateurs poursuivant des objectifs parfois divergents. D’où l’importance de définir un cadre permettant d’assurer une réelle complémentarité des efforts», a expliqué Benjamin Traoré de l’Université Polytechnique Mohammed VI.

Dans cette optique, l’Union africaine (UA) aurait un rôle prépondérant à jouer pour mettre en cohérence les différentes initiatives, dans le respect du principe de subsidiarité avec les organisations sous-régionales. Mais au-delà de la coordination, la question des moyens humains et financiers alloués à la médiation a également été soulevée. «Pour garantir des processus de paix viables et durables, nous devons investir massivement dans le renforcement des capacités et la formation de médiateurs africains de haut niveau», a insisté le représentant de l’UA pour l’Afrique de l’Est, Paul-Simon Handy.

Vers une approche panafricaine de la médiation

Mais ce plaidoyer pour davantage de moyens ne saurait occulter la nécessité d’une réflexion de fond sur les contours d’une approche africaine, commune et mutualisée, en matière de médiation. À cet égard, les échanges ont permis de dégager des pistes particulièrement stimulantes. L’idée d’un programme de formation à grande échelle, destiné à diffuser largement les bonnes pratiques et les savoir-faire éprouvés, a reçu un accueil favorable. Une telle initiative pourrait notamment s’appuyer sur le riche patrimoine des pratiques de médiation communautaire existant sur le continent, et qui ont fait leurs preuves par le passé dans la résolution de conflits intercommunautaires ou interethniques. «Ces traditions, loin d’être des vestiges du passé, constituent un socle précieux sur lequel nous devons nous appuyer pour définir les contours d’une médiation africaine», a insisté Rachid El Houdaïgui du PCNS.

«Il est crucial de concevoir des approches hybrides de médiation, combinant visions onusiennes et réalités du terrain, afin de s’adapter aux contextes complexes et mouvants des conflits contemporains», a souligné de son côté Ajay Sethi de l’Unité de soutien à la médiation de l’ONU. Face aux échecs répétés, les regards sont tournés vers les avancées engagées par l’Union africaine pour professionnaliser sa capacité de médiation, comme l’a relevé Paul-Simon Handy : «Aujourd’hui, la médiation est reconnue comme une profession et un processus nécessitant des compétences techniques spécifiques, le charisme ne suffisant pas à lui seul».

Au terme de deux jours de riches discussions, l’APSACO 2024 aura permis de dégager un constat partagé : celui de la nécessité de repenser en profondeur les mécanismes de médiation pour les adapter aux défis contemporains des conflits africains, dans toute leur complexité. Coordination renforcée, inclusion de la société civile, mutualisation des compétences : de multiples pistes de réflexion ont été ouvertes, à même de façonner l’avenir de la médiation sur le continent au cours des années à venir.
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