Menu
Search
Vendredi 12 Décembre 2025
S'abonner
close
Vendredi 12 Décembre 2025
Menu
Search

L’appel Royal lancé aux populations de Tindouf a eu un écho considérable (Mohamed Lamin Ragueb)

Natif de Smara, Mohamed Lamin Ragueb a été enlevé comme des centaines de Marocains sahraouis par des éléments du polisario pour être envoyés dans les camps de Tindouf. Là, il a subi, comme eux, un endoctrinement idéologique systématique présentant le Maroc comme l’ennemi irréductible. Près de 20 ans après, il comprend que l’avenir ne peut se construire que dans la mère-patrie. C’est la fin des illusions savamment entretenues par la propagande du polisario et le régime algérien. De retour au Maroc, il découvre une réalité tout autre. Dans un entretien accordé au «Matin», il revient sur son parcours, son expérience professionnelle mais aussi sur l’évolution de la question du Sahara et les perspectives qu’elle ouvre pour les Saharouis des deux côtés. Selon lui, le Discours Royal du 31 octobre dernier a eu un écho considérable auprès des populations de Tindouf. «Moins de vingt-quatre heures après le discours, plusieurs familles ont franchi le pas du retour, preuve tangible de l’impact direct de la parole Royale. D’autres s’y préparent, dans l’attente de conditions sécurisées pour regagner leur terre natale», affirme-t-il, précisant que la décision de fuir les camps pourrait avoir des conséquences dramatiques si la tentative venait à échouer.

No Image
Le Matin : Pour commencer, comment vous êtes-vous retrouvé à Tindouf ?

Mohamed Lamin Ragueb :
Mon arrivée dans les camps de Tindouf ne résulte nullement d’un choix volontaire. Contrairement à certaines familles sahraouies qui s’y sont rendues de leur propre gré, je m’y suis retrouvé à mon corps défendant. Je suis né en 1973 au sein de la communauté d’Atfariti, près de Smara. Ma famille menait une vie nomade dans le désert, à la recherche d’eau et de pâturages pour son cheptel, notamment les chameaux. En 1979, alors que je n’étais âgé que de six ans, notre communauté rurale a été prise d’assaut par des milices du Front polisario. Comme beaucoup d’habitants des zones rurales entourant Smara, on a été enlevés de force. Ma famille – ma grand-mère, mes deux sœurs, mes quatre frères et moi – ainsi qu’une trentaine d’autres personnes, avons été entassées dans de grands camions. Nous étions environ 36, issus de familles différentes. C’est ainsi que nous avons été emmenés contre notre volonté vers les camps de Tindouf.

Vous avez vécu pendant des années à Tindouf, de quoi était fait votre quotidien ?

J’ai passé plus de vingt années dans les camps de Tindouf, dans un univers marqué par la pénurie structurelle et l’absence des conditions les plus élémentaires d’une vie décente. Nous vivions sous des tentes ou dans des habitations boueuses, exposés à des chaleurs dépassant les cinquante degrés en été, et à un froid rigoureux en hiver, dans la région algérienne de la Hamada, territoire aride et inhospitalier. C’est dans cet environnement que j’ai suivi mon enseignement primaire durant les années 1980. Dans les années 1990, j’ai poursuivi mes études secondaires entre l’Algérie et la Libye, jusqu’à l’obtention de mon baccalauréat en 1993 à Rebahia, dans la province de Saïda. J’ai ensuite intégré l’Université de Saïda, où j’ai effectué mon cursus universitaire. En 2000, j’ai rejoint l’Institut de formation des enseignants de Béchar. J’y ai exercé comme enseignant jusqu’en 2003, avant de retourner dans les camps de Tindouf pour assurer l’enseignement en classe de CM2.



Beaucoup me considéraient comme un privilégié, car j’étais exempté du service militaire obligatoire imposé aux jeunes hommes dès leur plus jeune âge. Mais cette apparente exception ne changeait rien à la réalité profonde des camps : un isolement total du monde et un conditionnement idéologique permanent. Nos esprits étaient méthodiquement façonnés dans une logique d’hostilité au Maroc. Durant les périodes d’été, nous suivions même un enseignement spécifique dont le but principal est d’attiser la hargne contre le Royaume. On vivait dans un climat de terreur et de méfiance. Deux de mes frères aînés ont été arrêtés lors des événements connus sous le nom de «réseau de 1982-1984». Ils n’avaient commis aucun crime. Ils ont été victimes d’une vague d’arrestations arbitraires lancée par la direction du Front polisario contre ses opposants internes. Incarcérés à la prison de Rachid, puis transférés à celle d’Al-Dhahabiya, ils y ont enduré quatre longues années de détention, de tortures et de sévices, aux côtés de dizaines d’autres jeunes hommes.

Comment avez-vous pu regagner la mère patrie et dans quelles conditions ?

Quitter les camps de Tindouf pour regagner le Maroc n’est pas un choix anodin. C’est une décision lourde, perçue dans les camps comme une véritable aventure, souvent assimilée à une trahison. Toute tentative d’évasion avortée expose à des sanctions extrêmes : l’emprisonnement à vie, voire la peine capitale. Selon les lois du Front polisario, le candidat au retour est immédiatement désigné comme traître et complice de l’ennemi. Au-delà des représailles physiques, la sanction est aussi morale et sociale. Le «fugitif» devient un paria, rejeté par l’ensemble de la communauté. Son honneur est méthodiquement détruit, sa réputation ternie jusque dans le cercle familial. Les séquelles psychologiques sont profondes, non seulement pour celui qui part, mais aussi pour ceux qu’il laisse derrière lui : parents, proches...

Mon retour s’est toutefois déroulé dans des circonstances différentes de celles, souvent dramatiques, vécues par d’autres Sahraouis qui ont regagné le Maroc au péril de leur vie, franchissant le mur de sécurité pieds nus, parcourant des dizaines de kilomètres dans le désert et traversant des champs de mines pour atteindre la frontière marocaine. Pour ma part, j’avais sollicité une autorisation officielle auprès du ministère de l’Éducation du polisario afin d’effectuer une visite hors des camps. Ma tante, résidant en Mauritanie et épouse d’un ancien président mauritanien, a alors pris contact avec l’ambassade du Maroc à Nouakchott, qui a organisé mon retour en toute sécurité par l’intermédiaire du consulat marocain à Nouadhibou. Les autorités diplomatiques marocaines ont assuré notre accompagnement et mis à notre disposition l’ensemble des moyens de transport nécessaires.

Mon retour effectif au Maroc a eu lieu en 2006. C’est à cette période que je suivais, sur YouTube, le discours de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, dans lequel Il appelait, à l’occasion de la création du Conseil Royal des affaires sahariennes, les habitants des camps à regagner la mère patrie. Avec la grâce de Dieu, j’ai alors pu briser le mur d’illusions et de silence qui pesait sur les camps de Tindouf et retrouver ma patrie. C’est à partir de cet instant que s’ouvrait pour moi une ère nouvelle, celle de l’intégration et de l’enracinement au sein du tissu social des provinces du sud du Royaume, celui de mes ancêtres.

Quelle a été votre réaction après votre retour ? le Maroc que vous aviez trouvé correspondait-il au Maroc décrit à Tindouf ?

Retrouver le Maroc fut pour nous un bonheur immense, presque irréel. Après des années d’endoctrinement et de propagande haineuse du Front polisario, nous découvrions, à notre retour, une réalité radicalement opposée à celle qui nous avait été inculquée. Loin d’être traités en ennemis, nous avons été accueillis comme des fils de la nation. Notre réintégration a été immédiate, tant sur le plan social qu’économique. Toutes les conditions d’une vie digne nous ont été offertes. À Smara, nous avons retrouvé nos familles, nos proches et notre environnement naturel, sans éprouver la moindre injustice sociale. Le contraste avec le discours propagandiste des camps était saisissant.

C’est dans ce contexte que j’ai fondé l’Association des rapatriés pour le développement intégré, avec d’anciens cadres de la sécurité et de l’armée du polisario. L’association œuvre à encourager les retours depuis Tindouf, à dénoncer les violations des droits humains dans les camps, à accompagner les rapatriés dans leur réinsertion, à favoriser leur engagement politique, à promouvoir l’échange d’expertises dans le cadre de l’État de droit, ainsi qu’à promouvoir le projet d’autonomie dans les camps et les provinces du Sud.

La Résolution 2797 a été adoptée par le Conseil de sécurité le 31 octobre 2025. Comment l’avez-vous accueillie au sein du Forum sahraoui d’études et de diplomatie parallèle ?

L’adoption de la Résolution 2797 par le Conseil de sécurité a constitué pour nous un tournant historique et une victoire diplomatique majeure, fruit de la sagesse et de la clairvoyance de S.M. le Roi Mohammed VI. Elle consacre l’engagement de la communauté internationale à clore définitivement ce conflit artificiel en consacrant le plan d’autonomie sous souveraineté marocaine comme l’unique solution réaliste et crédible à une question artificiellement prolongée depuis plus d’un demi-siècle. Pour nous, cette décision réfute définitivement la thèse fallacieuse de la prétendue autodétermination défendue par les adversaires de l’intégrité territoriale du Maroc. L’autonomie marocaine constitue, en réalité, une forme aboutie d’autodétermination dans la mesure où elle permet aux habitants des provinces du Sud de gérer leurs affaires par des institutions élues locales et régionales, dans le respect de la souveraineté nationale. Vu les années passées dans les camps de Tindouf, je suis catégorique : le plan d’autonomie demeure l’unique voie susceptible de réunifier les Sahraouis, de préserver leur dignité et de leur garantir la stabilité, fruit de la légitimité historique des liens d’allégeance unissant les tribus sahraouies à la Monarchie alaouite.

Dans Son Discours suite à la résolution 2797, S.M. le Roi a souligné : «Nous appelons sincèrement nos frères dans les camps de Tindouf à saisir cette opportunité historique pour retrouver les leurs et jouir de la possibilité que leur offre l’Initiative d’autonomie de contribuer à la gestion des affaires locales, au développement de leur patrie et à la construction de leur avenir, dans le giron du Maroc uni». Que pensez-vous de cet appel ? quel écho a-t-il eu auprès des familles sahraouies (au Maroc et à Tindouf) ?

L’appel lancé par Sa Majesté le Roi Mohammed VI à l’adresse de nos frères dans les camps de Tindouf, à la suite de l’adoption de la Résolution 2797, revêt une portée historique et politique, de même qu’il porte une dimension foncièrement humaine. Il ne s’agit pas d’un simple message institutionnel, mais d’un appel direct à la conscience, à l’appartenance et au retour à l’ordre naturel des choses : la réunion des familles sahraouies dans le giron de leur patrie, le Maroc. Au Maroc, l’écho de ce discours a été immédiat et profond au sein des familles sahraouies. Il a ravivé

l’espoir de retrouvailles durables, renforcé la conviction que le processus de retour est désormais entré dans une phase irréversible et conforté les rapatriés dans le choix qu’ils ont fait de rejoindre leur patrie. Les familles y ont vu un message de bienveillance et de générosité.

Dans les camps de Tindouf, malgré l’étroite surveillance et la pression idéologique, l’appel a trouvé un écho considérable. Il a circulé rapidement au sein des familles, suscitant débats, espoirs et prises de conscience. Moins de vingt-quatre heures après le discours, plusieurs familles ont franchi le pas du retour, preuve tangible de l’impact direct de la parole Royale. D’autres s’y préparent, dans l’attente de conditions sécurisées pour regagner leur terre natale. Cet appel a surtout opéré une rupture psychologique majeure: il a brisé le mur de la peur, fissuré le discours de l’enfermement et redonné une perspective fondée sur la dignité, la citoyenneté et la coresponsabilité. Il a replacé la question saharienne dans sa dimension humaine essentielle : celle du droit au retour, à la famille, à la stabilité et à l’espérance. C’est pourquoi, je lance un appel à nos familles encore retenues dans les camps de Tindouf : saisissez cette opportunité historique. Le projet d’autonomie vous permettra de contribuer au développement des provinces du Sud et de vivre dans la dignité, plutôt que de demeurer prisonniers d’illusions entretenues depuis des décennies sur le sol algérien. Le Maroc, son Roi et son peuple vous offrent aujourd’hui une perspective, la stabilité et la réconciliation nationale.

Avez-vous des contacts avec des familles sahraouies installées à Tindouf ? Que pensent-elles de l’évolution de ce dossier ?

Je suis en contact quasi quotidien avec mes frères aînés. L’un est agent de sécurité, l’autre agent de sécurité militaire, responsable du district de Hakounia dans la province de «Laâyoune», et le troisième est officier militaire dans la province de «Dakhla». Mes quatre neveux sont de jeunes soldats enrôlés. Mes trois tantes, ainsi que leurs enfants, se trouvent toujours dans les camps de Tindouf. Au total, ma famille compte environ vingt-et-un membres encore retenus dans les camps. Je suis ainsi informé, au quotidien, de ce qui s’y passe. Ma joie demeure inachevée: quitter les camps sans pouvoir libérer les siens, c’est laisser une partie de soi dans cette zone obscure, entre l’angoisse, l’attente et l’injustice.

Quant au rôle de l’Algérie, tout le monde sait qu’elle soutient et finance directement les milices du Front polisario. Bien qu’elle soit juridiquement responsable du territoire sur lequel se trouvent les camps, elle prétend être neutre. Comment alors le polisario peut-il disposer d’armes depuis plus de cinquante ans, alors que la population survit presque exclusivement de l’aide humanitaire internationale ? Même la nourriture y est insuffisante. Ces armements ne peuvent provenir que d’une partie : l’Algérie.

J’ai vécu des années à Tindouf, et je peux affirmer que le soutien apporté au polisario, via son appareil sécuritaire et son ministère de la Défense, n’est pas dicté par l’amour du peuple sahraoui. Il procède d’un calcul géopolitique fondé sur la rivalité régionale, la crainte de l’émergence du Maroc et la volonté de contenir son influence. La question du Sahara est ainsi instrumentalisée comme un levier stratégique pour un accès projeté à l’océan Atlantique et à ses ressources. Le polisario, en réalité, ne dispose d’aucune autonomie politique réelle : même lors des négociations avec le Maroc, les décisions sont dictées par le régime algérien.

On vient de fêter le 50e anniversaire de la Marche Verte. Que représente pour vous cette date ?

La commémoration du 50e anniversaire de la Marche Verte est un moment de haute portée nationale et historique. L’empreinte de cette épopée pacifique, voulue et pensée par Feu Sa Majesté le Roi Hassan II, demeure indélébile dans la mémoire collective. Elle a constitué le premier jalon décisif du processus de récupération des provinces du Sud, alors sous occupation espagnole, à travers une mobilisation populaire sans précédent. Cet exploit pacifique, qui a stupéfié la communauté internationale, mérite d’être transmis et étudié par les générations futures comme un modèle unique de libération par la paix.

Chaque année, le peuple marocain commémore avec fierté et solennité cet événement fondateur. Mais le cinquantenaire a revêtu une dimension toute particulière. Il a coïncidé avec une séquence diplomatique majeure, couronnée par l’adoption de la Résolution 2797, qui a marqué un tournant historique dans le dossier du Sahara. Cette décision, accueillie par la Nation le 31 octobre, date hautement symbolique de l’unité nationale, a consacré la reconnaissance internationale de la marocanité du Sahara et l’adhésion du Conseil de sécurité au plan d’autonomie sous souveraineté marocaine comme unique solution politique à ce conflit artificiel.
Lisez nos e-Papers