Face à l’urgence du
changement climatique, les pays du
Maghreb cherchent des solutions adaptées à leurs spécificités. C’est dans ce contexte que s’est tenu un atelier sur l’économie circulaire à Tunis du 2 au 5 décembre 2024, réunissant experts et décideurs de la région. Les participants ont dressé un état des lieux sans concession des impacts déjà visibles, tout en proposant des pistes d’action concrètes pour une transition écologique juste et pragmatique.
Un bassin méditerranéen en première ligne
«La région du Maghreb est un point chaud du changement climatique», alerte d’emblée
Hammouda Dakhlaoui, expert du réseau MEDECC (le Réseau d’experts méditerranéens sur le
changement climatique et environnemental). Les chiffres sont éloquents : le bassin méditerranéen se réchauffe 20% plus vite que le reste de la planète. D’ici 2100, les températures pourraient y grimper de 4 à 6°C en moyenne, contre 3°C à l’échelle mondiale. «Cela aura des conséquences majeures en termes de disponibilité en eau, de sécurité alimentaire et de santé publique», détaille M. Dakhlaoui. Il pointe notamment la baisse des nappes phréatiques, menacées par la surexploitation et l’intrusion de l’eau de mer.
Un «portrait balafré» de la Méditerranée
Pour
Robin Degron, directeur du
Plan bleu, centre d’expertise de l’ONU, la Méditerranée offre un «portrait balafré» entre crises géopolitiques et fragilités économiques. «La Méditerranée orientale est un champ de mines. Impossible d’y mener des projets environnementaux», déplore-t-il, pointant les conflits en Syrie, en Palestine ou encore la division Algérie-Maroc. M. Degron appelle à dépasser ces clivages par le «bilatéralisme pragmatique». «Il faut accepter les flux, le co-développement entre le Nord et le Sud. L’avenir, c’est d’aller vers une
communauté économique euro-maghrébine», plaide-t-il. Et d’avertir : «S’il n’y a pas le socio-économique, il n’y aura pas l’environnement».
Une facture d’adaptation colossale
Face à l’ampleur des défis, l’addition s’annonce salée. Selon
Yadh Labbene, expert en adaptation, les coûts d’adaptation dans la région pourraient atteindre 50 milliards de dollars par an d’ici 2030, contre 7 à 15 milliards en 2015. En Afrique, les pertes de PIB pourraient s’élever à 7% sans adaptation, contre 4% avec des politiques adaptées. La question cruciale reste : «qui doit payer ?» Si la
COP29 a acté un fonds «pertes et dommages» et 300 milliards de dollars par an pour aider les pays en développement, ces montants restent en deçà des attentes. Le Maroc par exemple conditionne une partie de ses engagements aux financements internationaux.
Des signaux positifs malgré tout
Malgré ce tableau alarmant, des initiatives porteuses d’espoir se font jour. Hatim Aznague, de l’Union pour la Méditerranée, évoque les «avancées» de la COP29, avec un accord pour supprimer le charbon d’ici 2040 et la création d’un marché carbone. «Les pays méditerranéens, avec leur potentiel solaire et éolien, sont bien placés pour en bénéficier», assure-t-il. Il cite en exemple le Maroc, qui mise sur l’économie circulaire comme levier de croissance verte et d’emplois, en multipliant les projets dans les énergies renouvelables ou le dessalement de l’eau de mer.
Changer de modèle sur le long terme
Au-delà des solutions techniques, un changement de paradigme s’impose sur le long terme. Robin Degron appelle ainsi à repenser le modèle agricole : «Les pratiques du Nord de chercher en toute saison des tomates et des fraises, qui viennent de l’importation, ne sont pas tenables». Il plaide pour une réorientation vers une agriculture plus «vivrière» et «une diversification vers l’industrie et les services». Un constat partagé par Hammouda Dakhlaoui, qui pointe les limites des solutions non conventionnelles comme le dessalement. «Il faut trouver le point d’équilibre entre sécurité hydrique, alimentaire et énergétique. C’est l’équation à résoudre pour les décennies à venir», résume-t-il.
Un défi commun Nord-Sud
Au final, un mot d’ordre traverse cet atelier : solidarité. «Il est vital de travailler ensemble, Nord et Sud de la Méditerranée», martèle Robin Degron, appelant à «accepter que les jeunes du Sud rencontrent la relative vieillesse du Nord». Car le constat est là : avec 1/3 de sa population ayant moins de 15 ans, le Sud fait face à une forte poussée démographique, quand le Nord vieillit. L’atelier de Tunis aura posé les termes d’une équation complexe, entre adaptation au stress climatique et développement socio-économique. Si les défis sont immenses, les pistes d’action esquissées laissent entrevoir une Méditerranée plus résiliente et solidaire.