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Le Maroc à l’horizon 2035 : un Royaume visionnaire et ambitieux à l’épreuve des défis sociaux (Choiseul)

Le Maroc avance à grande vitesse : ports, TGV, investissements industriels, projection africaine… En un quart de siècle, le Royaume a jeté les fondations d’une puissance régionale. Mais peut-on construire un modèle durable avec des fractures internes ? Le rapport «Maroc 2035» de l’Institut Choiseul dévoile un pays entre maîtrise géopolitique et vulnérabilités sociales, à l’aube d’une décennie décisive. Le Maroc 2035 dessiné par l’Institut Choiseul est un pays stratège, connecté, influent. Mais c’est aussi un pays traversé de lignes de fracture internes, confronté à un double impératif : transformer son modèle de croissance et réduire ses inégalités sociales. Son atout ? Une Vision Royale de long terme, soutenue par des choix clairs. Son risque ? Un décalage croissant entre cette vision et la capacité de mise en œuvre.

«Il n’y a de place, ni aujourd’hui, ni demain pour un Maroc à deux vitesses», affirmait S.M. le Roi Mohammed VI lors de Son Discours du Trône en 2025. La note stratégique de l’Institut Choiseul, signée par Yasmina Asrarguis, se propose d’analyser les causes de ce paradoxe : un Royaume stratège, influent et dotée d’une vision claire, mais qui reste traversé de lignes de fracture internes et d’inégalités sociales. Intitulée «Maroc 2035 : de l’émergence à la puissance-pivot ?», le rapport interroge la capacité du Maroc à passer du statut de pays émergent à celui d’acteur central des recompositions africaines, euro-méditerranéennes et globales. Et ce sans jamais perdre de vue ses fractures

internes.

Dès aujourd’hui, les chiffres posent le décor

La trajectoire du Maroc au XXIe siècle s’est dessinée à coups de grands chantiers, affirme dans son rapport la chercheure associée en études moyen-orientales à l’Université de Princeton. Depuis 1999, le Royaume a investi massivement dans les infrastructures : 1.800 km d’autoroutes, ligne TGV inaugurée en 2019 entre Tanger et Casablanca, extension en cours jusqu’à Marrakech avec un budget de 96 milliards de dirhams. Le port de Tanger Med, connecté à 180 ports mondiaux, est désormais le premier port à conteneurs d’Afrique. Sur le plan industriel, les chiffres impressionnent : 700.000 véhicules exportés par an, 200 milliards de dirhams d’exportations automobiles en 2025, désormais supérieures à celles des phosphates. Le Maroc est «devenu le premier exportateur automobile d’Afrique», rappelle le rapport. Mais il ne s’agit pas de s’arrêter là : la filière batteries électriques est en pleine construction, avec deux projets majeurs à Jorf Lasfar (70 GWh/an) et à Kénitra (jusqu’à 100 GWh d’ici 2026).

Le secteur touristique, longtemps secondaire, est lui aussi devenu un des piliers de l’économie : 8,9 millions de visiteurs sur le premier semestre 2025 (+19 % en un an), près de 2 millions d’emplois directs et indirects, 7% du PIB. Le projet d’accueillir la Coupe du monde 2030 (avec l’Espagne et le Portugal) agit comme catalyseur d’investissements logistiques et aéroportuaires: 38 milliards de dirhams prévus pour doubler la capacité des aéroports (de 34 à 80 millions de voyageurs annuels).

Enfin, les chiffres macroéconomiques soulignent une stabilité fragile : un PIB attendu à 154 milliards de dollars en 2025 (36,8 millions d’habitants), une croissance moyenne de 3,9% hors Covid, un déficit budgétaire revenu à 4,1% en 2024. Mais les fragilités demeurent : 13% de chômage en 2026 prévus, un secteur informel qui concerne encore 1 emploi non agricole sur 3, et un modèle économique encore très exposé aux cours du pétrole, du blé et des engrais.

Une ambition africaine assumée

La réintégration de l’Union africaine (2017) a donné le signal d’un ancrage continental stratégique. Avec 46 visites Royales dans 25 pays et près de 1.000 accords signés, le Maroc affirme un «choix africain» de long terme. OCP Africa, Bank of Africa, Maroc Telecom, Attijariwafa bank, RAM ou encore les groupes du BTP sont les fers de lance de cette projection géoéconomique.

Le rapport souligne l’ambition de faire de la diplomatie économique un instrument d’intégration régionale. Le gazoduc Maroc-Nigeria (5.600 km, 13 pays traversés, premières livraisons attendues d’ici 2029), ou encore le port de Dakhla Atlantique (12,6 milliards de dirhams) sont autant de leviers d’influence au sud du Sahara. Mais un chiffre interroge : en 2023, seuls 4,6% des échanges commerciaux du Maroc se faisaient avec le reste du continent africain. L’Afrique est une ambition, mais pas encore un marché réalisé à l’échelle espérée.

Une politique sociale en (r)attrapage

«Le Royaume ambitionne d’être une puissance-pivot, mais cette ambition n’aura de sens que si elle est partagée à l’intérieur», avertit l’auteure. Le rapport consacre une analyse fine aux inégalités territoriales : entre 2008 et 2017, deux régions (Tanger-Tétouan-Al Hoceïma et Casablanca-Settat) ont capté 60% des investissements directs étrangers (IDE). En 2023, cinq régions concentraient plus de 70% de l’emploi. Le monde rural est resté longtemps à l’écart : 70% des actifs ruraux sont sans diplôme, seuls 4% ont accès à l’enseignement supérieur. Le taux d’analphabétisme des adultes ruraux dépasse 50%. Chez les jeunes femmes rurales (15-24 ans), 37,3% sont NEET (ni en emploi, ni études, ni formation). Face à cela, la généralisation de la protection sociale lancée en 2020, puis la mise en place en 2023 d’un système d’aides directes ciblées (grâce au Registre social unifié) marquent un changement de doctrine. C’est, selon les termes du rapport, une «inflexion majeure» vers un État social. Mais encore faut-il que les capacités administratives suivent. La question de la «qualité du personnel politique», posée en conclusion du rapport, reste déterminante. Les élections de 2026 seront, à cet égard, un test crucial.

Horizon 2030

Le rapport affirme que l’attribution conjointe de la Coupe du monde 2030 au Maroc, à l’Espagne et au Portugal «dépasse largement la simple diplomatie sportive». Elle incarne, peut-on lire, «une trajectoire politique où stabilité institutionnelle, capacité d’investissement et enracinement régional s’entrelacent pour conférer au Royaume une position d’équilibre au cœur d’une zone euro-méditerranéenne en pleine recomposition». Ce projet sportif, inédit par son ampleur, catalyse des investissements majeurs : 38 milliards de dirhams injectés dans le réseau aéroportuaire pour doubler sa capacité d’ici 2030, afin de passer de 34 à 80 millions de passagers annuels. «Il s’agit, pour le Maroc, de faire de cette infrastructure un moteur de rayonnement continental et global», peut-on lire encore, citant le directeur général d’Aéroports du Maroc. Mais le soft power ne se limite pas aux stades. Le rapport met en avant une projection plus large du Royaume : dans la formation religieuse (via l’Institut Mohammed VI), la diplomatie énergétique (avec MASEN ou le Green Energy Park) ou encore l’intégration migratoire. L’ensemble de ces instruments esquisse une stratégie d’influence «fondée non sur l’accumulation coercitive, mais sur la maîtrise des circulations : celles des hommes, des biens, des capitaux et des savoirs». Le Maroc global, selon la note, est un acteur capable de conjuguer modernité économique et héritage culturel, ouverture internationale et enracinement continental. Encore faut-il que cette visibilité planétaire se traduise en leadership structurel durable.

Une puissance à plusieurs vitesses ?

Le Maroc 2035 dessiné par l’Institut Choiseul est un pays stratège, connecté, influent. Mais c’est aussi un pays traversé de lignes de fracture internes, confronté à un double impératif : transformer son modèle de croissance et réduire ses inégalités sociales. Son atout ? Une vision Royale de long terme, soutenue par des choix clairs (infrastructures, Afrique, social). Son risque ? Un décalage croissant entre cette vision et la capacité de mise en œuvre. Pour que le Maroc devienne ce «pivot» au cœur des régions et des continents, il devra d’abord renforcer sa propre cohésion. 2035, c’est dans dix ans. L’ambition est posée. Le compte à rebours est lancé.
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