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Face à la déferlante numérique, le Maroc fait sien le combat de l’Afrique pour le droit à l’information

La Haute Autorité de la communication audiovisuelle (HACA) du Maroc a ouvert jeudi à Salé une conférence internationale de trois jours sur le droit à l’information à l’ère numérique, en partenariat avec le Réseau des Instances africaines de régulation de la communication (RIARC). Cet événement de trois jours, qui réunit les présidents des autorités de régulation de tout le continent, intervient dans un contexte alarmant: selon le Centre d’études stratégiques de l’Afrique, 189 campagnes de désinformation ont été recensées en 2024, soit près de quatre fois plus qu’en 2022. Face à cette crise informationnelle, les régulateurs africains entendent développer une réflexion collective sur la protection des citoyens et l’avenir du journalisme d’intérêt public sur le continent.

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Les instances de régulation de la communication audiovisuelle du continent africain mènent du 20 au 22 novembre à Salé une réflexion approfondie sur les meilleurs moyens de protéger le droit à l’information face aux bouleversements induits par «la plateformisation» et l’intelligence artificielle.

Un paradoxe déconcertant de l’ère numérique «L’humanité fait aujourd’hui face à un paradoxe déconcertant: jamais l’information n’a été aussi disponible et abondante, jamais la création de contenus n’a été aussi aisée et démocratisée, et pourtant, jamais il n’a été aussi difficile et incertain d’accéder à une information réellement fiable et dûment vérifiée», a déclaré Latifa Akharbach, présidente de la HACA du Maroc à l’ouverture de cet événement. Ce constat alarmant est corroboré par les chiffres présentés par la note conceptuelle de la conférence. Le Digital Report du Reuters Institute de février 2025 révèle qu’en Afrique, 73% des internautes se disent préoccupés par leur capacité à distinguer le vrai du faux sur Internet, un taux des plus élevés au monde. Plus révélateur encore: l’accès à l’actualité passe désormais de plus en plus par les réseaux sociaux.

Pour Mme Akharbach, cette situation traduit une mutation profonde de notre rapport à l’information. «Nous ne nous informons plus, nous sommes informés», a renchéri Edouard Loko, président de la Haute Autorité de l’audiovisuel et la communication du Bénin et secrétaire exécutif du RIARC. Un glissement sémantique qui n’est pas anodin: le citoyen ne cherche plus activement l’information, il la reçoit passivement, au gré des algorithmes de recommandation et des bulles de filtre.

Une asymétrie de pouvoir préoccupante

À cet égard, la présidente de la HACA n’a pas manqué d’attirer l’attention sur une réalité qui fragilise particulièrement le continent africain. «Dans un environnement médiatique global dominé par des puissances mondiales et des plateformes hégémoniques, la dépendance numérique se traduit inévitablement par une dépendance informationnelle et engendre des atteintes graves au droit de nos populations à une information fiable et de confiance», a-t-elle averti.

Cette asymétrie de pouvoir face aux plateformes globales s’avère plus accentuée pour l’Afrique que dans d’autres régions du monde qui ont réussi à imposer des obligations de transparence algorithmique, d’accès aux données pour les chercheurs et les régulateurs, ou encore de modération plus diligente des contenus illicites. Pour ne rien arranger à la situation, ces mutations se superposent à des réalités structurelles complexes propres aux sociétés africaines: fractures de connectivité, grande diversité linguistique, faible investissement dans la recherche, vulnérabilité économique des médias professionnels.

La souveraineté informationnelle, impératif stratégique Abondant dans le même sens, René Bourgoin, président de la Haute Autorité de la communication audiovisuelle de Côte d’Ivoire et président en exercice du RIARC, a souligné que «la montée en puissance des réseaux sociaux, la prolifération de la désinformation et la crise de confiance qui en découle sont autant de réalités qui complexifient profondément le paysage informationnel». Mais, pour lui, il ne s’agit plus pour les instances de régulation de se limiter au constat des impacts négatifs des plateformes numériques, mais bien d’engager des actions courageuses et structurantes.

C’est dans cette perspective que Latifa Akharbach a réaffirmé l’importance d’une mobilisation collective en faveur de la souveraineté informationnelle du continent. «Pour un pays comme le Maroc, qui s’est fortement mobilisé, sous l’impulsion de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, en faveur de la souveraineté informationnelle et numérique africaine, cette approche revêt une portée stratégique», a-t-elle précisé. Le Royaume considère en effet que sa propre souveraineté numérique est indissociable de celle du continent. La présidente de la HACA a d’ailleurs déploré que le concept de souveraineté numérique soit trop souvent décliné par les autorités publiques africaines sans intégrer pleinement sa dimension informationnelle, pourtant essentielle puisqu’elle touche aux libertés, au pluralisme et à l’accès à une information de qualité.

Repenser le droit à l’information

Pour Latifa Akharbach, «la garantie du droit à l’information demeure un chantier toujours inachevé, un objectif en perpétuelle construction». Seule une vigilance collective permettra de faire avancer ce droit fondamental en l’imposant dans les priorités des agendas dédiés à la consolidation d’une société de la connaissance, des libertés et des droits humains. La présidente de la HACA a particulièrement insisté sur la nécessité de «requalifier et redessiner les contours du droit à l’information à l’aune de la nouvelle réalité des écosystèmes médiatiques nationaux et de l’environnement informationnel global». Il s’agit également, selon elle, de déconstruire certains discours relevant du «solutionnisme» technologique, alors que la garantie du droit à l’information appelle d’abord une réponse politique, institutionnelle et sociale. «Le droit à l’information ne peut plus se réduire au simple droit d’accéder à des contenus. Il s’agit désormais d’en repenser la portée, d’en renforcer les garanties et d’en définir les conditions concrètes d’effectivité dans un espace médiatique numérique et globalisé où tout peut être manipulé, amplifié, invisibilisé ou détourné», a-t-elle plaidé.

Les régulateurs du continent, réunis dans un esprit de solidarité panafricaine, entendent bien démontrer que la persévérance et l’expertise dont ils font preuve seront déterminantes pour clarifier et faire progresser la question cruciale de la souveraineté informationnelle africaine. Car comme l’a souligné Mme Akharbach, «il ne peut exister de droit effectif à l’information pour nos citoyens si notre souveraineté numérique, nationale comme continentale, n’est pas pleinement assurée».

Un programme ambitieux au service d’un agenda africain

La conférence, qui se déroule du 20 au 22 novembre, articule ses travaux autour de quatre sessions thématiques majeures. La première porte sur l’écosystème de l’information à l’ère des plateformes numériques, analysant l’émergence de nouveaux acteurs et la reconfiguration des circuits de production et de distribution de l’information. La deuxième session examine les risques systémiques pour le droit à l’information induits par la transformation numérique, notamment les effets de la fragilisation du modèle économique des médias professionnels et les vulnérabilités face aux ingérences étrangères.

Une journée sera consacrée aux enjeux et impératifs de la transformation numérique des médias traditionnels, avec une présentation des expériences nationales en matière d’accompagnement de cette transition. Enfin, une session cruciale abordera la question de la souveraineté informationnelle africaine, interrogeant le statut de l’information comme bien public et l’enjeu de la résilience des médias professionnels. À l’issue des échanges, les membres du réseau adopteront la «Déclaration de Rabat sur la préservation de l’intégrité de l’information comme droit du citoyen africain», un texte qui pourrait marquer un tournant dans l’approche continentale de la régulation numérique.

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