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Lundi 17 Juin 2024
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Alain Juillet : voici comment le Maroc trace sa voie au milieu des grands bouleversements géopolitiques

L’ancien directeur du renseignement français, Alain Juillet, a livré jeudi une analyse à la fois riche et féconde des profonds changements géopolitiques et économiques en cours à l’échelle planétaire. Lors d’une rencontre organisée à Casablanca par la Chambre française de commerce et d’industrie du Maroc, l’expert a décrypté les soubassements du nouvel ordre mondiale qui se met lentement en place. Il a également analysé le positionnement et les choix du Maroc face à ces grands bouleversements, relevant la pertinence et la clairvoyance des politiques adoptées par le Royaume.

Alain Juillet a été interviewé par le DG de la CFCIM. Ph. Seddik
Alain Juillet a été interviewé par le DG de la CFCIM. Ph. Seddik
À l’heure où les équilibres mondiaux sont en pleine reconfiguration, le Maroc s’érige comme un acteur stratégique qui se positionne sereinement et progressivement sur l’échiquier planétaire, selon l’analyse très documentée livrée par Alain Juillet, ancienne figure du renseignement français et expert très écouté dans les arcanes de l’intelligence économique. Son accroche est percutante : «On ne peut évaluer un pays sans voir ce qui se passe dans le monde auquel on assiste aujourd’hui».

Le constat d’une nouvelle donne planétaire

«Israël-Palestine, le Proche-Orient, l’Ukraine... sont des événements qui correspondent à des mouvements tectoniques», estime l’ancien patron français de la Direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE), pour qui ces crises ne sont que les symptômes visibles de changements bien plus profonds à l’œuvre. Pour en saisir les racines, il convoque l’histoire : «Depuis la découverte de l’Amérique, les Occidentaux ont dominé le monde, sauf en Asie où la Chine était puissante jusqu’en 1750». Leur suprématie reposait sur des recettes simples: «L’exploitation des matières premières, la création de valeur ajoutée et la colonisation par les missions religieuses». Mais ces temps sont révolus, indique Alain Juillet. «Ces pays qui ont dominé le monde, n’en resteront pas éternellement les maîtres. C’est un nouveau basculement qui s’opère, avec un nouveau centre économique en Asie qui deviendra le pôle mondial pour longtemps», analyse-t-il.

L’essor des nouvelles puissances

Cette nouvelle donne s’incarne dans l’émergence de la Chine, de l’Inde, du Japon et de l’Indonésie, pays amenés à constituer le nouveau moteur de la croissance mondiale selon les projections du FMI. «En 2075, le classement sera Chine, Inde, États-Unis, Indonésie, sans qu’aucun pays européen ne figure parmi les premiers, sauf peut-être l’Allemagne», prédit l’expert français, pour qui «ce bouleversement vraisemblable changera toutes les règles du jeu».

Mais le Vieux Continent ne sera pas le seul à voir son influence décliner. M. Juillet pointe aussi la lente érosion de la prépondérance américaine, battue en brèche par les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) qui «représentent déjà 30% du PIB mondial et qui concentrent 40% de l’énergie du monde». Un bloc amené à s’étoffer avec l’arrivée programmée de nouveaux membres comme l’Égypte, l’Éthiopie ou l’Arabie saoudite. «Cela renforcera leur poids face aux économies développées», juge le spécialiste.

La fin de l’hégémonie du dollar

Autre signe avant-coureur de cette nouvelle redistribution de cartes : la remise en cause du dollar comme monnaie de référence pour les transactions énergétiques. «C’est la première fois que le pétrole est payé en d’autres devises que le billet vert, ce qui pose problème pour les États-Unis», relève M. Juillet, pour qui ce changement menace la suprématie du dollar. Dans ce contexte, la Russie et la Chine ont pris les devants en constituant d’importants stocks d’or, matière première «indiscutable» pour adosser une nouvelle monnaie de réserve. Une démarche qui participe de la volonté de ces puissances de «remettre à zéro» les dispositifs multilatéraux comme l’ONU et l’OMC, jugés trop favorables aux Occidentaux.

Le Maroc joue la carte de la diversification des partenariats stratégiques

Face à ces bouleversements profonds, quelle peut être la stratégie du Royaume ? D’après Alain Juillet, «il ne faut pas regarder les changements annoncés comme un désastre, mais comme une opportunité, avec des zones qui vont se développer et d’autres qui vont décliner». Et le Maroc a d’ores et déjà pris les devants pour tirer son épingle du jeu. S’il reste attaché à ses liens historiques avec l’Europe, en particulier la France et l’Espagne, «le Maroc a aussi de bonnes relations avec les États-Unis, pays qu’il a été le premier à reconnaître». M. Juillet vante également «le coup de génie» du Royaume d’avoir renforcé ses positions en Afrique ces dernières années, à rebours du repli français. «Sa Majesté le Roi a multiplié les voyages dans les pays du continent, poussé les entreprises et les banques marocaines à s’y implanter. Il y a aussi le projet stratégique de gazoduc et l’initiative atlantique (...) C’est cela la stratégie». Mais le Maroc vise encore plus loin, en développant des partenariats prometteurs en Asie, à commencer avec la Chine qui «est la première force économique mondiale». Le Royaume ne cesse par ailleurs de se rapprocher de l’Inde et de l’Indonésie, deux autres futures locomotives appelées à tirer la croissance. «Le Maroc mène un processus qui va dans tous les sens et pourra jouer beaucoup de cartes», positive Alain Juillet, qui n’écarte pas la possibilité pour le Royaume d’intégrer les BRICS, une option «qui serait appuyée par le Brésil, la Chine et les pays du Golfe».

La reconnaissance de la marocanité du Sahara

Sur le dossier sensible du Sahara marocain, l’ancien patron de la DGSE considère que «la marocanité du Sahara ne fait aucun doute sur le plan historique. Historiquement, le Royaume du Maroc s’étendait de Fès à Séville jusqu’au Sénégal, incluant le Sahara, ce qui rend la question sans objet. Ensuite, il y a l’aspect politique !» L’expert se veut toutefois rassurant sur les évolutions diplomatiques en cours : «La France finira par s’aligner sur la position de l’Espagne et de l’Allemagne qui considèrent désormais que la marocanité du Sahara est une évidence. Et la majorité des pays des BRICS y est également favorable».

Concernant la place du Maroc en Afrique, le spécialiste indique que le Royaume dispose de nombre d’atouts de poids qui sont autant d’avantages comparatifs par rapport aux autres acteurs de taille de cette nouvelle donne géopolitique. Avec les cartes qu’il a, «aucun autre pays n’a la possibilité de venir concurrencer le Maroc et de s’installer durablement en Afrique». Au final, l’analyse d’Alain Juillet réaffirme la position stratégique du Maroc à la croisée des bouleversements mondiaux en cours, sous réserve que le Royaume maintienne le cap d’une «politique de long terme autour de laquelle les gens se mobilisent». Selon lui, Le Maroc mène donc un processus multidimensionnel et pourra jouer beaucoup de cartes. «Ceux qui réussissent sont ceux qui travaillent sur le long terme, avec des objectifs clairs et une politique définie, et qui parviennent à mobiliser les gens autour de ces objectifs à long terme. Le Maroc possède une véritable opportunité en Afrique, car il n’y a pas de pays capables de le concurrencer ou de s’y établir de manière significative», conclut l’intervenant.
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