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Le président de la Cour constitutionnelle s’ouvre au public pour la première fois

Mercredi dernier, la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales d'Agdal à Rabat a accueilli un événement historique. Pour la première fois en 30 ans, le président de la Cour constitutionnelle, Mohamed Amine Benabdellah, s'est exprimé publiquement hors du siège de la Cour. Devant étudiants, chercheurs, acteurs politiques et membres de la Cour, il a retracé l'évolution du contrôle constitutionnel au Maroc, exposant ses défis, limites initiales puis son développement avec l'instauration du Conseil constitutionnel et de la Cour constitutionnelle. M. Benabdellah a ainsi offert un éclairage unique sur le rôle crucial de cette institution dans le processus démocratique marocain, ouvrant la voie à un dialogue inédit entre justice constitutionnelle et société civile.

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Dès le début de son intervention, le président de la Cour constitutionnelle, Mohamed Amine Benabdellah a souligné le caractère exceptionnel de cette prise de parole publique, compte tenu de l'obligation de réserve stricte à laquelle il est soumis en tant que président de la Cour constitutionnelle. Il a ainsi précisé qu'il respecterait les limites de sa fonction en ne s'exprimant pas sur des affaires en cours ou déjà jugées. Cette sortie reflète néanmoins une volonté d'ouvrir un dialogue entre la justice constitutionnelle et la société civile, tout en répondant à des critiques sur le manque de transparence perçu autour de l'institution. Elle s'inscrit dans un effort de modernisation des pratiques juridiques et de renforcement de la compréhension publique des enjeux liés au contrôle constitutionnel.

Histoire et évolution du contrôle constitutionnel au Maroc

Au cours de son intervention, M. Benabdellah est revenu sur les origines historiques de l'idée de contrôle constitutionnel au Maroc, évoquant un projet de Constitution de 1908 sous le règne du Sultan Moulay Hafid, qui contenait déjà des articles préfigurant cette notion. Bien que ce projet n'ait jamais été mis en œuvre, il témoigne de l'ancienneté de la réflexion marocaine sur ce sujet. L'histoire institutionnelle du contrôle constitutionnel au Maroc a ensuite été marquée par plusieurs étapes clés, de la création de la Chambre constitutionnelle en 1963 au sein de la Cour suprême, à l'instauration du Conseil constitutionnel en 1992, puis à la mise en place de la Cour constitutionnelle dotée de compétences élargies par la Constitution de 2011. Une progression qui reflète la montée en importance de cet outil, malgré des débuts limités par des obstacles politiques et institutionnels. Le président a également insisté sur l'importance du dialogue entre la justice et l'université pour enrichir la pratique du droit constitutionnel, prônant le développement d'une «école marocaine» juridique ancrée dans les réalités locales, mais ouverte sur le monde.

Garantir les libertés fondamentales : la mission essentielle du juge constitutionnel

Au-delà de l'arbitrage juridique, Mohamed Amine Benabdellah a rappelé le rôle fondamental du juge constitutionnel comme protecteur des droits et libertés inscrits dans la Constitution. Il a souligné la nécessité pour les juges d'adapter les lois à l'esprit des principes constitutionnels, et pas seulement à leur lettre, pour garantir cette protection. Cette responsabilité impose une collaboration accrue entre la justice et les institutions académiques afin d'enrichir les jurisprudences constitutionnelles et de les ancrer dans un dialogue juridique vivant avec la société. Le président a ainsi appelé à renforcer les échanges entre la Cour et les universités à travers des colloques et des débats pour analyser les implications des décisions.

Repenser le contrôle constitutionnel au Maroc : enjeux et défis

Malgré les avancées, M. Benabdellah a pointé du doigt la sous-utilisation actuelle des mécanismes de contrôle constitutionnel, qui limite l'impact de la Cour. Il a notamment révélé que depuis 2017, sur 246 décisions rendues, seules 5 concernaient des lois ordinaires. Un chiffre faible au regard du volume des législations adoptées. Parmi les défis identifiés figurent la faible sensibilisation des acteurs politiques à saisir la Cour, souvent perçue à tort comme un acte de confrontation, ainsi que le fait pour les présidents des deux Chambres du Parlement de s'abstenir fréquemment de soumettre des lois controversées, malgré leurs prérogatives en la matière. Pour y remédier, le président a appelé à une responsabilisation accrue de ces acteurs institutionnels et au développement d'une nouvelle culture juridique où le recours au contrôle constitutionnel serait vu comme un outil de régulation essentiel. Il a également cité des exemples internationaux montrant comment des saisines régulières renforcent la légitimité des systèmes juridiques.

L'exception d'inconstitutionnalité : un tournant démocratique à préparer

Parmi les perspectives d'avenir évoquées, l'introduction du recours pour inconstitutionnalité des lois par la Constitution de 2011 a été présentée comme un enjeu majeur. Ce mécanisme permettant à tout justiciable de contester une loi estimée contraire à ses droits constitutionnels représente en effet un tournant dans la participation citoyenne. Cependant, sa mise en œuvre effective nécessite une préparation rigoureuse que M. Benabdellah a appelée de ses vœux, à travers la sensibilisation des professionnels du droit et l'organisation de débats universitaires pour vulgariser ce principe. Il a souligné l'importance de former avocats et magistrats aux modalités de ce recours pour en faire un outil démocratique efficace.

Seulement 19 recours en plusieurs décennies

Le faible recours à la Cour constitutionnelle reste une problématique majeure au Maroc, avec seulement 19 saisines enregistrées depuis la création du Conseil constitutionnel et son évolution en Cour constitutionnelle. Ce chiffre, particulièrement bas, met en lumière l’absence d’une culture ancrée de contrôle de la constitutionnalité des lois. Souvent limité à des contextes politiques ou à des différends entre la majorité et l’opposition, le recours à cette institution est perçu à tort comme un acte conflictuel, explique-t-il, «alors qu’il devrait être une démarche essentielle pour garantir la conformité des lois à l’esprit du texte constitutionnel et protéger les droits et libertés des citoyens».

Le président de la Cour constitutionnelle, Mohamed Amine Benabdallah, appelle à une refonte de cette perception et insiste sur l’importance de «purifier les lois» pour éviter l’introduction de textes législatifs non conformes au cadre constitutionnel. Il exhorte les acteurs politiques et juridiques à adopter une pratique proactive en sollicitant plus régulièrement la Cour, soulignant que l’impact des lois non contrôlées pourrait perdurer sur plusieurs générations. Pour renforcer cette dynamique, il préconise un dialogue accru entre le pouvoir judiciaire, les chercheurs et les universitaires, afin de faire émerger une véritable école marocaine de droit constitutionnel, en phase avec les spécificités sociétales du pays.
Cette intervention historique marque ainsi une volonté de rapprocher la justice constitutionnelle des citoyens et des acteurs de la société. En ouvrant ce dialogue inédit, Mohamed Amine Benabdellah pose les jalons d'une nouvelle ère pour le droit constitutionnel marocain, avec l'ambition d'ancrer l'action de la Cour dans un débat vivant et une interaction constante avec son environnement.
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