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Le Rassemblement national est sans doute le plus pro-marocain des partis politiques français (Emmanuel Dupuy)

Les résultats du premier tour des élections législatives anticipées en France dessinent les contours d’un paysage politique bouleversé. Avec une participation record et une percée historique du Rassemblement national, le pays pourrait connaître un séisme politique majeur. Lors de son passage, ce lundi, à l’émission «L’Info en Face», Emmanuel Dupuy, président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe, décrypte les enjeux de ce scrutin et ses potentielles conséquences, tant pour l’Hexagone que pour ses relations internationales, notamment avec le Maroc et l’Algérie. Entre recomposition des forces politiques et risque de cohabitation, la France se trouve à la croisée des chemins, dans un contexte européen marqué par la montée des extrêmes. Les implications de ce vote pourraient redéfinir non seulement l’équilibre des pouvoirs en France, mais aussi la position du pays sur la scène internationale, comme l’analyse l’expert au cours de cette émission.

Le premier tour des élections législatives anticipées en France a livré son verdict, et le moins que l’on puisse dire est qu’il a créé la surprise. Avec une participation frôlant les 70%, du jamais vu depuis 1986, les Français se sont massivement mobilisés pour ce scrutin aux enjeux cruciaux. «Quand il y a un risque pour les constitutionnelles, quand il y a un enjeu particulièrement hystérisé à l’occasion de cette élection législative, les Français se mobilisent en masse», analyse Emmanuel Dupuy, président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe. Cette mobilisation exceptionnelle témoigne de l’importance que les français accordent à ce scrutin, conscients des bouleversements politiques potentiels qu’il pourrait engendrer.

Une recomposition politique inédite en France

Le paysage politique français semble avoir été redessiné en profondeur à l’issue de ce premier tour. Le camp présidentiel, qui espérait capitaliser sur la réélection d’Emmanuel Macron, se trouve en grande difficulté. «Le camp présidentiel est en lambeaux et la plupart des députés qui avaient été élus lors de la précédente mandature, d’abord en 2017, puis en 2022, ont été soit balayés, soit se retrouvent dans des situations de triangulaire, voire de quadrangulaire, qui sera particulièrement difficile de gagner», souligne Emmanuel Dupuy (NDLR : en politique française, on parle d’élection triangulaire, généralement abrégée en triangulaire, pour désigner les deuxièmes tours électifs où trois candidats du premier tour ont atteint le seuil de maintien et ne se désistent pas). Cette débâcle du parti présidentiel marque un tournant dans la vie politique française, remettant en question la stratégie prônée par Emmanuel Macron depuis son accession au pouvoir.



Face à cet effondrement du centre, deux forces émergent : d’un côté, le Rassemblement national, qui réalise une percée historique avec plus de 33% des voix, et de l’autre, le nouveau Front populaire, regroupant la gauche et l’extrême gauche, qui frôle les 29%. Cette configuration inédite pose la question de la gouvernabilité du pays dans les semaines et mois à venir. Emmanuel Dupuy explique : «Je ne dirais pas qu’il y a deux France, une France de l’extrême droite et une France de l’extrême gauche, je dirais qu’il y a trois France, une France de l’extrême centre, une France de l’extrême droite et une France de l’extrême gauche. La vraie réalité, c’est que ces trois logiques sont inconciliables».

Cette nouvelle répartition des forces politiques reflète un mécontentement profond de l’électorat français envers les partis traditionnels et une aspiration au changement. Le Rassemblement national, en particulier, semble avoir réussi à capitaliser sur les frustrations d’une partie de la population, en proposant un discours axé sur la souveraineté nationale et la lutte contre l’immigration.

Vers une cohabitation forcée ?

L’hypothèse d’une cohabitation, scénario jusqu’alors jugé improbable, semble désormais se dessiner. Emmanuel Dupuy évoque même la possibilité d’une «cohabitation majorité-opposition», avec une «très forte opposition, quel que soit celui qui accède à Matignon». Cette situation pourrait mettre à mal le fonctionnement des institutions et la capacité du Président Macron à mener sa politique. Le spécialiste des questions de sécurité et de défense va plus loin en envisageant plusieurs scénarios pour le second tour. Dans l’hypothèse la plus favorable au Rassemblement national, ce dernier pourrait obtenir jusqu’à 375 députés, soit largement au-delà de la majorité absolue fixée à 289 sièges. «Sur les trois scénarios probables, deux donnent déjà la majorité absolue au RN», affirme Emmanuel Dupuy.

Il détaille les différents scénarios envisageables : «Il y a trois scénarios, le scénario A, ou le scénario 1, pardon, qui consiste à ce qu’il n’y ait aucun désistement, que tous les candidats qualifiés pour le deuxième tour se maintiennent, si tel est le cas, le RN et Reconquête auraient 375 députés, le camp présidentiel seulement une soixantaine, et le nouveau Front populaire, 125». Les deux autres scénarios, impliquant des désistements réciproques entre différentes forces politiques, aboutiraient également à une forte représentation du Rassemblement national à l’Assemblée nationale.

Un séisme aux répercussions internationales

Si ces projections venaient à se concrétiser, les conséquences dépasseraient largement les frontières de l’Hexagone. En matière de politique étrangère, une victoire du Rassemblement national pourrait entraîner des changements majeurs. «Le domaine réservé du Chef de l’État n’existe plus. Il vole en éclats», explique Emmanuel Dupuy, qui anticipe de «fortes et vives tensions» sur les principaux dossiers internationaux. Le chercheur souligne que «l’article 20 et l’article 21 de la Constitution sont clairs, c’est le gouvernement qui exécute la politique étrangère et la politique de défense de la France». Dans l’hypothèse d’une cohabitation avec le Rassemblement national, cela pourrait conduire à des révisions importantes de la politique étrangère française, notamment sur des dossiers sensibles comme l’Ukraine ou le conflit israélo-palestinien.

Concernant les relations avec le Maghreb et l’Afrique, le chercheur estime que le Rassemblement national pourrait adopter une position plus tranchée, notamment vis-à-vis du Maroc. «Le Rassemblement national est sans doute le plus pro-marocain des partis politiques français», affirme-t-il, évoquant un possible soutien à la «marocanité du Sahara». Cette position pourrait marquer un tournant dans la politique française au Maghreb, traditionnellement caractérisée par une certaine prudence diplomatique sur la question du Sahara. En revanche, les relations avec l’Algérie pourraient se tendre, le RN adoptant une position plus «exigeante» envers Alger. Emmanuel Dupuy explique : «Clairement, la position d’un certain nombre d’anciens membres du RN vis-à-vis de l’Algérie est sentimentale, elle est presque émotive, psychologiquement parlant». Cette approche pourrait conduire à une révision de l’accord de 1968 sur les travailleurs algériens, un sujet sensible dans les relations franco-algériennes. Quant à la Tunisie, le chercheur envisage une possible convergence entre le RN et le président Kaïs Saïed, dans une logique de «démocratie illibérale» et de respect mutuel de la souveraineté nationale.

Au niveau européen, une victoire de l’extrême droite en France s’inscrirait dans une tendance plus large de montée des forces conservatrices et nationalistes. Emmanuel Dupuy évoque la création d’un nouveau groupe parlementaire européen réunissant plusieurs partis d’extrême droite, qui pourrait constituer une «minorité de blocage» au sein des institutions européennes. «Si on agglomère la Hongrie et l’Italie, si on y associe en plus les Pays-Bas et la République slovaque, voire la France, on a là une minorité de blocage qui est aussi délétère que ne l’était le droit de veto que les Hongrois et les Slovaques brandissent souvent, quand il s’agit de soutenir l’Ukraine», explique-t-il. Cette reconfiguration politique en France et en Europe soulève de nombreuses interrogations quant à l’avenir des politiques migratoires et des relations avec les pays du sud de la Méditerranée. Le chercheur anticipe des «politiques plus discriminatoires, beaucoup plus dures, beaucoup plus irrationnelles», remettant en cause certains fondements du modèle d’intégration français. Il évoque notamment la possibilité d’une remise en cause du droit du sol, une proposition phare du Rassemblement national.

L’impact sur la politique migratoire et l’identité nationale

La question migratoire, thème central du programme du Rassemblement national, pourrait connaître des évolutions significatives en cas de victoire de ce parti. Emmanuel Dupuy souligne que le RN pourrait s’inspirer des politiques mises en place par d’autres gouvernements européens de droite, comme celui de Giorgia Meloni en Italie. «Il y a sans doute une convergence qui va poindre entre un Viktor Orbán (Premier ministre hongrois), entre une Giorgia Meloni (Italie), entre un président Andrzej Duda en Pologne, avec un premier ministre néerlandais qui sera obligé de tenir compte des forces qui soutiennent sa majorité», explique-t-il.

Ces politiques pourraient inclure une remise en question du droit du sol, un pilier de l’identité nationale française depuis 1851. Le chercheur met en garde contre les conséquences potentielles de telles mesures : «Cela met en danger ou met en péril l’identité nationale, une identité profondément interculturelle, mutuellement bénéfique, en mettant en avant l’altérité des nationalités, même des doubles nationalités qui composent notre nation». Cette évolution pourrait avoir des répercussions importantes pour les millions de binationaux vivants en France, notamment ceux issus des pays du Maghreb et d’Afrique. Emmanuel Dupuy souligne que «ce débat s’est vu d’ailleurs un petit peu partout en Europe», citant des exemples en Espagne, au Portugal et en Italie.

Les implications géopolitiques d’un changement de majorité

Un changement de majorité en France pourrait également avoir des conséquences importantes sur la scène géopolitique mondiale. Emmanuel Dupuy évoque plusieurs dossiers qui pourraient connaître des évolutions significatives. Il s’agit de la guerre en Ukraine : Le Rassemblement national pourrait conditionner l’aide militaire française à l’Ukraine «à un certain nombre de résultats ou en diminuer l’intensité, à peu près comme Donald Trump le ferait sans doute s’il accédait à la magistrature suprême». Il s’agit aussi du conflit israélo-palestinien : le RN pourrait adopter une position plus favorable à Israël, en «récusant la décision irlandaise, norvégienne et espagnole de reconnaître unilatéralement l’État de la Palestine»... Ces changements potentiels de politique étrangère pourraient redéfinir la place de la France sur l’échiquier mondial, avec des implications pour ses alliances traditionnelles et son rôle au sein de l’Union européenne.

La France à la croisée des chemins

Alors que le second tour des élections législatives approche, la France se trouve à un tournant de son histoire politique. L’issue de ce scrutin pourrait non seulement redéfinir les équilibres internes du pays, mais aussi avoir des répercussions majeures sur la scène internationale. Entre risque de paralysie institutionnelle et recomposition des alliances, l’Hexagone s’apprête à entrer dans une période d’incertitude. Emmanuel Dupuy souligne l’importance de ce moment : «Les Français, de ce point de vue-là, ne s’y sont pas trompés en votant, encore une fois, avec plus ou moins un équilibre entre les trois principales forces». Cette mobilisation exceptionnelle témoigne de la prise de conscience des enjeux par les citoyens. Les prochains jours seront cruciaux pour déterminer la direction que prendra le pays. Les négociations entre les différentes forces politiques, les stratégies de désistement ou de maintien des candidats, et la capacité de mobilisation des électeurs au second tour seront déterminantes.
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