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Les avocats istiqlaliens relèvent les «insuffisances» du projet de réforme de la procédure pénale

Le débat s’intensifie autour du projet de réforme du Code de procédure pénale marocain. L’Alliance des avocats istiqlaliens vient d’organiser une conférence où d’éminents juristes ont dénoncé «l’absence de garanties suffisantes pour un procès équitable». Au cœur des préoccupations : l’affaiblissement du rôle de la défense, notamment durant la phase d’enquête préliminaire. Un consensus s’est dégagé sur la nécessité de poursuivre la mobilisation dans l’objectif d’aboutir à une révision garantissant véritablement les droits des citoyens. L’Alliance a annoncé dans ce sens son intention de présenter un mémorandum détaillé au Parlement, proposant des amendements concrets pour remédier aux «lacunes» identifiées.

Dans la vaste salle de conférence du quartier général du Parti de l’Istiqlal, sous les bannières roses estampillées du symbole de la balance, des avocats, des juristes et des défenseurs des droits humains se sont réunis, la semaine dernière, pour débattre d’un sujet qui agite actuellement les milieux juridiques et politiques marocains : le projet de réforme du Code de procédure pénale. Cette rencontre, organisée par l’Alliance des avocats istiqlaliens, intervient dans le sillage de celles animées la semaine précédente par le PPS (Parti du progrès et du socialisme) et l’USFP (Union socialiste des forces populaires), illustrant l’ampleur des préoccupations suscitées par ce texte controversé (cf. www.lematin.ma).

«Une réforme d’une telle ampleur ne peut se faire sans nous», a martelé Khalid Tarabelsi, président de l’Alliance, donnant d’emblée le ton d’une conférence qui allait mettre en lumière les nombreuses inquiétudes de la profession face à ce qu’ils considèrent comme un projet de loi potentiellement dangereux pour les libertés individuelles et le droit à un procès équitable.

La défense, «deuxième aile de la justice», ignorée dans le processus de réforme

En effet, Mᵉ Tarabelsi n’a pas mâché ses mots en ouvrant les débats, soulignant que la révision du Code de procédure pénale ne pouvait se faire «en catimini». Il a insisté sur le rôle fondamental des avocats dans le système judiciaire, les décrivant comme «la deuxième aile de la justice», ce qui justifie pleinement leur implication directe dans toute réforme touchant aux garanties d’un procès équitable. «Il y a de nombreuses observations fondamentales à formuler, mais je me contenterai de souligner un point essentiel : l’absence de garantie sur la présence de l’avocat durant la phase d’enquête préliminaire devant la police judiciaire. Il s’agit d’une procédure fondamentale pour garantir les droits de la défense et protéger les accusés contre d’éventuels abus», a-t-il déclaré avec vigueur.



Cette absence constitue, selon lui, l’une des «régressions réelles» du projet, ayant suscité «une vague de discussions et de critiques» dans les milieux juridiques. Mᵉ Tarabelsi a également pointé du doigt l’insuffisance des garanties pour un procès équitable dans le texte actuel, ce qui nécessiterait «une révision substantielle de nombreuses dispositions afin d’assurer le respect des droits constitutionnels et des conventions internationales ratifiées par le Maroc». L’intervention du président de l’Alliance a mis en lumière une préoccupation partagée par de nombreux juristes : la nécessité d’évaluer le projet à l’aune des standards internationaux et de la Constitution marocaine de 2011, qui garantit explicitement le droit à un procès équitable et la présomption d’innocence.

Le bâtonnier de Rabat dénonce un «recul sans précédent» pour la défense

L’intervention du bâtonnier du barreau de Rabat, Aziz Rouibah, a pour sa part livré une analyse d’une pertinence exceptionnelle. Sa présentation, centrée sur les principes fondamentaux que sont la présomption d’innocence, l’indépendance du pouvoir judiciaire et les conditions d’un procès équitable, a été un réquisitoire à la fois fort et structuré du projet de réforme.

Après avoir rappelé que ces principes constituent «les piliers fondamentaux du système judiciaire au Maroc», le bâtonnier a affirmé que toute réforme législative doit garantir leur respect, les considérant comme «la pierre angulaire pour réaliser une justice équitable et transparente qui protège les droits des individus et préserve les acquis juridiques».

Me Rouibah est allé plus loin en évoquant l’influence que subirait le législateur : «Une lecture attentive du projet de réforme du Code de procédure pénale révèle l’influence d’entités extérieures au système législatif, ce qui soulève des questions fondamentales sur le degré d’indépendance du processus législatif au Maroc».

Le bâtonnier n’a pas hésité à attribuer la responsabilité politique de ce projet au gouvernement et au Parlement, tout en nuançant son propos : «Il convient de respecter l’indépendance de certaines instances, car parfois nous sacralisons l’indépendance de certaines entités, ce qui est tout à fait normal, mais nous ne pouvons pas considérer l’indépendance d’autres instances comme secondaire, susceptible d’être perturbée pour des considérations spécifiques».

Droit au silence et présence de l’avocat : des garanties fondamentales en péril

Concernant spécifiquement le projet de réforme de la procédure pénale, le bâtonnier Rouibah a souligné que la Constitution de 2011 affirme clairement le principe du droit au silence lors de l’arrestation. «Ce droit est incontestable, et un officier de police judiciaire n’a pas le droit de discuter de questions en dehors du cadre de l’arrestation», a-t-il précisé.

Il a également relevé un point critique : «La personne arrêtée peut ne pas être pleinement consciente des motifs de son arrestation, ce qui représente un danger majeur non seulement pour la présomption d’innocence, mais aussi pour le principe du droit au silence et son application», a-t-il ajouté. De même, le bâtonnier a fermement dénoncé le fait que le projet de loi actuel représente «une restriction sans précédent sur la présence de l’avocat lors de l’enquête préliminaire», alors que toutes les législations comparables permettent sa présence à ce stade crucial, que ce soit lors de l’enquête préliminaire ou en cas de flagrant délit». «Cette orientation reflète une vision politique et sécuritaire qui n’accorde pas à l’avocat le rôle véritable qu’il devrait jouer aux côtés du citoyen», a-t-il affirmé, avant de conclure que cette disposition constitue «une remis en cause d’un ensemble de dispositions constitutionnelles et de conventions internationales ratifiées par le Maroc, qui garantissent les droits et libertés fondamentales».

L’analyse de Me Rouibah a rejoint en cela les préoccupations exprimées par d’autres intervenants, qui ont souligné que le droit au silence et la présence de l’avocat dès les premières heures de l’enquête sont des garanties essentielles pour éviter les abus et protéger les droits fondamentaux des personnes soupçonnées.

Pour un Code de procédure pénale qui protège la dignité du citoyen

De son côté, le bâtonnier Abderrahim El Jamaï a estimé que le Code de procédure pénale dans sa forme actuelle ne donnait pas au citoyen un sentiment de sécurité, et que de ce fait il suscite «étonnement, crainte et protestation». «Le citoyen a besoin d’un code pénal qui protège sa dignité, et non d’un code qui la bafoue d’un trait de plume», s’est-il insurgé.

«Si on se présente comme un modèle dans la région, comment peut-on accepter des lois qui suscitent la peur et l’anxiété au lieu de renforcer la confiance en la justice ?», s’est-il interrogé, mettant en avant la contradiction entre les ambitions affichées du Maroc en matière de droits humains et certaines dispositions de ce projet de réforme. Partant de là, Me El Jamaï a insisté sur le fait que le projet de Code de procédure pénale devait garantir une clarté totale dans l’établissement des preuves et ne doit en aucun cas rester vague, soulignant l’importance d’accorder aux institutions judiciaires la place qu’elles méritent, pour asseoir les bases d’une véritable justice. «C’est la loi qui façonne la justice, et non les juges seuls», a-t-il affirmé, indiquant la nécessité d’une législation claire dans la protection des droits et la garantie d’un procès équitable.

Toujours dans le cadre de son plaidoyer en faveur d’une justice indépendante, Me El Jamaï a lancé un appel direct aux parlementaires et députés du Parti de l’Istiqlal, les exhortant à s’abstenir de voter certains textes juridiques qui suscitent inquiétude et polémique. «L’adoption unanime des lois n’est pas un signe de démocratie, c’est la preuve plutôt de l’absence d’un véritable débat», a-t-il souligné.

L’indépendance du juge d’instruction en question

Me El Jamaï a, par ailleurs, insisté sur le fait que toute réforme juridique doit prendre en compte l’indépendance du juge d’instruction, mettant en garde que toute atteinte à cette indépendance pourrait ébranler la confiance dans l’institution judiciaire. «Si le juge d’instruction perd son indépendance, nous entrons dans des labyrinthes infinis et la crédibilité des institutions judiciaires sera ainsi compromise», a-t-il ajouté, appelant à réduire sa relation avec l’appareil de police judiciaire pour garantir son impartialité totale. Cette préoccupation concernant l’indépendance du juge d’instruction fait écho à une inquiétude encore plus large sur l’équilibre des pouvoirs au sein du système judiciaire marocain. De nombreux juristes craignent que ce projet de réforme ne renforce excessivement le pouvoir du ministère public au détriment du juge d’instruction et des droits de la défense, créant ainsi un déséquilibre préjudiciable à l’équité des procédures pénales.

Entre sécurité et droits fondamentaux : un équilibre difficile à trouver

Il faut dire que les différentes interventions lors de cette conférence ont mis en lumière une tension fondamentale dans le projet de réforme : l’équilibre délicat entre les impératifs sécuritaires et la protection des droits et libertés fondamentaux. Si la lutte contre la criminalité et le terrorisme nécessite des outils efficaces, elle ne doit pas se faire au détriment des garanties essentielles d’un État de droit, ont relevé les intervenants. Ces derniers ont soulevé une réflexion fondamentale : un État qui se modernise et renforce ses capacités sécuritaires se doit parallèlement de renforcer les garanties procédurales pour ses citoyens, plutôt que de les restreindre au nom d’une efficacité qui pourrait être attentatoire aux garanties du procès équitable. D’autant que le Maroc est tenu de respecter ses engagements internationaux en la matière comme cela a été rappelé avec insistance lors de cette conférence : «Nous sommes dans un concert international, nous avons des conventions internationales liées à la présomption d’innocence et au procès équitable. On ne peut se permettre de ne pas les respecter !» Le projet de réforme de la procédure pénale, tel qu’il est actuellement conçu, pourrait mettre le Royaume en contradiction avec ces engagements, attirant potentiellement des critiques et des observations de la part des mécanismes internationaux de protection des droits humains, a-t-on alerté lors de cette rencontre.

Vers un mémorandum détaillé: la mobilisation se poursuit

Au terme de cette conférence, les participants ont été unanimes à souligner la nécessité de poursuivre la mobilisation et le dialogue autour de ce projet «contesté», avec l’objectif d’aboutir à une révision qui garantisse véritablement les droits et libertés des citoyens marocains, conformément aux dispositions constitutionnelles et aux engagements internationaux du Royaume.

L’Alliance des avocats istiqlaliens a annoncé son intention de présenter un mémorandum détaillé au Parlement, exprimant les réserves de la profession et proposant des amendements concrets pour remédier aux «lacunes» identifiées dans le projet de réforme du Code de procédure pénale, réaffirmant ainsi son engagement en faveur d’une justice équitable et indépendante au service des citoyens.
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