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Pourquoi la réforme de la procédure pénale alarme avocats et défenseurs des droits de l’Homme

Réunis vendredi dernier à Dar Al Mouhami (la Maison de l’avocat) à Casablanca, juristes, avocats et acteurs politiques sonnent l’alarme. Ils mettent en garde contre un texte qui pourrait menacer les acquis démocratiques du Maroc. Le Projet de Loi 03.23 sur la procédure pénale, actuellement en discussion, cristallise les inquiétudes d’une société civile vigilante et jalouse des avancées réalisées en matière de justice et de libertés. Parmi elles, de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer certaines dispositions jugées incompatibles avec la Constitution et les engagements internationaux du Royaume. Entre protection des libertés et efficacité judiciaire, le débat révèle les craintes et parfois les incertitudes qui accompagnent la réforme du système judiciaire. En tout cas, les participants à la rencontre n’ont pas mâché leurs mots : ce projet est un «rendez-vous manqué avec l’histoire des droits», car il ne garantit pas l’équilibre entre sécurité publique et droits fondamentaux des citoyens.

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Dans la solennité de la Maison de l’avocat à Casablanca, vendredi dernier, le ton était grave. Réunis vendredi dernier sous l’égide du secteur des avocats du Parti du progrès et du socialisme (PPS), avocats, militants des droits humains et responsables politiques ont livré un diagnostic sans concession du Projet de Loi 03.23 relatif à la procédure pénale. La formule de l’ancien ministre de la Justice et des libertés, Mustapha Ramid, a été sévère et lourde de sens : ce texte aurait «manqué son rendez-vous avec l’histoire des droits» du Maroc.

Tour comme M. Ramid, cette pléiade d’experts en droit pénal n’a pas fait dans la dentelle. Pour elle, ce Projet de Loi pourrait constituer une «régression significative» par rapport aux acquis démocratiques du royaume, de même que plusieurs de ses articles sont jugés en contradiction flagrante avec la Constitution marocaine et les conventions internationales ratifiées par le pays.

Un texte controversé qui divise la communauté juridique

Le Projet de Loi 03.23 sur la procédure pénale est appelé à marquer un tournant décisif dans l’évolution législative pénale marocaine. Conçu pour succéder à la Loi 22.01 actuellement en vigueur, il provoque déjà une onde de choc dans les milieux juridiques et parmi les militants des droits humains comme en témoigne l’effervescence des débats. Au-delà des remarques formulées çà et là, deux articles semblent particulièrement controversés : les dispositions 3 et 7, dont la portée alarme de nombreux observateurs.

L’article 3, point focal des critiques, limite considérablement les pouvoirs du ministère public dans les affaires de corruption. Selon cette disposition, «les enquêtes et l’action publique concernant les crimes portant atteinte aux deniers publics ne peuvent être engagées que sur demande du Procureur général du Roi près la Cour de cassation, en sa qualité de chef du ministère public». Cette demande doit elle-même être fondée, dans certains cas, sur une saisine préalable de la Cour des comptes ou d’autres institutions spécifiques. «Ce texte constitue un recul sur plusieurs acquis», a martelé Mustapha Ramid, qui a été le plus grand détracteur de ce projet lors de cette rencontre. L’ancien ministre de la Justice a exprimé ses regrets quant à la réduction du rôle du ministère public dans la lutte contre la corruption, appelant à une révision de cette disposition lors des débats parlementaires.



Le deuxième point d’achoppement concerne l’article 7, qui exige des associations une autorisation préalable du ministère de la Justice pour engager des actions en justice. Cette formalité est perçue comme un obstacle majeur à l’action de la société civile. «Cette restriction va à l’encontre de la Constitution et de la Convention internationale contre la corruption», a souligné l’ancien ministre, considérant que ces dispositions auraient dû être développées pour garantir davantage de droits et de libertés.

Pour sa part, Mohammed Ghaloussi, président de l’Association marocaine pour la protection des deniers publics, va plus loin dans sa lecture de ce texte. Pour lui, le message est clair : «L’objectif de ce Projet de Loi est de protéger une poignée de corrompus». Il a déploré l’existence «d’individus que le gouvernement souhaite maintenir à l’abri du contrôle de la société», malgré le droit légitime des citoyens à exercer un contrôle sur les politiques publiques.

Droits de la défense : un équilibre «fragilisé»

Le rôle de l’avocat dans le processus judiciaire constitue un autre point névralgique des débats. Hassan Birouaine, ancien bâtonnier, a livré une analyse détaillée des implications du projet sur les droits de la défense, élément fondamental d’un procès équitable.

«La question n’est pas seulement celle de la phase du procès devant les juridictions, mais concerne, également, l’enquête préliminaire, l’instruction préparatoire, le jugement et même l’exécution de la peine», a-t-il expliqué dans une intervention structurée autour de trois axes : les modifications positives renforçant le rôle de la défense, les amendements négatifs réduisant les garanties d’un procès équitable, et les dispositions absentes qui auraient pu améliorer ces garanties.

Le bâtonnier Abderrahim Jamaï a, quant à lui, pointé du doigt un problème non moins important : «Le plus grave dans un crime n’est pas sa commission, mais la manière dont on enquête, dont on découvre le criminel, dont on le poursuit et dont on le juge». Ces procédures touchent à l’essence même de la liberté humaine, a-t-il rappelé, soulignant que la procédure pénale devrait être le fruit d’un dialogue national inclusif impliquant toute la société et ses institutions, et non l’apanage des seuls politiciens. Sa critique a été plus acerbe lorsqu’il a évoqué la rédaction du projet : «Sa formulation a été influencée par le Secrétariat général du gouvernement, la gendarmerie, la police et l’administration pénitentiaire, tandis que les juges et les avocats en ont été exclus». Cette approche révèle, selon lui, «une mentalité sécuritaire et politique plutôt qu’une vision judiciaire ou axée sur les droits».



Face à ces constats, Abderrahim Bensar, membre du bureau politique du PPS, a appelé à une vision plus ambitieuse de la réforme. «La réforme de la procédure pénale ne doit pas se limiter à une simple modification technique de certaines dispositions, mais doit constituer un chantier fondamental reflétant l’évolution de la société marocaine et ses aspirations à une justice indépendante, efficace et équitable», a-t-il affirmé.

Le spectre de la «régression des libertés»

La présomption d’innocence, pierre angulaire de tout système judiciaire moderne, semble, également, fragilisée par le projet en cours d’examen au Parlement. Le bâtonnier Jamaï a déploré sa «dévalorisation» dans le nouveau texte. «Sans présomption d’innocence, il n’y a ni droit pénal ni droits humains», a-t-il martelé, insistant sur la nécessité de maintenir ce principe au premier rang des préoccupations législatives.

L’indépendance du juge d’instruction est un autre sujet d’inquiétude. Le projet prévoit que ce magistrat soit désigné par le ministère public, ce qui, selon les critiques, menace son autonomie. Le bâtonnier Jamaï a plaidé pour que cette nomination relève plutôt du président du tribunal, qui n’est pas partie prenante du litige.

Plus globalement, les participants ont souligné que les réformes projetées ne devraient pas être de simples réactions à des incidents isolés, mais s’inscrire dans une vision claire visant à renforcer l’État de droit et les institutions. Pour eux, un procès équitable est bien plus qu’une simple procédure technique, c’est l’expression des valeurs de justice et des droits humains, une responsabilité partagée entre tous les acteurs du système judiciaire.

C’est la raison pour laquelle, Mustapha Ramid a insisté sur l’importance de la présence des avocats aux côtés des accusés lors des interrogatoires, considérant que l’attention portée à cette question par le législateur représenterait «une garantie fondamentale pour la protection de leurs droits». Il n’a pas manqué de rappeler à ce titre les critiques formulées par les Nations unies à l’égard du Maroc, notamment les rapports du Groupe de travail sur la détention arbitraire qui a critiqué l’absence d’avocats lors des interrogatoires de certains détenus.

La détention provisoire : un «abus» persistant

Le recours excessif à la détention provisoire demeure par ailleurs une préoccupation majeure pour les défenseurs des droits des justiciables. Le Projet de Loi tente certes d’introduire de nouvelles clarifications sur les dispositions relatives à cette mesure, mais selon Hassan Birouaine, «cette question restera un point noir dans la pratique judiciaire».

«Il faut énoncer clairement un principe clair et explicite : le droit de tout accusé à comparaître libre devant la justice, puis organiser les exceptions dans leurs limites strictes», a-t-il plaidé, appelant à clarifier, également, le statut de la détention provisoire pendant les phases du procès et non seulement durant l’instruction.

Cette position rejoint les préoccupations exprimées par Loubna Saghiri, coordinatrice nationale du secteur des avocats du PPS et membre du bureau politique du parti, qui a ouvert ce débat. Elle a souligné que le droit de l’accusé à se défendre par l’intermédiaire d’un avocat dès les premiers moments de son arrestation et la nécessité de réglementer la garde à vue figuraient parmi les questions essentielles qui justifiaient une réforme approfondie du Code de procédure pénale.

La justice pénale à la croisée des chemins

Outre les insuffisances signalées par les différents intervenants, Hassan Birouaine estime que le projet de réforme en cours aurait dû être plus ambitieux, en revenant à l’esprit de la Loi de 1959 et aux principes de liberté qu’elle contenait, avant les modifications introduites par le décret sur les procédures transitoires de 1974. «Il aurait peut-être été approprié de dépasser la fracture résultant de l’adoption du décret sur les procédures transitoires en 1974, et de revenir explicitement à la Loi de 1959 et à l’esprit législatif qu’elle contenait, notamment en matière de consécration des libertés, des droits et des garanties d’un procès équitable», a-t-il souligné.

L’ancien bâtonnier a, par la même occasion, regretté l’absence de sanctions clairement définies pour les violations des dispositions impératives du code, ainsi que le maintien de la force probante des procès-verbaux d’enquête préliminaire, malgré l’adoption de nouvelles techniques d’investigation criminelle. Abondant dans le même sens, Abderrahim Bensar a rappelé que toute réforme de la procédure pénale doit s’appuyer sur «le renforcement des garanties d’un procès équitable, ce qui souligne l’importance de consolider le rôle de la défense, le principe de présomption d’innocence, et la mise en place de mécanismes pour prévenir toute injustice ou abus, ainsi que la limitation de la durée de la détention provisoire».

Il a insisté lui aussi sur la nécessité «de suivre l’évolution en tirant parti des technologies modernes, de lutter contre l’impunité, de renforcer le rôle de la justice dans la lutte contre toutes les formes de corruption et de déviance, et de relever les défis sécuritaires tout en respectant les principes des droits humains et les conventions internationales».

Quelle alternative pour une justice plus respectueuse des droits

Plus que de formuler des critiques et de relever les lacunes du projet de réforme, les participants ont esquissé les contours d’une justice pénale plus respectueuse des droits et libertés. Pour Abderrahim Bensar, la solution passe par l’élaboration d’un système judiciaire moderne qui respecte les droits humains et consacre la justice sociale. Il a réaffirmé l’engagement de son parti à poursuivre son action dans ce sens.

Hassan Birouaine a plaidé pour un retour au système des jurés qui était prévu dans la Loi de 1959 et qui a été abandonné avec le décret des procédures transitoires. «Malgré ses défauts, le système des jurés est adopté dans la plupart des systèmes judiciaires comparés depuis des siècles», a-t-il souligné, appelant à ne pas soumettre la justice pénale aux contraintes d’une «justice de masse» et à se concentrer sur le droit du citoyen marocain à avoir confiance en la justice de son pays.

Mustapha Ramid, fort de son expérience ministérielle et professionnelle, a appelé à faire prévaloir la voix de la raison et de la sagesse en faisant preuve de courage pour réviser les dispositions contestées. «Je m’adresse au gouvernement et à toutes les personnes raisonnables, nous devons faire preuve de courage», a-t-il déclaré, soulignant que le problème «ne se limite plus aux droits et libertés des citoyens, mais affecte également la réputation de l’État».

L’appel à un dialogue national inclusif sur la justice

Dans le même ordre d’idées, les participants ont unanimement appelé à l’ouverture d’un dialogue national inclusif sur la réforme de la justice pénale. Ils ont insisté sur la nécessité d’impliquer tous les acteurs concernés : magistrats, avocats, universitaires, société civile et citoyens. Comme l’a souligné Loubna Saghiri, «tout projet de réforme de la Loi de procédure pénale doit refléter les choix de l’État en matière de primauté du droit d’une part, et créer un équilibre entre la protection et la garantie des droits de la société d’une part, et la garantie des droits et libertés fondamentales d’autre part». La juriste s’est interrogée sur la capacité du Projet de Loi 03.23 à «répondre aux questions brûlantes concernant la mise en œuvre réelle des objectifs qui lui sont assignés, en tenant compte de la dimension des droits humains de manière plus approfondie et en garantissant un équilibre entre les exigences de sécurité et d’ordre public d’une part, et les garanties d’un procès équitable d’autre part».

Alors que le texte est en cours de discussion du Parlement, la balle est dans le camp des députés qui peuvent enrichir le débat et rectifier le tir quand il le faut. Les défenseurs des droits et libertés, eux, restent vigilants et semblent déterminés à ne pas laisser passer un projet qui pourrait, selon eux, marquer un recul significatif pour la démocratie marocaine.
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