Quatre années après sa mise en œuvre, le projet des «écoles pionnières», mis en place pour améliorer la qualité de l'enseignement primaire, affiche des résultats contrastés. Une évaluation externe menée par le Conseil supérieur de l'éducation, de la formation et de la recherche scientifique (CSEFRS) et dont les résultats viennent d’être dévoilés a mis en évidence des progrès dans certains domaines, mais aussi des dysfonctionnements majeurs qui entravent son efficacité. Parmi ces défis figurent les inégalités d’apprentissage en mathématiques, le manque de suivi des enseignants, l’insuffisance des infrastructures et les disparités régionales. L’évaluation a été réalisée sur un échantillon de 626 écoles primaires ayant participé à la phase expérimentale du projet durant l’année scolaire 2023-2024. Un total de 2.457 enseignants et 8.732 élèves ont été sélectionnés de manière aléatoire pour participer à cette étude. Les données ont été recueillies à travers des questionnaires, des observations en classe, l’analyse de documents administratifs et des tests standardisés (ASER) pour mesurer les acquis des élèves en mathématiques et en langues.
Des progrès inégaux en mathématiques et des difficultés persistantes
L'évaluation met en évidence une amélioration notable des compétences en mathématiques chez certains élèves, grâce notamment à l'intégration de la méthode «Teaching at the Right Level» (TaRL). En effet, 67% des élèves ont montré une progression entre le début et la fin de la période d'évaluation. Cependant, ces avancées ne sont pas uniformes. Le rapport souligne que l'efficacité de la méthode TaRL est plus marquée chez les élèves des niveaux inférieurs (deuxième et troisième années du primaire), alors que ceux des classes supérieures (quatrième, cinquième et sixième années) rencontrent davantage de difficultés à rattraper leurs lacunes accumulées. Environ un quart à plus de la moitié des élèves (26% à 55%) n'ont pas montré de progrès, voire ont vu leur niveau régresser. Cela met en lumière un problème structurel : les démarches correctives ne suffisent pas à combler les lacunes profondes des élèves en difficulté.
Des infrastructures insuffisantes et des inégalités régionales
L’étude révèle également des insuffisances dans les infrastructures scolaires. Si certaines écoles bénéficient de locaux bien entretenus et équipés, d'autres, en particulier en milieu rural, souffrent d’un manque criant d’espaces adaptés à l’apprentissage. L’état dégradé des sanitaires constitue un problème majeur, en particulier dans des régions comme Souss-Massa et Tanger-Tétouan-Al Hoceïma. Le déficit en équipements pédagogiques et en matériel didactique limite l’application des nouvelles approches d’apprentissage, et la sécurité dans les écoles reste une préoccupation, notamment en milieu rural où les dispositifs de surveillance sont souvent insuffisants.
Un manque criant de suivi et d'encadrement pédagogique
L’un des principaux freins à l'efficacité du programme reste le manque d'accompagnement des enseignants. L'évaluation externe indique que l'accompagnement pédagogique est très insuffisant, avec une moyenne nationale de conformité de seulement 60 points sur 100. Cette lacune est encore plus prononcée dans les zones rurales, où ce score chute à 48 points, contre 68 en milieu urbain. Le manque de visites d'inspection constitue un problème majeur, avec un écart important entre le milieu urbain et rural. Cela signifie que de nombreux enseignants, en particulier ceux exerçant dans des contextes défavorisés, doivent gérer seuls les difficultés pédagogiques sans accompagnement institutionnel.
Un projet difficile à généraliser à l’ensemble du Maroc
L’initiative des «écoles pionnières» a permis d’expérimenter de nouvelles approches éducatives, mais sa généralisation à l’ensemble du pays demeure un défi de taille. Le modèle éducatif mis en place reste rigide et centré principalement sur l’amélioration des compétences fondamentales, sans prendre en compte des dimensions essentielles comme la créativité, l’innovation ou la pensée critique, pourtant mises en avant par la Vision stratégique 2015-2030. En outre, la gestion du programme reste fortement centralisée, limitant l’autonomie des écoles pour adapter leurs méthodes pédagogiques en fonction de leurs besoins spécifiques. Les contraintes budgétaires entravent également une mise en œuvre à grande échelle, avec des financements insuffisants et une gestion administrative déficiente.
Des critiques sur l’orientation du projet
Aussitôt publiées, les conclusions de ce rapport ont fait réagir les observateurs. Khalid Samadi, président du Centre marocain des études et recherches éducatives et ancien secrétaire d'État chargé de l'enseignement supérieur, a dénoncé un écart entre la mise en œuvre du projet des «écoles pionnières» et les principes de la Vision stratégique et du cadre juridique en vigueur. Selon lui, la mise en œuvre de la réforme ne respecte pas le cadre légal établi et manque de continuité. Il critique également le fait que le ministère ait misé l’ensemble de la réforme sur l’expérience des «écoles pionnières», malgré les défaillances conceptuelles et les difficultés d’application révélées par l’évaluation.
Bien que le projet des «écoles pionnières» ait permis quelques avancées, notamment sur le plan pédagogique, il demeure largement limité par des obstacles majeurs. Les inégalités entre les établissements, ainsi que le manque d’accompagnement des enseignants, freinent son efficacité et sa généralisation. De plus, l’adaptation du programme aux exigences de la Vision stratégique 2015-2030 reste insuffisante, ce qui soulève des questions sur la pérennité de la réforme. Face à ces défis, le ministère de l’Éducation nationale se trouve à la croisée des chemins : rectifier le tir pour éviter davantage d’années de réformes perdues ou abandonner tout simplement ce projet, qui ne sera pas sans conséquences aussi bien sur le plan politique que sur le plan financier.
Bien que le projet des «écoles pionnières» ait permis quelques avancées, notamment sur le plan pédagogique, il demeure largement limité par des obstacles majeurs. Les inégalités entre les établissements, ainsi que le manque d’accompagnement des enseignants, freinent son efficacité et sa généralisation. De plus, l’adaptation du programme aux exigences de la Vision stratégique 2015-2030 reste insuffisante, ce qui soulève des questions sur la pérennité de la réforme. Face à ces défis, le ministère de l’Éducation nationale se trouve à la croisée des chemins : rectifier le tir pour éviter davantage d’années de réformes perdues ou abandonner tout simplement ce projet, qui ne sera pas sans conséquences aussi bien sur le plan politique que sur le plan financier.
