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Les Marocains du monde entre contribution économique et exclusion politique

Une journée d’étude consacrée aux «Marocains du monde» a jeté une lumière crue sur le paradoxe de la diaspora marocaine : contributeurs majeurs à l’économie nationale (10% du PIB), mais toujours privés d’une représentation politique effective. Organisée le 7 avril 2025 par l’Association marocaine des politiques publiques et ses partenaires, cette rencontre a rassemblé chercheurs et universitaires qui ont analysé les défis institutionnels, politiques et identitaires auxquels font face les six millions de Marocains établis à l’étranger. Entre promesses constitutionnelles non tenues, blocages législatifs et réformes annoncées, la question des droits politiques des MRE reste «l’arlésienne» de la vie politique marocaine, révélant un déphasage persistant entre les discours officiels et leur mise en œuvre concrète.

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C'est dans l'amphithéâtre de la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales d'Agdal-Rabat que s'est tenue, lundi 7 avril 2025, une journée d'étude riche sur «Le rôle des Marocains du monde dans le développement : vers une nouvelle vision de l'inclusion et de la participation active». L'événement, fruit d'une collaboration entre l'Association marocaine des politiques publiques (AMPP dirigée par Jamal Hattabi, ancien doyen de la Faculté de droit de Mohammedia), le département de droit public et de sciences politiques et la Fondation Friedrich Naumann-Maroc, a réuni à Rabat universitaires et chercheurs pour débattre d'une question fondamentale : comment intégrer pleinement les Marocains résidant à l'étranger dans le processus démocratique et le développement du pays ?

Présidée par Jamal Hattabi, ancien doyen de la Faculté de droit de Mohammedia et docteur de l'Université de Montpellier, la principale thématique de cette rencontre interdisciplinaire, consacrée au sujet problématique «la Participation politique et civique des MRE», a permis d'explorer les dimensions politiques, économiques et culturelles. Une problématique qui touche plus de six millions de citoyens marocains vivant dans plus de 100 pays au-delà des frontières nationales.

Un droit politique reconnu mais jamais concrétisé

«La représentation politique des citoyens résidant à l'étranger est un droit garanti au niveau international, constitutionnel et juridique», a affirmé Sanae Kasmi, enseignante-chercheuse, dans son intervention intitulée «Représentation des MRE dans les institutions nationales : un processus en maturation». Selon elle, ce principe, bien qu'affirmé sur le plan formel et faisant consensus au sein de la majorité de la classe politique, «a souvent été renié dans la pratique et nécessite une volonté ferme pour dépasser les obstacles de sa concrétisation».



Ce constat sévère résume le paradoxe : d'une part, une reconnaissance constitutionnelle des droits politiques des MRE, d'autre part, une série de blocages législatifs et techniques qui empêchent l'exercice effectif de ces droits. «Les textes législatifs rendent inopérant l'exercice de certains droits garantis par la Constitution pour les Marocains résidant à l'étranger», a-t-elle souligné, citant notamment le vote par procuration, l'absence de campagne électorale dans les pays de résidence et un droit à l'éligibilité réduit à une portée théorique.

Abderrahim Manar Slimi, également enseignant-chercheur, a approfondi cette analyse en évoquant «Le politique et le juridique en matière de représentativité électorale des MRE». Pour lui, des obstacles techniques majeurs subsistent : «L'inscription sur les listes électorales, la double nationalité posent un problème par rapport à la souveraineté. Les pays d'accueil, est-ce qu'ils acceptent les pratiques électorales marocaines ?» Il a également soulevé la question des recours électoraux : «La Cour constitutionnelle, quand elle trouve des difficultés en matière de conflit électoral, revient auprès de la Cour de première instance pour traiter ces procès, ce qui n'est pas possible au niveau des pays d'accueil». Ces défis techniques masquent, selon plusieurs intervenants, une réticence politique plus profonde.

De l'apport financier à la revendication politique : une diaspora en mutation

La communauté marocaine à l'étranger a connu une transformation majeure ces dernières décennies. Si elle était initialement perçue comme une simple source de devises, sa contribution au développement du Maroc s'est diversifiée et approfondie. «La contribution financière des MRE à l'économie nationale est considérable», a rappelé Sanae Kasmi. «Elle représente une moyenne annuelle de 10% du PIB, soit la première recette, bien devant l'aide publique au développement et les investissements directs étrangers». Cette importance économique s'accompagne d'une évolution sociologique significative que El Mahdi Mounchid a détaillée : «La migration qui était masculine s'est féminisée. Quelques 60% sont des jeunes. 35% ont un niveau supérieur. 32% ont niveau de lycée.» Il ajoute que la transformation du profil des migrants est notable : «La migration qui était composée de classe ouvrière et d'agriculteurs est composée aujourd'hui de cadres dans tous les secteurs».

Cette mutation s'accompagne d'une prise de conscience politique croissante. Sanae Kasmi observe : «Cette augmentation de l'apport financier est accompagnée par une croissance de prise de conscience politique chez les membres de cette communauté, dont les profils sont devenus diversifiés – étudiants, experts, médecins, avocats, hommes et femmes d'affaires, acteurs associatifs – et revendiquent une implication directe dans la prise de décision publique et une intégration dans les instances représentatives.» Le paradoxe est frappant : alors que les Marocains de l'étranger contribuent massivement au développement économique du pays, leur participation politique reste marginale, créant ce que Sanae Kasmi qualifie de «déficit de légitimité démocratique».

Le CCME : un bilan sévère et l'appel à l'élection

Le Conseil de la communauté marocaine à l'étranger (CCME), créé en 2007 comme instance consultative, a fait l'objet d'une analyse particulièrement critique lors de cette journée d'étude. Abdelakrim Belgandouz, enseignant-chercheur, a dressé un bilan sans concession de cette institution dans son intervention «Et si on élisait le prochain CCME ?» «Le CCME, quel est son bilan ? Pour fonder sa refondation, il faut examiner les objectifs qu'il n'a pas pu atteindre et les choses sur lesquelles il n'a pas réussi», a-t-il déclaré. Son verdict est sans appel : «La fonction consultative pendant 17 ans. Combien d'avis a-t-il produit ? Zéro avis. Le rapport stratégique aussi : zéro. Dans le domaine de la gouvernance : une seule réunion, celle de départ. Il devait y avoir 50 membres, il n'y en a que 37». M. Belgandouz a remis en question les arguments techniques habituellement avancés pour justifier l'absence de représentation politique des MRE : «À chaque fois, on ressort les difficultés matérielles... Les responsables disent qu'il faut donner du temps, maintenant on dit qu'il n'y a pas d'argent.» Pour lui, la véritable raison serait «une forme de peur des MRE».

Face à cette situation, il plaide clairement pour une refonte du CCME sur une base élective : «De mon point de vue, ce serait l'élection. Cela existe dans certains pays : Italie, France, Sénégal... C'est donc possible avec deux étapes : un premier temps au niveau des consulats, les comités consulaires peuvent participer. Et tous ceux élus pourraient former, répondant aux exigences de la Constitution, le collège électoral».

Entre identité et intégration : les défis culturels de la diaspora

La dimension culturelle et identitaire constitue un autre volet crucial de la problématique des MRE. Kamal Hachoumy a abordé cette question sous l'angle des «Défis et perspectives de la culture et identité marocaine en diaspora». Il a souligné que «la diaspora essaye de consolider l'identité marocaine dans les pays d'accueil», mais que ce processus fait face à de nombreux défis, notamment «la montée du populisme, qui rend plus difficile de consolider ce volet».

S'appuyant sur une étude de la Fondation Hassan II réalisée en 2020, il a révélé que «63% des MRE se considèrent comme marocains sur le plan culturel, mais peu parlent l'arabe», ce qui témoigne d'une certaine fragilité du lien identitaire, particulièrement pour les nouvelles générations. Ce constat invite, selon lui, à «renforcer l'appartenance identitaire et faire attention aux mutations intergénérationnelles». El Mahdi Mounchid a également abordé cette dimension culturelle en soulignant que «pour attirer les MRE et les compétences, il faut (...) renforcer chez eux la marocanité. Ils sont imprégnés de la culture des pays d'accueil et il faut une approche d'enracinement sans déracinement, trouver un équilibre».

Les MRE comme levier diplomatique : vers une stratégie de soft power

La diaspora marocaine représente également un potentiel diplomatique considérable que le Maroc pourrait mieux exploiter, selon Abdelaziz Laâroussi. Dans son intervention sur «Les MRE et la stratégie de plaidoyer pour les causes nationales», il a appelé à «investir sur les MRE pour plaider la cause nationale et impacter l'opinion publique internationale». Il préconise de développer au sein de la diaspora «des compétences juridiques du droit international pour faire face aux théories séparatistes», ainsi que de «travailler sur la formation et la sensibilisation en matière de plaidoirie et maîtrise des enjeux juridiques sur le dossier». L'objectif serait de développer une véritable «diplomatie des MRE» et d'«investir pour en faire un lobby» favorable aux intérêts marocains. Cette vision rejoint celle d'El Mahdi Mounchid qui estime que «les politiques publiques doivent aider les MRE à se transformer en des compétences ayant un poids dans les politiques des pays d'accueil et être un lobbying dans ce sens».

Vers 2026 : l'urgence d'une réforme concrète

À l'approche des élections de 2026, Sanae Kasmi a formulé des recommandations précises pour une réforme effective du système de représentation politique des MRE. Elle souligne la «nécessité urgente d'un débat public avant les prochaines échéances électorales» et appelle à une délibération sur les «aspects pratiques» de cette représentation : «nombre de sièges à réserver aux MRE, création d'une liste nationale spécifique, définition des circonscriptions, coût financier et logistique de l'opération, ressources humaines à mobiliser, organisation des candidatures, coordination des campagnes électorales entre pays d'origine et d'accueil.» Elle insiste également sur le «besoin d'un recensement fiable des MRE électeurs, avec assainissement des registres» et sur la nécessité que «la composition du futur CCME se fasse de manière élective, démocratique et représentative».

Abdelakrim Belgandouz a, quant à lui, rappelé le Discours Royal du 6 novembre 2024 annonçant «la réforme du paysage et du CCME, et la création de la Fondation Mohammedia pour MRE». Cette annonce Royale pourrait constituer une opportunité de refonte complète du dispositif institutionnel dédié aux MRE. El Mahdi Mounchid a enfin souligné que «le processus d'intégration des MRE dans le développement exige un contrat nouveau entre l'État et les MRE», et que «le premier défi est institutionnel», appelant à clarifier les attributions des différentes instances concernées.

Au terme de ces échanges, les participants ont été unanime à formuler un constat : malgré les discours et les promesses, la représentation politique des MRE reste largement théorique. Comme l'a résumé Sanae Kasmi, le «déficit de représentation politique des MRE» constitue un «déficit de légitimité démocratique» pour le Maroc. Permettre aux MRE de voter et d'être représentés serait «un pas vers une démocratie plus inclusive et représentative», enrichissant «la pluralité des perspectives politiques du pays». La balle est désormais dans le camp des autorités et de la classe politique marocaines pour transformer ces analyses et recommandations en actions concrètes avant les échéances électorales de 2026.
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