Menu
Search
Dimanche 19 Janvier 2025
S'abonner
close
Dimanche 19 Janvier 2025
Menu
Search
lock image Réservé aux abonnés

Les quatre grands défis des régions du Maroc

La régionalisation avancée représente un tournant décisif dans la gouvernance du Maroc en renforçant l’autonomie locale. Toutefois, sa mise en œuvre se heurte à des défis majeurs liés notamment à la gestion des ressources hydriques, du système de transport et des compétences au niveau régional.

No Image
Fort de ses 12 régions, le Maroc se trouve à une étape cruciale de son développement. Les enjeux économiques, sociaux et environnementaux se croisent et s'intensifient, mettant à l'épreuve la capacité des territoires à adapter les stratégies de croissance aux besoins spécifiques d'une population locale en quête de meilleures opportunités et de conditions de vie plus favorables. C’est là où intervient le chantier de la régionalisation visant à rapprocher l'État des citoyens. Cette approche ne se limite pas à une simple décentralisation administrative, elle implique une répartition plus équilibrée des pouvoirs, des richesses, des ressources et des responsabilités entre l'État central et les régions. Elle vise aussi à améliorer l'efficacité des politiques publiques, en particulier dans un pays où chaque région présente des caractéristiques propres en termes de ressources naturelles, d'activités économiques et sociales... L'idée est de mettre en œuvre des stratégies, des plans ou des programmes régionaux qui viennent renforcer les efforts déjà réalisés en matière de disparités sociales et territoriales, de lutte contre le dérèglement climatique, de promotion de l'emploi local et des compétences et d'amélioration des infrastructures durables. Des objectifs à la fois complexes, ambitieux et nécessaires pour atteindre un développement régional équilibré et résilient.

La gestion des compétences : un pilier indispensable
La régionalisation avancée du Maroc ne peut se concevoir sans un capital humain qualifié. Ce dernier, véritable levier de développement, représente aussi la clé de voûte d’une gestion publique locale performante. Dans un contexte de décentralisation où les régions et les collectivités locales jouent un rôle de plus en plus crucial, la qualité des ressources humaines devient un facteur déterminant pour la réussite des réformes en cours. Composé non seulement de fonctionnaires et de managers publics, mais aussi d'experts locaux et d'acteurs du secteur privé, le capital humain doit répondre aux enjeux liés à l’autonomie grandissante des régions. Pour ce faire, il est essentiel de doter ces acteurs des compétences techniques, stratégiques et managériales nécessaires. Ces savoir-faire sont primordiaux pour la mise en œuvre de politiques publiques adaptées aux spécificités locales et aux besoins diversifiés des territoires.



Une administration publique efficace, à tous les niveaux, doit être en mesure de gérer les ressources de manière optimale tout en ajustant les services aux attentes des citoyens. Cette capacité repose sur des équipes bien formées, compétentes et prêtes à innover dans un environnement en constante évolution. Les experts soulignent qu’une telle dynamique est indispensable pour faire face aux défis de la régionalisation, surtout dans un contexte où les régions bénéficient d’une autonomie accrue et où les attentes des citoyens en matière de services publics ne cessent de croître. Des investissements continus dans la formation, la gestion des talents et la professionnalisation des acteurs locaux permettront d’assurer la réussite des réformes et de garantir un avenir prospère pour les régions du Maroc.

Mobilité durable : une charte en gestation
Sur le plan de la mobilité durable, le Maroc a connu, sous l’impulsion éclairée de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, une transformation significative de ses infrastructures de transport. Ce changement est caractérisé par la modernisation et l'expansion des réseaux routiers, ferroviaires et aéroportuaires, y compris le lancement de la ligne à grande vitesse et le développement de services de tramway et de BHNS (bus à haut niveau de service) dans les principales agglomérations. «Bien que ces avancées aient été soutenues par diverses politiques et initiatives visant à réformer la gouvernance et améliorer les services de transport, des défis subsistent dans le développement de la mobilité au Maroc», nous précise le ministère du Transport et de la logistique. Relever ces défis nécessite d’aborder la mobilité à travers toutes ses dimensions (politique et institutionnelle, sociale, économique et environnementale). «L'avenir de la mobilité au Maroc repose sur une vision ambitieuse et une transformation profonde du système de transport collectif des personnes», poursuit la tutelle qui a défini une orientation stratégique clé pour répondre à cette vision : «Développer un système de transport collectif des personnes inclusif et durable». Cette orientation stratégique s'inscrit dans un engagement en faveur de la mobilité durable, de l'inclusion de tous les citoyens et de la préservation de l'environnement.

Dans le détail, l’objectif principal, selon le ministère, est de garantir que le système de transport, tous modes confondus, puisse répondre de manière sûre, accessible, fiable et de qualité aux besoins de déplacement, tout en portant une attention particulière aux défis du transport dans les zones rurales. Pour ce faire, en collaboration avec les parties prenantes, une étude a été lancée pour l’élaboration d’une charte nationale pour la mobilité inclusive et durable au Maroc. «Cette charte, qui définira les orientations, les principes, les responsabilités des acteurs et les mécanismes nécessaires pour atteindre cet objectif, constituerait un cadre national pour une gouvernance intégrée et structurée des systèmes de mobilité et de transport, afin de répondre aux besoins futurs des citoyens marocains», ajoute le département de Abdessamad Kayouh.

Construite autour d’une approche participative et intégrée, la charte repose sur trois principes fondamentaux. Le premier est d’assurer une mobilité accessible et équitable pour tous, en réduisant les disparités entre les zones urbaines et rurales. Le deuxième vise à mobiliser toutes les parties prenantes, notamment les collectivités locales, le secteur privé et la société civile, dans une démarche collaborative pour élaborer des solutions adaptées aux spécificités de chaque territoire. Le troisième principe, lui, consiste à aligner les systèmes de transport sur les objectifs climatiques, en favorisant les énergies propres et les solutions à faible émission.

Crise de l'eau : l'heure est à l’action

En parallèle à ces défis, un autre grand challenge met les régions à rude épreuve : le stress hydrique. La situation de l'eau au Maroc est effectivement d'une grande gravité, en particulier face à la rareté de cette ressource, aux changements climatiques et à l'urbanisation croissante. Selon les dernières données du ministère de l'Équipement et de l'eau, l'année hydrologique 2023-2024 a été marquée par une sécheresse sévère. Le cumul des pluies a été déficitaire de plus de 40% en moyenne sur l'ensemble des régions du Maroc. Les précipitations annuelles ont varié entre 31 et 672 mm sur le territoire national, affichant une baisse significative par rapport aux normes climatiques. Dans ce contexte de sécheresse prolongée et de pression croissante sur les ressources en eau, plusieurs nappes phréatiques du Royaume ont enregistré des baisses de niveaux alarmantes. Ces réductions notables ne sont pas seulement un indicateur des défis immédiats auxquels le pays est confronté, mais elles soulignent également l'ampleur d'une crise hydrique qui s'intensifie.

Devant un tel tableau, la Cour des comptes a recommandé, dans son dernier rapport publié le 13 décembre 2024, au ministère de l’Équipement et de l’eau de «renforcer la gestion intégrée des ressources en eau en veillant à la préservation des réserves stratégiques en eaux souterraines et à l’encouragement du recours aux ressources non conventionnelles, notamment le dessalement de l'eau de mer, la réutilisation des eaux usées traitées et la collecte des eaux pluviales, la réduction des pertes dans les réseaux de transport et de distribution de l’eau, ainsi qu’une meilleure protection des barrages contre l’envasement, en plus de l’accélération de réalisation des projets relatifs à l’interconnexion des bassins hydrauliques. Elle a également exhorté le ministère de l’Économie et des finances à mobiliser les financements nécessaires pour la mise en œuvre des programmes répondant aux défis posés. Pour sa part, le ministère chargé de l’Agriculture est appelé à accélérer les programmes de reconversion à l’irrigation localisée. La Cour a, enfin, recommandé aux ministères chargés de l’Intérieur, de l’Équipement et de l’eau, de l’Agriculture, et de la Transition énergétique de développer les synergies «Eau-Énergie-Agriculture» permettant la convergence de ces trois secteurs.

Transformation digitale, une source d’opportunités pour les collectivités territoriales

La digitalisation joue un rôle central dans la simplification des démarches administratives, l’amélioration des conditions de vie des citoyens et l’optimisation du climat des affaires. Grâce à la technologie, les territoires sont déterminées à relever les défis d’aujourd’hui et de demain. Dans Son discours inaugural à l’ouverture de la première session de la première année législative de la dixième législature, Sa Majesté le Roi Mohammed VI insistait sur l’importance de généraliser l’administration électronique, en adoptant une approche intégrée. «L’utilisation des nouvelles technologies contribue à faciliter l’accès, dans les plus brefs délais, du citoyen aux prestations, sans qu’il soit nécessaire de se déplacer fréquemment à l’Administration», avait souligné le Souverain.

Dans cette optique, le ministère de l’Intérieur, à travers la Direction générale des collectivités territoriales (DGCT), déploie des efforts soutenus pour répondre aux Orientations Royales et développer un modèle d’administration publique axé sur la réactivité et la proactivité, tout en plaçant l’efficience du service public au cœur des priorités. C’est pourquoi, la tutelle s’efforce de mettre efficacement en œuvre les dispositions constitutionnelles et les lois organiques relatives aux collectivités territoriales, en les accompagnant de réformes législatives clés. Parmi celles-ci figurent la loi n°54-19 portant sur la Charte des services publics, la loi n°55-19 relative à la simplification des procédures administratives, ainsi que la loi n°31-13 garantissant le droit d’accès à l’information. Objectif : digitaliser les fonctions des collectivités territoriales (gestion du budget, des dépenses, des recettes, des ressources humaines, de l’état civil, du patrimoine, du contentieux, du suivi des projets, etc.) et dématérialiser les procédures administratives. Ce vaste chantier de transformation numérique des collectivités territoriales s’est concrétisé par la conception et le déploiement de nombreuses plateformes nationales. Parmi celles-ci figurent des plateformes innovantes comme Rokhas.ma, Chikaya.ma, Watiqa.ma, Alhalamadania.ma, ainsi que des plateformes spécifiques à la gestion publique telles que Majaliss, Gestion intégrée des recettes-GID...).

Un premier bilan prometteur, mais... En 2022, un premier bilan de la stratégie de digitalisation des collectivités territoriales a été dressé, mettant en lumière des progrès notables tout en soulignant plusieurs obstacles encore à surmonter. Si l’objectif de moderniser l’administration publique à travers le numérique est sur les bons rails, des défis importants restent à relever. Parmi les difficultés majeures identifiées, la résistance au changement de certains fonctionnaires apparaît comme un frein notable. Cette résistance, bien que compréhensible, pourrait ralentir la mise en œuvre de projets numériques cruciaux pour la modernisation des services publics locaux.

Autre difficulté : l’équipement en matériel informatique performant. Malgré les efforts déployés par l’État et les collectivités pour doter les services publics des outils nécessaires, l’acquisition de matériel moderne et adapté reste une problématique récurrente. Dans certaines collectivités, surtout celles aux ressources limitées, l’investissement dans des équipements de qualité demeure un défi financier et logistique de taille.

Enfin, un obstacle majeur à la digitalisation des collectivités réside dans l’accès à Internet, particulièrement dans les zones rurales et périurbaines mal desservies en haut débit. Ce phénomène fragilise les efforts de digitalisation en excluant une partie de la population des bénéfices de cette transformation. Certes du chemin reste à parcourir, mais les bases sont désormais solides pour bâtir un service public local plus moderne et efficace.

Dr Abdelghani Chehbouni, directeur de l’Institut international de recherches sur l’eau de l’UM6P : Le chemin vers une gestion durable de l’eau passe par la convergence des savoirs scientifiques et des actions locales

Les quatre grands défis des régions du Maroc



Le Matin : Dans quelle mesure la régionalisation avancée contribue-t-elle à une meilleure coordination entre les acteurs locaux et nationaux dans la gestion des ressources hydriques ?

Dr Abdelghani Chehbouni :
La régionalisation avancée vise à transférer des compétences aux régions, permettant ainsi une prise de décision plus proche des réalités locales. Cependant au Maroc, la mise en œuvre de la régionalisation avancée dans le secteur de l’eau, comme d’ailleurs dans d’autres secteurs, souffre de deux contraintes majeures :

1. Tout d’abord la gouvernance au Maroc a toujours été centralisée. Ce caractère a conduit au reflexe de toujours se référer et attendre les ordres du pouvoir/administration centrale.

2. L’élite administrative au Maroc est concentrée à la capitale, les régions souffrent de manque de compétences à même de concevoir, mettre en œuvre et évaluer des projets régionaux.

La régionalisation avancée joue un rôle clé dans l’amélioration de la coordination entre les acteurs locaux dans la gestion des ressources en eau, pour plusieurs raisons. D’abord, ces acteurs interviennent sur un territoire qu’ils connaissent parfaitement, ce qui leur permet de mieux comprendre les besoins en eau de la région ainsi que les ressources disponibles. En outre, face à la rareté de l’eau, leur connaissance approfondie des priorités locales leur permet d’affecter les ressources hydriques de manière plus efficace et rationnelle. De plus, la prise de décision est accélérée grâce à la collaboration en équipe, ce qui réduit les contraintes administratives et bureaucratiques. Enfin, en ce qui concerne les relations avec les autorités nationales, la régionalisation avancée simplifie les échanges en offrant aux acteurs locaux un interlocuteur unique, ce qui élimine les conflits inter-ministériels et optimise les délais de décision au niveau régional.

Dans quelle mesure les stratégies nationales, telles que le Plan national de l’eau (PNE), sont-elles adaptées aux spécificités des régions en stress hydrique ? Le problème n’est pas dans les documents de la stratégie, mais dans l’exécution sur le terrain de cette stratégie, du fait qu’elle n’est pas accompagnée d’un système de suivi-évaluation et aussi du manque de moyens humains et financiers (police de l’eau par exemple), ainsi que du manque de motivation des cadres chargés de l’exécution de cette stratégie.

Quelle rôle la recherche scientifique peut-elle jouer dans la mise en place d’initiatives de gestion de l’eau en période de stress hydrique, dans le cadre de la régionalisation avancée ?

La recherche scientifique a un grand rôle à jouer dans ce domaine mais pour être efficace elle doit se faire dans le cadre de consortiums associant les chercheurs, les utilisateurs et la société civile dans des territoires spécifiques. Car l’innovation a besoin, pour son implantation, d’utilisateurs informés et bien accompagnés ainsi que d’une population bien sensibilisée. Ce consortium pourra mettre en place des observatoires régionaux sur les ressources en eau et leurs utilisations par les différents secteurs (agriculture, industrie, tourisme, eau potable). Les données de cet observatoire peuvent nourrir un tableau de bord/plateforme au niveau de chaque région permettant d’appréhender les options possibles de gestion de l’eau ainsi que leurs impacts sociaux, économiques et environnementaux, à court, moyen et long termes, associés à chaque option (rationalisation des irrigations, voire réduction des surfaces irriguées, dessalement, traitement des eaux usées, transfert inter bassin, optimisation des réseaux d’eau potable). Une expérience dans ce sens a été mise en œuvre avec succès à Singapour, le Maroc devrait s’en inspirer.

Pour conclure, la recherche scientifique joue un rôle essentiel pour développer des solutions innovantes dans le cadre de la régionalisation avancée :

• Innovation technologique : développement de nouvelles techniques, comme la nanofiltration pour le dessalement ou la gestion des eaux grises.

• Cartographie des ressources : les études hydrologiques régionales permettent de mieux comprendre la disponibilité des ressources et les risques.

• Prévisions climatiques : anticiper les périodes de sécheresse pour mieux planifier l’usage des ressources.

• Transfert de connaissances : les chercheurs peuvent former les autorités locales et nationales à des pratiques de gestion durable.

• Médiation scientifique : offrir des données neutres pour résoudre les conflits liés à la gestion de l’eau.

Entretien avec Abdellatif Komat, doyen de la Faculté des sciences sociales, juridiques et économiques de Casablanca : La question du capital humain demeure un enjeu central pour faire avancer le projet de régionalisation

Les quatre grands défis des régions du Maroc
Abdellatif Komat.



Le Matin : En quoi la ressource humaine est-elle déterminante pour le plein succès du projet de régionalisation avancée ?

Abdellatif Komat :
Dans cette dynamique de régionalisation avancée, fondée sur la déconcentration et la centralisation, la dimension humaine revêt une importance capitale. En effet, elle figure parmi les priorités, aux côtés, bien sûr, de la dimension financière. Mais pourquoi le capital humain ? Parce qu’il s’agit de transférer des compétences du niveau central vers le niveau régional. Ce transfert concerne non seulement des compétences, mais aussi des grands projets structurants qui nécessitent des qualifications très pointues. Le niveau central, naturellement, a accumulé, au fil des décennies, une expertise considérable dans la gestion de ces projets, qu’ils concernent l’infrastructure, l’accompagnement des territoires, le réaménagement urbain, ou encore les plateformes d’investissement.

Ces expertises, qui sont aujourd’hui majoritairement concentrées au niveau central, devraient en grande partie être délocalisées au niveau régional. Pour que ce transfert de compétences se réalise dans de bonnes conditions, les structures régionales doivent disposer des compétences requises. Or, selon les évaluations effectuées, notamment lors des premières assises de décembre 2019 et à travers les différents rapports du Conseil économique, social et environnemental, ainsi que de la Cour des comptes, plusieurs manquements ont été relevés, tant sur le plan quantitatif que qualitatif.

Sur le plan quantitatif, il est constaté qu’aujourd’hui, dans les 12 régions du Maroc, à peine un millier de personnes sont affectées à la gestion des régions, soit une moyenne de 60 à 80 personnes par région. Cette équipe doit accompagner toute la dynamique régionale, y compris les investissements, les plateformes économiques, ainsi que le développement des secteurs culturels et des services, entre autres. Ce nombre est largement insuffisant pour gérer efficacement les régions. La deuxième dimension, d’ordre qualitatif, fait référence à la qualification et à l’expertise pointue nécessaires pour accompagner des projets de grande envergure. Au-delà du nombre, c’est cette expertise qui fait défaut pour mener à bien des projets complexes, qui exigent une expérience avancée.

Dans cette optique, les régions devraient non seulement être mieux dotées en ressources humaines, mais elles doivent aussi être capables d’attirer les compétences qualifiées. Cela passe par des stratégies d’attractivité permettant de recruter des talents, de les motiver et de les rémunérer en fonction de leur expérience et de leur expertise. Ainsi, la question du capital humain demeure un enjeu central pour faire avancer le projet de régionalisation.

Comment garantir une répartition équitable des compétences et des ressources entre l’État central et les régions ?

L’État a la responsabilité de définir des stratégies nationales et d’accompagner les structures régionales, non seulement en termes de financement, mais aussi en matière d’encadrement technique et d’expertise. Pour cela, il doit disposer de compétences suffisantes et adaptées pour assumer pleinement ses responsabilités. Cependant, l’équité et l’efficacité nécessitent qu’une partie de ces compétences soit délocalisée pour accompagner directement les régions. Cela suppose probablement une redistribution de ces compétences, mais aussi de permettre aux régions de recruter, de former et de motiver des compétences supplémentaires. Ainsi, le point de départ consiste en une clarification précise des responsabilités respectives de l’État et des régions.

Bien évidemment, ces enjeux sont déjà abordés dans la Charte de la déconcentration, les Plans de développement régionaux (PDR) et plusieurs référentiels existants. Toutefois, il est nécessaire de préciser davantage ces responsabilités, mais surtout de les activer. Activer, car jusqu’à aujourd’hui il persiste encore des résistances et une part de ces compétences demeure centralisée. Cela constituera sans doute un des grands enjeux des prochaines années, parce que la régionalisation avancée passe forcément par, tout d’abord, une répartition claire et nette des attributions de l’État et celles des régions, mais surtout d’un accompagnement sur le plan ressources humaines et bien évidemment sur celui des ressources financières.

Quel mécanisme de coordination faut-il mettre en place pour éviter les conflits de compétences entre niveaux de gouvernance ?

La coordination centrale évoquée dans la Charte de la déconcentration administrative devrait en réalité se déployer à deux niveaux. Tout d’abord, entre le niveau central et le niveau régional, il est crucial de renforcer la coordination, notamment en s’appuyant sur le principe de la déconcentration. Cela est fondamental pour une gestion plus efficace. Ensuite, il est également question d’une coordination et d’une optimisation des services décentralisés. Concrètement, au sein des régions, il doit y avoir une meilleure synergie entre les différents acteurs, car il s’agit de gérer des projets transversaux qui nécessitent l’intervention de plusieurs compétences et services. Cela implique une coordination plus étroite au niveau horizontal, c’est-à-dire au sein de la région elle-même. Il y a eu, à un moment donné, une coordination entre le central et le territorial. Aujourd’hui, il est nécessaire de reconfigurer cette relation pour mieux répondre aux besoins des territoires. Il serait également pertinent que les régions jouent un rôle plus actif dans cette dynamique et bénéficient pleinement de cette synergie au niveau local.

Comment assurer la cohérence des politiques publiques à l’échelle nationale tout en tenant compte des spécificités locales ?

Bien évidemment, les régions s’inscrivent dans une stratégie nationale globale. Au Maroc, nous avons la chance de disposer de stratégies couvrant la plupart des secteurs clés. En effet, il existe des stratégies pour l’eau, pour l’agriculture, pour l’industrie et pour le tourisme, entre autres. Cet atout s’explique par notre capacité à avoir une vision à long terme, tout en étant dotés de stratégies à moyen terme. Naturellement, ces stratégies sont adaptées et déclinées au niveau régional, car ce sont des enjeux transversaux qui concernent toutes les régions. En parallèle, il existe des stratégies régionales spécifiques, car chaque région possède ses propres atouts. Ces atouts découlent non seulement des potentialités territoriales, mais aussi de la qualité de son capital humain, de ses ressources naturelles, etc. Je pense que le Maroc gagnerait à renforcer la cohérence entre la stratégie nationale et les stratégies territoriales. Cela permettrait d’atteindre un développement intégré du pays, tout en garantissant un équilibre territorial et social.

Comme vous le savez, l’un des objectifs majeurs du Maroc est de réduire les déséquilibres territoriaux et sociaux. Pour y parvenir, il est essentiel qu’une dynamique régionale émerge, fondée sur les particularités, les spécificités et les potentialités de chaque région. Toutefois, cette dynamique doit s’inscrire en parfaite cohérence avec la stratégie nationale, qui, comme je l’ai mentionné précédemment, est aujourd’hui claire. Chaque région devrait ainsi être en mesure de trouver sa place dans cette vision globale.

Quelles sont donc les conditions nécessaires ? Au niveau central, il est crucial de favoriser l’équilibre entre les régions, notamment en termes d’attractivité. Cela passe par des actions qui relèvent encore de la responsabilité de l’État, telles que le développement des infrastructures : routes, autoroutes, ports, connectivité ferroviaire, etc. Ces dimensions, qui sont partagées entre l’État et les régions, doivent être renforcées et coordonnées avec davantage de cohérence afin de promouvoir un équilibre territorial et de garantir un développement harmonieux.

Comment percevez-vous les deuxièmes Assises nationales de la régionalisation avancée, prévues les 20 et 21 décembre 2024 à Tanger ?

Les deuxièmes Assises représentent une étape cruciale. Pourquoi ? Parce qu’elles font suite aux premières Assises qui se sont tenues les 19 et 20 décembre 2019, après une première expérience dans le cadre de la nouvelle configuration de la régionalisation avancée, lancée en 2015. Ces premières Assises ont permis de faire un bilan de cette expérience, qui a montré des progrès, mais aussi des axes d’amélioration à prendre en compte pour la suite. Ainsi, le deuxième mandat, entamé en 2021, s’inscrit dans cette dynamique, fort de l’expérience accumulée.

Nous avons accumulé une véritable expertise en matière de management territorial. Lors des Assises prévues les 20 et 21 décembre, il sera essentiel de dresser un bilan par rapport aux recommandations des précédentes Assises : quels progrès avons-nous réalisés et quels domaines nécessitent encore des avancées ? Il faudra également définir les perspectives pour l’avenir, avec un accent particulier sur la déconcentration et la décentralisation. Il s’agira aussi de renforcer les moyens alloués aux régions et de les rendre plus responsables, notamment en matière d’attractivité, d’investissement, de création d’emplois et de recherche de financements. Aujourd’hui, les régions sont appelées à être plus innovantes sur le plan financier, en explorant des mécanismes alternatifs pour lever des fonds, au-delà des subventions qui leur sont actuellement attribuées.

Aujourd’hui, les régions disposent de marchés financiers accessibles pour soutenir leurs initiatives. De plus, il existe des bailleurs de fonds internationaux prêts à accompagner les projets régionaux. Au Maroc, plusieurs expériences témoignent de cette capacité des régions à mobiliser des mécanismes de financement alternatifs, et ces exemples seront présentés lors des prochaines Assises pour illustrer ce potentiel. Toutes les questions liées au renforcement de la régionalisation seront abordées, d’abord pour faire le point sur les progrès réalisés, mais surtout pour identifier les axes d’amélioration sur lesquels nous devons concentrer nos efforts. L’objectif est de renforcer davantage ce projet Royal qu’est la régionalisation avancée.

Le mot de la fin...

Le Maroc est aujourd’hui en phase d’opérationnalisation du nouveau modèle de développement. Nous avons des objectifs à atteindre d’ici 2035, notamment en matière d’emplois, d’amélioration du PIB, de hausse du revenu, mais surtout en ce qui concerne la réduction des disparités sociales et territoriales. Cependant, toutes ces ambitions ne pourront être concrétisées sans une implication accrue des régions dans le processus. Bien évidemment, on leur donne plus d’autonomie, on leur donne plus de moyens. Et je crois qu’on est dans un tournant parce que nous sommes à une dizaine d’années de 2035. Cette décennie à venir devrait nous permettre de voir la régionalisation progresser et devenir l’un des principaux vecteurs de développement de notre pays.

Lisez nos e-Papers