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Pénurie d'eau : l'heure des choix difficiles a sonné pour le secteur agricole (Rachid Benali)

Une nouvelle saison de sécheresse plane sur le Maroc. Pour la cinquième année consécutive, le stress hydrique frappe de plein fouet pratiquement toutes les filières agricoles, ce qui ne sera pas sans conséquence sur la campagne en cours. Rachid Benali, président de la Confédération marocaine de l’agriculture et du développement rural (Comader), livre une analyse sans concession de la situation et tire à son tour la sonnette d'alarme.

Tout comme le ministre de l’Équipement et de l'eau, Nizar Baraka, qui ne cesse d'alerter sur la gravité du stress hydrique, les professionnels du secteur agricole ne cachent plus leurs préoccupations, qualifiant la situation d’inédite pour le pays. «Cela fait 5 ans que le Maroc subit la pire sécheresse de son histoire contemporaine. Nous n’avons jamais connu autant de phénomènes climatiques en même temps : sécheresses successives, barrages à sec, températures extrêmes, fleuves et nappes phréatiques vides. Chaque année est pire que la précédente», s'alarme Rachid Benali, président de la Comader.



Il explique dans ce sens que dans l'histoire du pays et selon l’étude du professeur Charles W. Stockton, le Maroc a connu plusieurs sécheresses qui ont duré plusieurs années. Durant le siècle dernier, le Royaume a connu des sécheresses très sévères, mais aujourd’hui c’est différent, précise-t-il. Car selon lui, «nous ne subissons pas une simple sécheresse, mais nous assistons à un réel changement climatique», explique le professionnel, ajoutant que l'on assiste à plusieurs événements qui compliquent encore plus la situation. il s'agit selon M. Benali :
  • Du manque de pluie et sa mauvaise répartition sur les saisons et les régions. «Je cite l’exemple du blé, avec 200 mm de pluie bien répartis dans le temps, on peut assurer une bonne récolte, mais actuellement nous pouvons recevoir 200 mm, mais très mal répartis. par exemple, 30 mm en une journée, suivis de 3 mois de sécheresse, puis 60 mm en 2 jours, explique cet expert.
  • Des aléas climatiques à répétition. «Jadis, une région montagneuse pouvait être touchée par un passage de grêle 1 fois tous les 3 ans, aujourd’hui elle est touchée 4 ou 5 fois par an», déplore-t-il.
  • Les changements de température. À cet égard, M. Benali explique que durant le siècle dernier, «nous avions de vraies saisons, aujourd’hui nous enregistrons des pics de température allant jusqu’à plus de 40 degrés dans la région du Saïss en avril, les arbres ne peuvent plus s’adapter à ces changements. Le meilleur exemple c’est celui de la tomate. Cette culture a subi cette année une température extrême en août et un grand froid en décembre».
De plus, le manque d’eau d’irrigation a engendré trois problèmes :
  1. Dans les régions qui n’ont plus d’eau, on réduit les surfaces cultivées, on arrache une partie des plantations ou on laisse les terrains vides.
  2. Dans les régions qui disposent d’un peu d’eau, mais de plus en plus profonde, on n'est plus autorisé à approfondir les puits.
  3. Dans les régions qui arrivent à creuser davantage, on subit les coûts élevés du pompage, puisqu’on est obligé de pomper 5 mois sur 6, au lieu de 3.
Le pire est que le phénomène se généralise d’année en année. «Hormis la zone de Larache, cette année nous constatons que toutes les régions du Royaume sont touchées par la sécheresse», indique le président de la Comader.
En ce qui concerne les cultures touchées, pratiquement toutes sont quasiment logées à la même enseigne :
• La céréaliculture : 90% des surfaces cultivées sont en bour, cumulant des années de pertes, une bonne partie des agriculteurs n’ont pas semé cette année.
• Les plantations sucrières sont en baisse à cause des coupures d’irrigation dans les barrages et du coût très élevé du pompage.
• Les 4 jours de chaleur intense du mois d’avril et la sécheresse ont provoqué la perte de plus de la moitié de la production d’olive.
• Grâce aux aides de l’État, annoncées sur Hautes Instructions Royales, le cheptel s’en sort plus ou moins bien, en attendant d’avoir le pâturage nécessaire.
• Les surfaces de culture du maraîcher sont en nette diminution, mais grâce au programme d’aide du gouvernement, les prix de revient sont assez raisonnables.
• La tomate a subi 3 phénomènes qui ont fait baisser sa production : la chaleur extrême du mois d’août, le froid inhabituel en cette période et un virus qui a perturbé la croissance des plantes.
• La superficie des agrumes est en nette régression en raison du manque d’eau d’irrigation.
• Quant aux arbres fruitiers, en plus du manque d’eau, ils n’arrivent pas à avoir leur nombre d’heure de froid habituel.
Dès lors, le problème de manque d’eau auquel le Maroc fait face soulève des questions relatives à la politique agricole et aux priorités qui doivent être fixées en fonction des conditions climatiques. Pour Rachid Benali, ces constats nous obligent à gérer cette situation délicate et à répondre en urgence aux questions suivantes :
• Comment couper l’eau d’irrigation tout en gardant une bonne production agricole ?
• Comment réduire la production agricole tout en gardant un prix raisonnable pour le consommateur ?
• Comment remplacer la production nationale par des produits importés tout en garantissant la survie du monde rural et en évitant ainsi un exode massif, sachant toutefois que certains produits n’existent pratiquement pas sur le marché mondial ?
"Tôt ou tard, il faudra répondre à ces questions qui supposent de faire des choix difficiles, voire impopulaires. À moins que la clémence du ciel ne soit au rendez-vous dans les prochaines semaines", souligne le président de la Comader.
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