Jeudi 7 mars 2024, face aux étudiants, professeurs et invités de la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Mohammedia, Bachir Rachdi, président de l’Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption (INPPLC), a exposé les ambitions et le modus operandi de l’Instance aux destinées desquelles il préside. M. Rachdi a particulièrement insisté à cette occasion sur l’importance de la communication et de la sensibilisation dans la bataille contre la corruption.
De prime abord, Bachir Rachdi plante le décor et dresse l’état des lieux, sans fioritures : «Ce qui a été convenu n’a pas été respecté», a-t-il déclaré au sujet la stratégie nationale de lutte contre la corruption, laquelle avait donné lieu à une commission interministérielle qui n’a tenu que deux réunions. «Des obstacles et des défaillances» ont jusqu’ici entravé la concrétisation de la stratégie nationale, a-t-il concédé, relevant «un manque d’approche globale» et «un défaut de convergence» entre les acteurs concernés par la lutte contre ce mal. Le président de l’INPPLC déplore également une «prédominance du cadre législatif», qui «reste lettre morte», au détriment «des mécanismes d’accompagnement» pour atteindre les objectifs fixés. Une faiblesse que l’Instance a tenté de corriger en formulant des «recommandations pour revoir la stratégie» adoptées avant octobre 2022.
Tirant les enseignements des manquements du passé, l’INPPLC plaide désormais pour l’instauration d’un «cadre institutionnel rassemblant l’ensemble des acteurs» étatiques et non étatiques autour d’une feuille de route resserrée. Un texte en préparation vise à définir précisément «les responsabilités» partagées entre le département du Chef du gouvernement et l’Instance sur ces questions. «Nous voulons plus de convergence et de coopération entre les différents intervenants», insiste Bachir Rachdi, appelant chaque partie prenante à assumer son rôle dans la «complémentarité» des efforts.
Le même responsable ajoute dans le même ordre d’idées la nécessité de lutter contre le conflit d’intérêt et l’obligation de la déclaration de patrimoine, des sujets sur lesquels existent deux projets et pour lesquels l’instance a émis ses propositions. Cependant, reconnaît Bachir Rachdi, «l’enrichissement illicite n’a pas connu le même cheminement positif, mais nous œuvrons pour que le gouvernement prenne en considération les propositions de l’Instance». La lutte vise également «la corruption dans le privé», domaine par essence «indissociable du public». L’arsenal répressif se renforce avec un «guide» définissant toutes les formes de «dépravation et de corruption», a annoncé Bachir Rachdi selon qui ce document sera publié incessamment.
Par ailleurs, M. Rachdi souligne que «les recommandations de l’Instance ont une force légale et les autorités concernées sont obligées d’interagir ou de répondre à l’instance qui a l’autorité de faire le suivi selon les dispositions légales». Sur un autre registre, il admet que «le bilan de réception des plaintes dénonçant la corruption reste faible».
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Bachir Rachdi : Il convient de souligner que l’Instance n’a pas attendu cette échéance (promulgation de la loi 46-19, NDLR) en initiant bien avant une trentaine de chantiers parallèlement à une démarche d’évaluation des politiques publiques. L’objectif était de guider au mieux les futures orientations étatiques en matière de prévention et de lutte contre la corruption. Cette vaste entreprise nous a permis de produire une trentaine de rapports substantiels, assortis de plus de 2.000 recommandations formant les fondements de la transition vers un nouveau paradigme dans le combat d’envergure que nous menons contre la corruption. Avec la promulgation du cadre juridique renforcé, nous avons parachevé la structuration de nos organes, outillé nos équipes avec les référentiels adéquats, afin de leur permettre d’œuvrer avec la maîtrise et la profondeur requises. Notre feuille de route se dessine avec clarté : déployer une action caractérisée par son efficacité et son impact concret sur le terrain, tant pour les citoyens que pour la sphère publique dans son ensemble.
Le fait que les statuts et le règlement intérieur de l’Instance, déposés auprès du Secrétariat général du gouvernement, ne soient pas encore publiés n’entrave-t-il pas votre action ?
Cette situation ne constitue nullement un frein à nos activités. Le règlement intérieur de l’Instance n’est pas subordonné à sa publication par les autorités compétentes pour entrer en vigueur. Ces textes ont été approuvés par le Conseil de l’Instance lui-même, y compris les dispositions relatives aux officiers de l’Instance. Ils sont donc d’ores et déjà opérationnels et nos équipes s’appuient sur ces références dans la conduite de leurs missions. Bien entendu, il reste primordial que ces documents soient rendus publics et accessibles à tous dans un souci de totale transparence. Mais d’un point de vue strictement pratique et légal, leur publication n’est pas un prérequis à notre pleine capacité d’action conformément aux prérogatives qui nous sont dévolues.
L’un des axes prioritaires d’action mis en avant par l’INPPLC concerne la vie politique et les élections. Quels objectifs l’Instance vise-t-elle sur ce chantier ?
Dans le cadre des orientations stratégiques de la politique d’État en matière de prévention et de lutte contre la corruption, nous avons structuré notre action autour de plusieurs dimensions clés : l’éducation, la prévention, l’assèchement des sources de corruption, la dissuasion et la lutte contre l’impunité. Un pilier est entièrement consacré à la moralisation de la vie politique et publique. Notre objectif est de renforcer le cadre juridique afin de mieux cerner les pratiques politiques et d’inciter les acteurs du champ politique à s’engager davantage sur la voie de la transparence et de l’interaction citoyenne. Il s’agit d’ancrer une nouvelle dynamique où la légitimité et le positionnement des forces en présence se mesurent à l’aune de leur capacité à apporter des réponses concrètes aux attentes des citoyens, plutôt que de perpétuer certaines pratiques.
Nous voulons ainsi instaurer une concurrence constructive, porteuse d’une forte dynamique de développement pour le pays. Ce chantier sera mené en étroite concertation avec les parties prenantes, en tête desquelles les partis politiques, dans une approche résolument participative. L’Instance formulera des propositions et recommandations que nous nourrirons collectivement avant leur adoption et mise en œuvre.
Dans ce contexte, on peut évoquer le dernier rapport annuel de la Cour des comptes sur l’audit des comptes des partis politiques, ainsi que le code d’éthique et de bonne conduite en préparation au Parlement. Votre institution a-t-elle des recommandations à formuler sur ces sujets?
Il convient avant tout de souligner que chaque institution a un rôle spécifique à jouer, et que ces rôles se doivent d’être complémentaires. Nous insistons sur le fait que la prévention et la lutte contre la corruption doivent bénéficier d’une convergence et d’une synergie entre tous les acteurs et autorités concernés, chacun agissant de son côté, mais dans le cadre d’une vision et d’une approche cohérentes.
Une planification rigoureuse de la mise en œuvre s’impose, de manière à produire des effets et un impact tangibles, créateurs de confiance. Seule cette adhésion large et profonde permettra à tous de s’inscrire de manière constructive dans cette dynamique vertueuse. La particularité du phénomène de la corruption est que sans cette confiance, cette visibilité sur le changement irréversible, des réticences peuvent émerger et engendrer une situation discriminatoire entre adhérents et non-adhérents. Notre volonté est donc d’œuvrer avec une approche structurée et pragmatique, productrice d’effets concrets, pour enclencher une dynamique profonde et durable dans ce processus de transformation.
L’une des missions et attributions de l’Instance est de mener des opérations d’enquêtes et d’investigations concernant les cas de corruption dont elle prend connaissance. Quelle est votre approche en la matière ?
Nous sommes pleinement conscients que cette prérogative revêt une importance cruciale, en articulation avec les autres dimensions que sont l’éducation, la sensibilisation, la prévention et l’assèchement des foyers de corruption. L’objectif est de limiter autant que possible les pratiques répréhensibles, afin que l’application de la loi et les sanctions à l’encontre des actes avérés de corruption puissent pleinement produire leurs effets et conserver tout leur sens. Nous sommes également conscients que cette dimension est indispensable pour asseoir la crédibilité de notre action. C’est pourquoi nous avons milité au sein de l’Instance pour que cette mission soit intégrée aux prérogatives de l’institution, dotée de tous les leviers et moyens nécessaires à son accomplissement effectif.
Une mission aussi sensible ne saurait toutefois être menée avec légèreté. Elle nécessite une structuration rigoureuse, l’adoption de référentiels solides, de guides et procédures extrêmement précis, afin de garantir la protection des droits des personnes concernées : présomption d’innocence, droits de la défense, la charge de la preuve, etc. Lorsqu’il est question d’inversion de la charge de la preuve, cela doit reposer sur des fondements constitutionnels intangibles. C’est dans cet esprit que nous avons proposé un cadre protecteur, y compris sur la question sensible de l’enrichissement illicite, permettant de concilier la sauvegarde des droits individuels et la mise en œuvre d’un levier incontournable de la lutte anti-corruption.
Pour mener à bien cette mission d’enquêtes et d’investigations dans les règles de l’art, l’Instance a mis en place, de manière anticipée, un dispositif dédié composé d’«officiers de l’Instance» spécialement formés à cet effet. Des référentiels sous forme de guides et de procédures rigoureuses ont également été élaborés pour encadrer l’accomplissement de ces prérogatives sensibles.
Un noyau d’officiers hautement qualifiés a ainsi été constitué, ayant bénéficié de plus de 1.000 heures de formation poussée. Ces équipes regroupent des profils multidisciplinaires : magistrats d’exception de la Cour des comptes, commissaires et officiers de police judiciaire, enquêteurs des douanes et de la Direction de la Surveillance du territoire, etc. Cette approche combinée, mêlant diverses expertises du contrôle et de l’investigation, vise à doter l’Instance de moyens à la hauteur des défis.
Reconnaissant l'ampleur de la tâche, il précise que le succès de cette «stratégie ambitieuse» dépendra de la «consolidation de la convergence et de la synergie entre toutes les parties prenantes». Une «supervision et une coordination rigoureuses et bien orchestrées» s’imposeront pour mobiliser efficacement les différents niveaux de responsabilité étatique et institutionnelle autour de cet objectif crucial pour le Maroc. Le message est clair : seule l’union sacrée contre la corruption permettra d’atteindre les résultats escomptés.
Car Bachir Rachdi ne cache pas son ambition de voir l’INPPLC jouer un rôle pivot dans la nouvelle stratégie nationale anti-corruption. Un rôle de coordination et d’impulsion qu’il entend jouer en bonne intelligence avec les responsables des politiques publiques. Le président de l’Instance a ainsi annoncé qu’un consensus avait été trouvé avec la Primature pour une gouvernance partagée de ce «dossier complexe». «Un texte est en préparation pour acter les termes de coopération entre le Chef du gouvernement et l’INPPLC afin d’aller dans ce sens», a-t-il révélé. Autrement dit, il s’agit de formaliser les responsabilités partagées, ce qui devrait se traduire par une meilleure convergence des politiques publiques, une coordination renforcée et un suivi plus rigoureux des différents chantiers dédiés à la probité et à la lutte anti-corruption au Maroc.
De prime abord, Bachir Rachdi plante le décor et dresse l’état des lieux, sans fioritures : «Ce qui a été convenu n’a pas été respecté», a-t-il déclaré au sujet la stratégie nationale de lutte contre la corruption, laquelle avait donné lieu à une commission interministérielle qui n’a tenu que deux réunions. «Des obstacles et des défaillances» ont jusqu’ici entravé la concrétisation de la stratégie nationale, a-t-il concédé, relevant «un manque d’approche globale» et «un défaut de convergence» entre les acteurs concernés par la lutte contre ce mal. Le président de l’INPPLC déplore également une «prédominance du cadre législatif», qui «reste lettre morte», au détriment «des mécanismes d’accompagnement» pour atteindre les objectifs fixés. Une faiblesse que l’Instance a tenté de corriger en formulant des «recommandations pour revoir la stratégie» adoptées avant octobre 2022.
Vers une nouvelle convergence renforcée des politiques de lutte contre la corruption
Dans son diagnostic, Bachir Rachdi s’appuie sur un quart de siècle de lectures et d’analyses sur la question de la corruption et des politiques publiques y afférentes. Évoquant les nouvelles attributions qui renforcent le statut de l’INPPLC, fondées sur les dispositions de la Constitution de 2011, il fait référence à quelque 30 chantiers thématiques spécifiques qui sont ouverts, ayant donné lieu à la publication d’une trentaine de rapports. Car, selon lui, la Constitution consacre les piliers de la bonne gouvernance et le rôle des instances de régulation dans le développement du pays, sans oublier les Orientations Royales soulignant l’importance stratégique et la dimension prioritaire de cette problématique centrale pour le Royaume.Tirant les enseignements des manquements du passé, l’INPPLC plaide désormais pour l’instauration d’un «cadre institutionnel rassemblant l’ensemble des acteurs» étatiques et non étatiques autour d’une feuille de route resserrée. Un texte en préparation vise à définir précisément «les responsabilités» partagées entre le département du Chef du gouvernement et l’Instance sur ces questions. «Nous voulons plus de convergence et de coopération entre les différents intervenants», insiste Bachir Rachdi, appelant chaque partie prenante à assumer son rôle dans la «complémentarité» des efforts.
Un arsenal juridique en renfort pour lutter contre la corruption
Au rang des priorités de l’INPPLC : l’adoption d’un cadre légal renforcé contre l’«enrichissement illicite», un «chantier» sur lequel des «recommandations» ont été formulées. En effet, l’Instance travaille sur le cadre juridique relatif à l’enrichissement illicite, en émettant des recommandations de nature à renforcer la lutte contre la corruption. Selon M. Rachdi «l’enrichissement illicite est un sujet important pour l’Instance qui œuvre pour qu’il y ait une loi spécifique pour endiguer ce phénomène», affirme-t-il.Le même responsable ajoute dans le même ordre d’idées la nécessité de lutter contre le conflit d’intérêt et l’obligation de la déclaration de patrimoine, des sujets sur lesquels existent deux projets et pour lesquels l’instance a émis ses propositions. Cependant, reconnaît Bachir Rachdi, «l’enrichissement illicite n’a pas connu le même cheminement positif, mais nous œuvrons pour que le gouvernement prenne en considération les propositions de l’Instance». La lutte vise également «la corruption dans le privé», domaine par essence «indissociable du public». L’arsenal répressif se renforce avec un «guide» définissant toutes les formes de «dépravation et de corruption», a annoncé Bachir Rachdi selon qui ce document sera publié incessamment.
Le poids de l’Instance et de ses recommandations
Sur un autre registre, le président de l’Instance souligne que les rapports soumis à Sa Majesté le Roi constituent «une forme de reddition des comptes et aussi pour informer l’opinion publique». D’autre part, il explique que «les textes relatifs au statut de l’Instance et le règlement intérieur ont été élaborés puis ont été transférés au Secrétariat général du gouvernement (SGG)», précisant que «la publication est du ressort du SGG» et qu’«il y a des correspondances qui indiquent que nous avons demandé l’accélération de cette publication».Par ailleurs, M. Rachdi souligne que «les recommandations de l’Instance ont une force légale et les autorités concernées sont obligées d’interagir ou de répondre à l’instance qui a l’autorité de faire le suivi selon les dispositions légales». Sur un autre registre, il admet que «le bilan de réception des plaintes dénonçant la corruption reste faible».
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Entretien avec le président de l’INPPLC, Bachir Rachdi
Le Matin : Depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi en octobre 2022, peut-on considérer que l’Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption a atteint sa pleine maturité ?Bachir Rachdi : Il convient de souligner que l’Instance n’a pas attendu cette échéance (promulgation de la loi 46-19, NDLR) en initiant bien avant une trentaine de chantiers parallèlement à une démarche d’évaluation des politiques publiques. L’objectif était de guider au mieux les futures orientations étatiques en matière de prévention et de lutte contre la corruption. Cette vaste entreprise nous a permis de produire une trentaine de rapports substantiels, assortis de plus de 2.000 recommandations formant les fondements de la transition vers un nouveau paradigme dans le combat d’envergure que nous menons contre la corruption. Avec la promulgation du cadre juridique renforcé, nous avons parachevé la structuration de nos organes, outillé nos équipes avec les référentiels adéquats, afin de leur permettre d’œuvrer avec la maîtrise et la profondeur requises. Notre feuille de route se dessine avec clarté : déployer une action caractérisée par son efficacité et son impact concret sur le terrain, tant pour les citoyens que pour la sphère publique dans son ensemble.
Le fait que les statuts et le règlement intérieur de l’Instance, déposés auprès du Secrétariat général du gouvernement, ne soient pas encore publiés n’entrave-t-il pas votre action ?
Cette situation ne constitue nullement un frein à nos activités. Le règlement intérieur de l’Instance n’est pas subordonné à sa publication par les autorités compétentes pour entrer en vigueur. Ces textes ont été approuvés par le Conseil de l’Instance lui-même, y compris les dispositions relatives aux officiers de l’Instance. Ils sont donc d’ores et déjà opérationnels et nos équipes s’appuient sur ces références dans la conduite de leurs missions. Bien entendu, il reste primordial que ces documents soient rendus publics et accessibles à tous dans un souci de totale transparence. Mais d’un point de vue strictement pratique et légal, leur publication n’est pas un prérequis à notre pleine capacité d’action conformément aux prérogatives qui nous sont dévolues.
L’un des axes prioritaires d’action mis en avant par l’INPPLC concerne la vie politique et les élections. Quels objectifs l’Instance vise-t-elle sur ce chantier ?
Dans le cadre des orientations stratégiques de la politique d’État en matière de prévention et de lutte contre la corruption, nous avons structuré notre action autour de plusieurs dimensions clés : l’éducation, la prévention, l’assèchement des sources de corruption, la dissuasion et la lutte contre l’impunité. Un pilier est entièrement consacré à la moralisation de la vie politique et publique. Notre objectif est de renforcer le cadre juridique afin de mieux cerner les pratiques politiques et d’inciter les acteurs du champ politique à s’engager davantage sur la voie de la transparence et de l’interaction citoyenne. Il s’agit d’ancrer une nouvelle dynamique où la légitimité et le positionnement des forces en présence se mesurent à l’aune de leur capacité à apporter des réponses concrètes aux attentes des citoyens, plutôt que de perpétuer certaines pratiques.
Nous voulons ainsi instaurer une concurrence constructive, porteuse d’une forte dynamique de développement pour le pays. Ce chantier sera mené en étroite concertation avec les parties prenantes, en tête desquelles les partis politiques, dans une approche résolument participative. L’Instance formulera des propositions et recommandations que nous nourrirons collectivement avant leur adoption et mise en œuvre.
Dans ce contexte, on peut évoquer le dernier rapport annuel de la Cour des comptes sur l’audit des comptes des partis politiques, ainsi que le code d’éthique et de bonne conduite en préparation au Parlement. Votre institution a-t-elle des recommandations à formuler sur ces sujets?
Il convient avant tout de souligner que chaque institution a un rôle spécifique à jouer, et que ces rôles se doivent d’être complémentaires. Nous insistons sur le fait que la prévention et la lutte contre la corruption doivent bénéficier d’une convergence et d’une synergie entre tous les acteurs et autorités concernés, chacun agissant de son côté, mais dans le cadre d’une vision et d’une approche cohérentes.
Une planification rigoureuse de la mise en œuvre s’impose, de manière à produire des effets et un impact tangibles, créateurs de confiance. Seule cette adhésion large et profonde permettra à tous de s’inscrire de manière constructive dans cette dynamique vertueuse. La particularité du phénomène de la corruption est que sans cette confiance, cette visibilité sur le changement irréversible, des réticences peuvent émerger et engendrer une situation discriminatoire entre adhérents et non-adhérents. Notre volonté est donc d’œuvrer avec une approche structurée et pragmatique, productrice d’effets concrets, pour enclencher une dynamique profonde et durable dans ce processus de transformation.
L’une des missions et attributions de l’Instance est de mener des opérations d’enquêtes et d’investigations concernant les cas de corruption dont elle prend connaissance. Quelle est votre approche en la matière ?
Nous sommes pleinement conscients que cette prérogative revêt une importance cruciale, en articulation avec les autres dimensions que sont l’éducation, la sensibilisation, la prévention et l’assèchement des foyers de corruption. L’objectif est de limiter autant que possible les pratiques répréhensibles, afin que l’application de la loi et les sanctions à l’encontre des actes avérés de corruption puissent pleinement produire leurs effets et conserver tout leur sens. Nous sommes également conscients que cette dimension est indispensable pour asseoir la crédibilité de notre action. C’est pourquoi nous avons milité au sein de l’Instance pour que cette mission soit intégrée aux prérogatives de l’institution, dotée de tous les leviers et moyens nécessaires à son accomplissement effectif.
Une mission aussi sensible ne saurait toutefois être menée avec légèreté. Elle nécessite une structuration rigoureuse, l’adoption de référentiels solides, de guides et procédures extrêmement précis, afin de garantir la protection des droits des personnes concernées : présomption d’innocence, droits de la défense, la charge de la preuve, etc. Lorsqu’il est question d’inversion de la charge de la preuve, cela doit reposer sur des fondements constitutionnels intangibles. C’est dans cet esprit que nous avons proposé un cadre protecteur, y compris sur la question sensible de l’enrichissement illicite, permettant de concilier la sauvegarde des droits individuels et la mise en œuvre d’un levier incontournable de la lutte anti-corruption.
Pour mener à bien cette mission d’enquêtes et d’investigations dans les règles de l’art, l’Instance a mis en place, de manière anticipée, un dispositif dédié composé d’«officiers de l’Instance» spécialement formés à cet effet. Des référentiels sous forme de guides et de procédures rigoureuses ont également été élaborés pour encadrer l’accomplissement de ces prérogatives sensibles.
Un noyau d’officiers hautement qualifiés a ainsi été constitué, ayant bénéficié de plus de 1.000 heures de formation poussée. Ces équipes regroupent des profils multidisciplinaires : magistrats d’exception de la Cour des comptes, commissaires et officiers de police judiciaire, enquêteurs des douanes et de la Direction de la Surveillance du territoire, etc. Cette approche combinée, mêlant diverses expertises du contrôle et de l’investigation, vise à doter l’Instance de moyens à la hauteur des défis.
Une coopération accrue avec le Chef du gouvernement
L’Instance entre dans «une nouvelle phase». Son président, Bachir Rachdi, n'a pas manqué de le rappeler. Présentant les avancées et le champ d’action renforcé de l’Instance, il a parlé «d’avancée législative majeure» pour coordonner plus efficacement le combat contre les fléaux de la corruption et de la prévarication. L’INPPLC semble cette fois bien décidée, selon lui, à déployer tous les moyens de sa panoplie renforcée pour jouer pleinement son rôle d’acteur incontournable de la probité institutionnelle nationale. «Nous entrons dans une nouvelle ère de la lutte anti-corruption, marquée par l’efficacité et l’impact concret» a-t-il martelé. Militant associatif de la première heure, ayant notamment présidé aux destinées de Transparency Maroc dès les années 1990, M. Rachdi fait de la lutte contre les racines de la corruption son cheval de bataille depuis des décennies.Reconnaissant l'ampleur de la tâche, il précise que le succès de cette «stratégie ambitieuse» dépendra de la «consolidation de la convergence et de la synergie entre toutes les parties prenantes». Une «supervision et une coordination rigoureuses et bien orchestrées» s’imposeront pour mobiliser efficacement les différents niveaux de responsabilité étatique et institutionnelle autour de cet objectif crucial pour le Maroc. Le message est clair : seule l’union sacrée contre la corruption permettra d’atteindre les résultats escomptés.
Car Bachir Rachdi ne cache pas son ambition de voir l’INPPLC jouer un rôle pivot dans la nouvelle stratégie nationale anti-corruption. Un rôle de coordination et d’impulsion qu’il entend jouer en bonne intelligence avec les responsables des politiques publiques. Le président de l’Instance a ainsi annoncé qu’un consensus avait été trouvé avec la Primature pour une gouvernance partagée de ce «dossier complexe». «Un texte est en préparation pour acter les termes de coopération entre le Chef du gouvernement et l’INPPLC afin d’aller dans ce sens», a-t-il révélé. Autrement dit, il s’agit de formaliser les responsabilités partagées, ce qui devrait se traduire par une meilleure convergence des politiques publiques, une coordination renforcée et un suivi plus rigoureux des différents chantiers dédiés à la probité et à la lutte anti-corruption au Maroc.