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Maroc-France-Algérie : l’héritage du passé, une chape de plomb qui pèse sur l’avenir

Les relations entre le Maroc, l'Algérie et la France demeurent marquées par un héritage complexe, fruit d'une histoire commune et mouvementée. Au cœur de ce triangle diplomatique, le poids du passé colonial se fait encore sentir, influençant les dynamiques régionales et les perceptions mutuelles. Alors que le Maroc et l'Algérie traversent une période de tensions exacerbées, notamment autour de la question du Sahara, la France tente de maintenir un équilibre délicat entre les deux voisins du sud. Dans ce contexte, l'association Tizi a organisé un débat éclairant, réunissant deux experts de renom : Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France en Algérie, et le professeur Zakaria Abouddahab, universitaire marocain. Leurs échanges ont permis de mettre en lumière les enjeux actuels et les perspectives d'avenir pour ces trois nations, tout en soulignant les défis qui persistent. Entre nécessité de dialogue, poids des systèmes politiques et aspirations des peuples, l'avenir des relations au sein de ce triangle maghrébin reste à construire, dans un contexte géopolitique en pleine mutation.

Ph. Sradni
Ph. Sradni
Dans le paysage diplomatique méditerranéen, le triangle formé par le Maroc, l'Algérie et la France constitue un nœud gordien que les années n'ont pas réussi à démêler. L'histoire commune de ces trois nations, marquée par la colonisation et les luttes pour l'indépendance, continue de façonner les interactions contemporaines. C'est dans ce contexte chargé que l'association Tizi a organisé un débat d'une rare intensité, réunissant deux voix expertes pour décrypter les complexités de ces relations trilatérales. D'un côté, Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France en Algérie, fort de ses sept années passées à Alger en deux mandats distincts. De l'autre, le professeur Zakaria Abouddahab, universitaire marocain reconnu pour ses analyses pointues des dynamiques régionales. Leurs échanges, animés par l’acteur associatif Zakaria Garti, au nom de l'association Tizi, ont permis de lever le voile sur les défis et les opportunités qui se dessinent pour l'avenir de ces relations souvent tumultueuses.

L'Algérie vue de France : une énigme persistante

Xavier Driencourt, auteur de «L'énigme algérienne, chronique d'une ambassade à Alger», n'a pas mâché ses mots pour décrire la complexité du système politique algérien. «Le système est plus opaque encore aujourd'hui qu'il l'était lorsque j'étais en Algérie», affirme-t-il sans détour. Son ouvrage, qu'il qualifie de «photographie de l'Algérie contemporaine», se veut une analyse sans concession d'un pays dont les fondamentaux semblent, selon lui, immuables depuis l'indépendance.



«Depuis 1962, et même depuis 1954, les fondamentaux du système restent inchangés», explique l'ancien diplomate. «Opacité, nationalisme sourcilleux, place prépondérante de l'armée et, surtout, un discours anti-français qui légitime le régime». Cette description sans fard d'un système politique hermétique tranche avec la réserve habituelle des diplomates. M. Driencourt justifie cette approche : «J'ai voulu, non pas rédiger des souvenirs, mais faire une sorte de photographie des points qui m'avaient particulièrement impressionné ou marqué».

L'ancien ambassadeur souligne également le paradoxe d'une diplomatie française contrainte de travailler simultanément sur le passé et l'avenir dans ses relations avec l'Algérie. «Partout un ambassadeur travaille sur l'avenir, or en Algérie, on travaille sur le passé et sur l'avenir», note-t-il. Cette dualité temporelle complexifie les rapports bilatéraux, d'autant plus que, selon M. Driencourt, les gestes de la France ne trouvent pas toujours d'écho de l'autre côté de la Méditerranée.

Maroc-Algérie : entre incompréhension et nécessité de dialogue

Le professeur Zakaria Abouddahab apporte un éclairage complémentaire sur la perception marocaine de l'Algérie. Il évoque une «césure» datant de l'indépendance algérienne en 1962, exacerbée par la «guerre des sables» de 1963. «Il y avait une fracture dès le départ», analyse-t-il, soulignant la persistance de malentendus historiques entre les deux nations.



Abouddahab recourt à une métaphore éloquente pour illustrer les différences de tempérament entre les peuples du Maghreb : «Un certain Lyautey, le maréchal Lyautey, avait bien dit une fois dans une figure de style que le Marocain est un berger, que l'Algérien est un guerrier, que le Tunisien est une belle femme». Cette image, bien que simplificatrice, permet selon lui de comprendre certaines dynamiques régionales.

Le professeur insiste sur la nécessité d'un dialogue global pour surmonter les blocages actuels. «Seul le dialogue stratégique global qui inclurait tous les dossiers épineux, toutes les questions fâcheuses entre les deux pays permettrait peut-être de dépasser ce blocage», affirme-t-il.

La France, un acteur clé aux prises avec ses propres défis

Le débat n'a pas manqué d'aborder la situation politique française, notamment à la lumière des récentes élections législatives. Xavier Driencourt compare la dissolution de l'Assemblée nationale par Emmanuel Macron à une «expérimentation hasardeuse», rappelant un précédent sous la présidence de Jacques Chirac en 1997. «Le président Macron a recommencé l'expérimentation hasardeuse, d'autant plus hasardeuse qu'il y a un mois, un mois et demi, il avait dit qu'il n'allait tirer aucune conséquence du vote européen, du vote aux élections européennes, en termes de politique intérieure», analyse M. Driencourt. Il souligne la confusion qui règne désormais sur la scène politique française, avec la nécessité de composer avec trois blocs distincts à l'Assemblée nationale. Cette instabilité politique interne interroge sur la capacité de la France à jouer pleinement son rôle dans le triangle maghrébin. Le professeur Abouddahab note que «Macron est embourbé dans ses problématiques internes», ce qui pourrait affecter la politique étrangère française dans la région.

Vers un avenir commun : défis et opportunités

Malgré les tensions et les incompréhensions, les intervenants s'accordent sur la nécessité d'une coopération renforcée entre les trois pays. Xavier Driencourt plaide pour la création d'un cadre ad hoc réunissant les trois pays du sud de l'Europe (France, Espagne, Italie) et les trois pays du Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie). «Ces six pays pourraient régler les problèmes autour de la même table», estime-t-il, citant des préoccupations communes telles que la sécurité au Sahel, l'énergie et les questions migratoires.

Le professeur Abouddahab, quant à lui, insiste sur l'importance de «dépasser la logique de l'affrontement». Il appelle à «modeler la pâte et essayer de faire avancer nos intérêts vitaux, évidemment en cherchant des brèches quand il le faudra, pour défendre nos positions». L'avenir des relations au sein de ce triangle maghrébin reste incertain, mais les experts s'accordent sur la nécessité d'un dialogue renouvelé. La question du Sahara demeure un point de friction majeur, mais comme le souligne M. Abouddahab, «nous avons besoin d'une Algérie développée, stable, cela va dans notre intérêt».
En conclusion, le débat organisé par l'association Tizi a mis en lumière la complexité des relations entre le Maroc, l'Algérie et la France. Entre héritage colonial, défis contemporains et aspirations futures, ces trois nations sont appelées à redéfinir leurs interactions. Comme l'a si bien résumé le professeur Abouddahab, citant Benjamin Stora : «Que nous le voulions ou non, nous sommes condamnés par la géographie, par l'histoire, par les interactions humaines, par aussi le fait que nous affrontons les mêmes défis, les mêmes menaces». C'est dans cet esprit de destin partagé que l'avenir du triangle maghrébin se dessine, appelant à une diplomatie renouvelée et à une compréhension mutuelle approfondie.
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