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Métier d’ingénieur au Maroc : formation, exercice, perspectives... des experts s’alarment

Lors d’une conférence-débat organisée récemment par la section des ingénieurs du Parti du progrès et du socialisme (PPS), la sonnette d’alarme a été tirée quant à «l’anarchie» régnant dans la formation des ingénieurs au Maroc et dans l’exercice de cette profession. Les participants ont appelé à une meilleure gestion du secteur et à l’élaboration d’un cadre législatif plus adapté aux exigences du métier et de son développement à l’international.

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La profession d’ingénieur constitue un levier fondamental du progrès scientifique et industriel, garantissant la compétitivité et la souveraineté technologique des nations. Pourtant, au Maroc, elle se trouve en proie à une crise structurelle marquée par l’absence de régulation efficiente, une formation académique parfois déconnectée des exigences du marché et une hémorragie inquiétante des compétences qui migrent vers l’étranger. Cet état des lieux plutôt alarmant a été fait lors d’une conférence débat organisée récemment par la section des ingénieurs du Parti du progrès et du socialisme (PPS). Selon les participants à cette rencontre, dans un contexte de transformation mondiale accélérée, le Maroc peine à mettre en place une gouvernance efficace capable d’encadrer et de valoriser ses ingénieurs, d’où la nécessité d’une réforme profonde pour structurer l’exercice du métier et offrir un cadre propice à son développement.

Une profession en crise

Maillon essentiel du développement économique et industriel, le secteur de l’ingénierie au Maroc fait face à des défis structurels majeurs qui entravent son épanouissement. Entre une formation initiale jugée insuffisante, une absence de réglementation adaptée et l’exode massif des ingénieurs, les professionnels du secteur tirent la sonnette d’alarme. Pour combler ces lacunes, Ali Agham, coordinateur national de la section des ingénieurs au sein du PPS, estime qu’il est primordial de miser sur les partenariats entre les établissements de formation et les entreprises. Selon lui, ce lien est essentiel pour permettre aux jeunes lauréats d’acquérir des compétences pratiques et de mieux s’intégrer au marché du travail.

Abderrahim El Handouf, président de l’Union nationale des ingénieurs marocains (UNIM), n’a pas mâché ses mots lui non plus concernant l’état de la profession. Il a déploré ainsi l’absence de données analytiques fiables, ainsi que l’anarchie qui caractérise aussi bien la formation aux métiers de l’ingénierie, en particulier dans le secteur privé, que l’exercice du métier. Dans ce sens, M. El Handouf a fustigé l’équivalence accordée par l’ancien gouvernement à un établissement privé de formation, une décision qui, selon lui, porterait atteinte au niveau académique et à la valeur des diplômes délivrés au Maroc.

Le président de l’UNIM a également alerté sur le risque que représente la prolifération d’instituts de formation «aux standards approximatifs», qui nuirait à la «crédibilité du titre d’ingénieur et accentuerait la perte de confiance des entreprises nationales et internationales dans la formation marocaine». Pour surmonter ces défis, M. El Handouf plaide pour une régulation plus stricte de l’enseignement de l’ingénierie et pour l’adoption d’une stratégie de valorisation des compétences locales, à même d’offrir aux ingénieurs un environnement propice à leur épanouissement et à leur contribution au développement du pays.

Une fuite des compétences inquiétante

L’absence de conditions propices à l’exercice de la profession pousse de nombreux ingénieurs marocains à s’expatrier, aggravant ainsi un déficit de compétences qui nuit à la compétitivité du pays. «Le Maroc n’offre pas les bonnes conditions pour les ingénieurs, ce qui les pousse à partir à l’étranger en quête de meilleures opportunités et de salaires plus attractifs», a fait savoir par ailleurs Abderrahim El Handouf.

Cette fuite des cerveaux concerne particulièrement des secteurs stratégiques tels que les infrastructures, l’industrie et les nouvelles technologies, où l’expertise locale est pourtant essentielle pour le développement du pays. Selon lui, en l’absence d’une politique nationale efficace de rétention des talents, le Maroc peinera davantage à rivaliser avec des destinations offrant des conditions plus avantageuses, tant en termes de rémunération que de perspectives de carrière. Cette tendance met en péril la souveraineté technologique du pays et compromet sa capacité à relever les défis de la transition numérique et industrielle, a alerté le même intervenant.

Plaidoyer pour une réforme législative

À ces contraintes s’ajoute l’absence d’un cadre juridique moderne encadrant la profession d’ingénieur. Actuellement, la réglementation repose sur un Dahir datant de 1949, «un texte obsolète» réglementant le port du titre d’ingénieur sans tenir compte des évolutions techniques et économiques du secteur, a martelé M. El Handouf. Pour lui, cette lacune législative ouvre la porte à une dérégulation préoccupante, favorisant la prolifération d’établissements de formation aux standards disparates et fragilisant la reconnaissance du métier.

Face à cette situation, le président de l’UNIM a indiqué qu’un dossier de revendications avait été remis au gouvernement, qui n’a pas encore réagi. «Nous avons remis un dossier contenant nos revendications au gouvernement il y plus de deux ans de cela, mais il semblerait qu’il ait été mis de côté», a-t-il déploré, insistant sur la nécessité de créer une entité de régulation dédiée, chargée d’assurer un suivi rigoureux de la profession, d’encadrer les conditions d’exercice et de veiller à la mise en conformité des formations. Pour cet expert, une telle structure permettrait non seulement d’améliorer la gouvernance du secteur, mais aussi de renforcer la compétitivité des ingénieurs marocains sur la scène internationale en alignant leurs compétences sur les standards mondiaux.

Une position inquiétante au niveau international

Pour sa part, l’ancienne ministre et membre du bureau politique du PPS, Charafat Afailal, a souligné l’urgence de mettre en place un statut spécifique pour les ingénieurs marocains, «un levier essentiel pour protéger leurs droits professionnels et valoriser leur rôle au sein du tissu économique national». Cet impératif procède, selon elle, de la conviction que la reconnaissance institutionnelle de leur expertise est une condition sine qua non pour garantir à la fois leur épanouissement professionnel et leur contribution au développement technologique du pays.

Dans le même ordre d’idées, Mme Afailal a mis en lumière «un retard préoccupant» du Maroc en matière de formation d’ingénieurs, comparativement à d’autres pays émergents. À titre d’exemple, elle a cité l’Iran, qui forme annuellement 234.000 ingénieurs, se positionnant ainsi parmi les trois premiers pays mondiaux en matière de production d’ingénieurs. Quant au Maroc, avec seulement 25.000 ingénieurs formés annuellement, selon des estimations non officielles, il reste largement en retrait, s’est-t-elle alarmée. Pour cette ingénieure et ancienne secrétaire d’État chargée de l’Eau, cet écart en dit long sur l’absence d’une stratégie nationale claire visant à aligner l’offre de formation sur les besoins du marché du travail et à répondre aux défis technologiques mondiaux.

L’impact de cette fuite des cerveaux ne se limite pas seulement à la perte de talents qualifiés, mais compromet également la souveraineté technologique du pays, alerte-t-elle. En effet, dans un monde de plus en plus tourné vers l’innovation et la recherche-développement, le Maroc risque de se retrouver marginalisé si une véritable politique de gestion des compétences n’est pas mise en place. Cette situation est d’autant plus critique que les secteurs stratégiques, tels que les infrastructures, les technologies de l’information et l’industrie 4.0, nécessitent des ingénieurs hautement qualifiés pour répondre aux défis du développement national. Face à ces défis, les ingénieurs du PPS appellent fermement à une intervention gouvernementale immédiate. Celle-ci devrait inclure une révision complète du cadre législatif, l’établissement d’un statut spécifique pour les ingénieurs, ainsi qu’une réforme en profondeur du système de formation.
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